Des "travaux pratiques" concernant Chypre se sont une nouvelle fois déroulés à Genève. Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a rencontré le 26 janvier les chefs des communautés chypriotes: le président de Chypre, Demetris Christofias, et le président de la République turque de Chypre du Nord, Dervis Eroglu. Le Secrétaire général les a réprimandés pour leur incapacité à trouver un accord et à régler enfin le problème de l’île partagée. Les Chypriotes ont un choix à faire: soit trouver un accord d’ici le mois de mars 2011, soit… Soit une seule chose: la partition définitive de l’île en deux Etats indépendants, turcophone au Nord, et hellénophone au Sud.
Décidez avant mars ou on décidera à votre place
L’ONU et tous les spécialistes de Chypre craignent que si les deux parties de l’île d’Aphrodite ne changent pas d’avis et ne trouvent pas un accord avant le mois de juin, ils n’arriveront plus à rien par la suite. Les élections parlementaires devraient se tenir en été en Turquie (sa position détermine la politique de la partie turque de l’île) et sur la moitié grecque de Chypre. Et on ne promet pas la victoire aux partisans du règlement du conflit, qui dure depuis 1974.
Ban Ki-moon a déjà déclaré qu’en mars il escomptait des progrès sur les principaux points litigieux. En novembre 2010, le Secrétaire général avait déjà déclaré qu’en fonction du comportement des opposants, il sera décidé avant mars de la nécessité de laisser sur Chypre la mission de maintien de la paix de l’ONU. Ils protègent actuellement la zone frontalière de 180 miles qui sépare l’île en deux parties. En traversant la capitale Nicosie. C’est une menace évidente et un moyen de pression sur les Chypriotes récalcitrants: qui sait ce qui se passerait sans les soldats de maintien de la paix de l’ONU? Bien que tout le monde soit conscient que l’ONU n’osera pas retirer les troupes.
Le dernier cycle de négociations dure depuis 2008. Auparavant, le long processus avait duré près de 30 ans. Et aucun progrès n’a été noté dans le règlement des principales questions: la propriété et l’indemnisation des biens immobiliers perdus, et l'organisation étatique de l’île.
Le règlement a connu une phase encore plus difficile l’année dernière. En avril, la présidentielle de la République turque de Chypre du Nord, non reconnue, a été remportée par le nationaliste Dervis Eroglu, chef du Parti de l’unité nationale. Il a "sorti" le leader modéré du Parti républicain turc, Mehmet Ali Talat.
Ce dernier avait averti la veille de la présidentielle que la victoire du nationaliste intransigeant signifierait la mort des négociations de paix. En effet, les négociations de Genève devront passer par la salle de réanimation. Et ce sera probablement la dernière fois. Les Turcs insistent actuellement sur la parité totale des deux moitiés de l’île, ou comme ils les appellent, des deux "Etats constitutionnels."
Une telle "équité" est loin de satisfaire les Grecs. Ce qui est compréhensible: les Grecs représentent 80% de la population de l’île et contrôlent près de 70% de son territoire. Et ils n’estiment pas tous que dans ces conditions ils doivent partager équitablement avec les Turcs.
La grave maladie chypriote
Chypre se trouve dans un "état comateux" depuis si longtemps que tout le monde en est las. Certains experts européens estiment qu’il est trop tard, que les deux parties de l’île ne seront jamais recollées. Les jeunes générations de Chypriotes se sont tellement habituées à la séparation, qu’ils ont pratiquement perdu l’envie de briser le statu quo. A en croire les sondages de l’opinion publique menés sur la moitié grecque de l’île, aujourd’hui, les plus de 50 ans sont les seuls à se prononcer majoritairement en faveur de la réunification.
Chypre connaît aujourd’hui le sort d’un patient en phase finale de sa maladie: la population des deux moitiés ne voit aucune utilité d'un traitement, autant pratiquer une intervention chirurgicale, voire amputer. Le problème est que l’île d’Aphrodite a été séparée en deux parties inégales depuis trop longtemps.
