Pour le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, l'affaire est dans le sac. En 2011, Russie et Union européenne devraient en finir avec un morceau de papier particulièrement honni: le visa.
Rien de vraiment nouveau pour Moscou, qui a supprimé cette formalité pour les touristes de plus de 30 Etats (et opté avec 60 autres pays pour le visa apposé à l'aéroport). La Russie a tout à gagner: la demande de visa est une procédure coûteuse, voire dissuasive pour les touristes européens habitués à traverser les frontières comme bon leur semble. Son obtention est une démarche intimidante, qui alimente les clichés présentant la Russie comme un pays fermé, cloîtré derrière un rideau de fer administratif. L'UE ne serait pas perdante si les visas étaient supprimés: les touristes russes visitent de plus en plus le vieux continent, et sont les plus dépensiers sur le territoire français après les Chinois.
En outre, les visas alimentent la corruption aussi bien côté européen que russe: un scandale lié à l'attribution des visas avait éclaboussé l'ambassade de France à Moscou en 2007. Parfois, les citoyens sont pris en otages, comme cette femme d'affaires russe possédant une maison à Nice qui se voit refuser son visa Schengen sans raison, alors qu'elle séjourne régulièrement en France depuis des années. Un niet sans appel, même si une "connaissance" lui permet finalement d'obtenir le précieux sésame…
Une des rares démarches russo-européennes réalisées dans ce domaine concernait le libre-déplacement des personnes vivant dans certaines zones frontalières. Les tentatives d'assouplissement des visas restent cantonnées à la partie russe, et ne suscitent aucune réponse côté européen: la ville de Saint-Pétersbourg souhaite notamment permettre aux touristes de l'UE de séjourner jusqu'à 72 heures dans la "capitale du nord". Une initiative unilatérale qui pourrait rapporter 13,5 milliards d'euros par an à la ville.
"Dès demain s'il le faut"
Malgré tous les avantages escomptés, les appels répétés de la partie russe restent lettre morte, et les faux espoirs liés à la levée des visas sont désormais un thème de plaisanterie pour les expatriés. L'échéance "dès demain s'il le faut", fixée par le Premier ministre Poutine, s'éternise. Moscou regrette l'absence de "zèle" du côté de l'Europe, qui ne cache pas que sa perspective est le "long terme". Derrière les discours répétés de la diplomatie russe, des divergences de fond entre l'UE et la Russie empêchent une résolution rapide de ce dossier.
Pour mieux comprendre la situation, il faut examiner les relations dans un contexte plus large et revenir à la crise économique de 2008-2009. Après avoir cru constituer un "îlot de stabilité" dans la tourmente de la crise mondiale, la Russie ne tarde pas à déchanter: son PIB recule de 8%, les fonds de réserve fondent à vitesse grand V. Les chiffres sont sans appel: la Russie a connu la pire récession du G20. Les lacunes sont mises à nu: "dépendance humiliante" vis-à-vis des matières premières (selon Medvedev), corruption qui freine l'efficacité des décisions de l'Etat, absence de modernisation flagrante. Moscou, conscient que son économie ne résistera pas à une deuxième crise, décide de se tourner vers sa cousine européenne.
Un véritable plan de reconstruction économique impliquant l'Occident est alors mis en place. Une multitude de projets sont lancés: la coopération avec les compagnies européennes se resserre. Siemens et Alstom livrent des trains à grande vitesse, la France fournit des navires de guerre Mistral à la Russie. Le transfert de technologies, pierre de touche de la modernisation, devient réalité. Des discours enflammés, allant jusqu'à évoquer une monnaie commune intégrant la Russie et l'Europe, résonnent à l'est. Mais Bruxelles reste froid. Les échanges les plus importants, ceux des personnes, sont en butte à des obstacles d'ordre idéologique.
Outre la réticence d'anciennes républiques soviétiques membres de l'UE, des divergences de fond empêchent une véritable percée sur ce dossier. Bruxelles, encouragé par les velléités de réforme du président Medvedev, a fait savoir que le processus de modernisation de l'économie russe devait rimer avec démocratisation et lutte contre la corruption. La Russie, elle, se contenterait volontiers du savoir faire des entreprises européenne, et redoute une ingérence occidentale. La récente condamnation de Mikhaïl Khodorkovski, suite à laquelle l'UE envisage des sanctions contre la Russie, constitue un nouveau "décrochage" entre ces deux acteurs qui pourrait déboucher sur une dégradation des relations.
L'UE n'a rien à gagner en assouplissant trop vite sa position vis-à-vis des Russes. Bruxelles sait pertinemment que la Russie, complexée par la croissance de son voisin chinois, a un grand besoin d'elle pour mener à bien sa modernisation. Avec l'accession à l'OMC, les visas constituent une carte maîtresse pour l'Occident qui souhaite obtenir des concessions politiques côté russe.
Peut-on s'attendre à un changement dans la position de Bruxelles? C'est peut-être la situation économique, plus que la volonté politique des acteurs, qui influera sur l'évolution des relations au sens large. L'aggravation de la crise en zone euro pourrait, en effet, pousser l'UE à se rapprocher de la Russie en adoptant des mesures inédites, peut-être dans le domaine des visas. Mais dans l'état actuel des relations, le statu quo n'a aucune raison d'évoluer, tant les malentendus restent prégnants.
Plios, une bourgade hors du temps