Encore en 2004, les Grecs ont dit "non" au plan de règlement de l’ONU, car il ne résolvait pas le problème du retour des Grecs-chypriotes dans leurs maisons et sur leurs terres, d’où ils avaient été chassés par les Turcs; le plan ne solutionnait pas le problème de l’indemnisation des personnes dépossédées; il donnait aux Turcs-colons en provenance d’Anatolie le droit de rester à Chypre (donc là où vivaient auparavant les Grecs de Chypre du Nord); il permettait aux unités de l’armée turque de continuer à se déployer sur l’île. Toutefois, les Turcs gardaient seulement 29% du territoire de l’île, bien moins que les 38% occupés par l’armée turque en 1974. Mais les Grecs-chypriotes estiment que c’est tout de même beaucoup trop, car en 1974 ils ne représentaient que 18% de la population. D’ailleurs, actuellement, sur 850.000 de la population de l’île, les Turcs représentent près de 160.000 personnes. Plus de 80.000 sont venues sur l’île en provenance de Turquie continentale pour "mettre en valeur" la République turque non reconnue.
La question chypriote est devenue depuis longtemps l’un des anachronismes les plus importants. Aujourd’hui, l’île est le seul pays de l’UE (membre depuis 2004) divisé illégitimement en deux parties.
A l’heure actuelle, il est pratiquement clair qu’aucune des deux parties n’a l’intention d’accepter un "mariage inégal." Et personne n’a encore trouvé la solution pour unir l’île. En principe, le "mariage de raison" serait très profitable à Chypre. Selon les estimations des experts, la paix ouvrirait à sa partie turque la voie des échanges avec l’UE, et celle du commerce avec la Turquie à sa partie grecque. Et l’île pourrait gagner près de 3 milliards de dollars supplémentaires annuellement. Mais le problème est de savoir comment partager tout cela.
A ce jour, il existe la République de Chypre (près de 60% du territoire et environ 800.000 personnes) et la République turque de Chypre du Nord (près de 38% de l’île et environ 300.000 personnes). Encore près de 2% de Chypre sont occupés par des enclaves britanniques où sont déployées les bases militaires du Royaume- Uni. La république de Chypre est reconnue par tous, à l’exception de la Turquie. Chypre du Nord est reconnue seulement par la Turquie. Sans, bien sûr, prendre en compte la "reconnaissance officielle" anecdotique de la République turque de Chypre du Nord par la région azerbaïdjanaise autonome de Nakhitchevan.
A l’heure actuelle, dans le monde entier, il existe assez peu d’Etats non reconnus similaires à la République de Chypre du Nord.
Parmi les entités non reconnues (ou reconnues par certains pays), on pourrait citer le Kosovo (reconnu par 65 pays sur les 192 membres de l’ONU), l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud (reconnues par la Russie, le Nicaragua, le Venezuela et Nauru). Il y a également Taïwan, le Haut-Karabakh, la République du Somaliland, la Transnistrie, la République turque de Chypre du Nord, l’Arménie (elle n’est pas reconnue par le Pakistan). L’Autorité palestinienne, Israël (n’est pas reconnu par 20 pays musulmans), la Corée du Sud (non reconnue par la Corée du Nord, et vice versa), la République arabe sahraouie démocratique (Sahara occidental). La République tchèque et la Slovaquie n’ont d’ailleurs toujours pas été reconnues par le Liechtenstein (et vice versa), car la famille princière a été dépossédée de certaines terres dans ces pays.
Il est donc probable que dans quelques années le monde assistera à la naissance d’encore deux nouveaux Etats ayant un statut "demi-reconnu." S’ajoutant au Soudan qui s’est divisé après le référendum qui s’est tenu du 9 au 15 janvier. Il est simplement nécessaire d’attendre le mois de mars.
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