Moscou et Washington dans un monde à géométrie variable

© RIA NovostiFedor Loukianov
Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
S'abonner
Lorsqu'il y a deux ans le président américain Barack Obama s'apprêtait à assumer la fonction présidentielle, personne ne pouvait s'imaginer que la question russe allait devenir déterminante non seulement pour sa politique étrangère, mais aussi sur la scène intérieure. C'est bien cela qui s'est produit.

Lorsqu'il y a deux ans le président américain Barack Obama s'apprêtait à assumer la fonction présidentielle, personne ne pouvait s'imaginer que la question russe allait devenir déterminante non seulement pour sa politique étrangère, mais aussi sur la scène intérieure. C'est bien cela qui s'est produit. D'ailleurs, les circonstances ne laissaient aucun choix.

Le redémarrage avec Moscou était supposé constituer une marche vers le règlement d'autres problèmes plus importants. Mais il s'est avéré être la seule réussite de l'agenda international de Barack Obama. Et la question de la ratification du Traité de réduction des armes stratégiques (START), tout à fait technique et qui n'a rien de révolutionnaire, a été le test décisif visant à déterminer si l'administration était capable d'arriver à ses fins. Au fond, le Sénat n'a pas tant voté pour entériner la réduction des arsenaux nucléaires que pour montrer qui était le maître à bord. La Maison blanche a fait preuve de fermeté, mais également d'une maîtrise politique remarquable. À partir de 2011, Barack Obama se retrouve dans une situation bien plus défavorable, avec une Chambre des représentants "hostile" et une majorité réduite au strict minimum au Sénat. Toutefois, la sensation de catastrophe qui a saisi les partisans du président après la défaite aux élections de mi-mandat de novembre a pu être surmontée grâce aux efforts des dernières semaines.

La ratification du traité START met le point final au redémarrage. Tous les objectifs fixés un an et demi auparavant ont été atteints: l'accord est conclu, les sanctions contre l'Iran sont introduites, la coopération en Afghanistan s'est élargie, la tension due aux contradictions sur la défense antimissile (ABM) a diminué. Mais tout cela n'est qu'une étape de transition depuis une crise profonde des relations vers un dialogue fonctionnel. Désormais, une nouvelle politique orientée vers l'avenir est nécessaire. D'une part, une atmosphère favorable existe à cet effet: on remarque l'apparition d'une forme de confiance dans les relations entre les chefs d'État. Dans son interview dressant le bilan de l'année, Dmitri Medvedev a cité la cause principale de l'amélioration des relations entre la Russie et les États-Unis : « Il tient ses promesses ». Même si les anciens présidents des deux pays, Boris Eltsine et Bill Clinton, Vladimir Poutine et George W. Bush, semblaient avoir des liens amicaux, les arrangements conclus étaient loin d'être toujours respectés.

D'autre part, la situation aux États-Unis change. Barack Obama devra agir sous la pression du Congrès, et trouver des personnes ayant un point de vue au moins  neutre à l'égard de la Russie dans le milieu républicain actuel. Rien ne sert de compter sur une attitude positive. Ainsi, la bonne volonté politique, qui ne suscite pour l'instant aucun doute, pourrait s'avérer insuffisante afin de poursuivre sur cette voie.

Hormis les obstacles politiques, il en existe d'autres de nature conceptuelle. La proposition des Américains concernant les prochaines étapes (la poursuite des négociations pour la réduction des armements, y compris tactiques, le rétablissement du régime de contrôle sur les armes conventionnelles en Europe) replongera les partenaires dans le passé et ressuscitera artificiellement les discussions passées. Car tous ces thèmes se basent sur le principe de l'équilibre des forces qui n'a plus aucun sens depuis belle lurette, étant donné qu'il n'existe aucune confrontation entre Moscou et Washington, et qu'il n'en y en aura plus sous la même forme qu'auparavant. Et même le traité START-3 renoue avec l'approche d'une « confrontation civilisée », que Ronald Reagan aimait à formuler ainsi : « la confiance n'exclut pas le contrôle ». Ce n'est pas par hasard si le principal argument de l'administration pour l'approbation du traité était la nécessité de rétablir les inspections mutuelles qui ont pris fin après  l'échéance du traité START-1. Tous les autres arguments (non prolifération, monde sans armes nucléaires, etc.) relèvent de la spéculation.

La situation autour de l'ABM semble relativement absurde. À en juger par les débats au Sénat et à la Douma (chambre basse du parlement), ce thème reste l'éternel pierre d'achoppement qui engendre des contradictions politiques interminables. Et ce alors que les derniers tests du système d'ABM se sont soldés par un échec, le deuxième en deux ans, et que l'on reproche au Pentagone de créer des conditions de « serre » pour les essais. Le rapport du département du Congrès chargé du contrôle des comptes publics exprime des craintes au sujet de l'augmentation des dépenses pour ce projet aux perspectives incertaines. La question est de savoir s'il est nécessaire de s'acharner autant sur un projet qui a tout d'une chimère?

La nouvelle époque ne permet pas de déterminer précisément quelle sera la nature des relations entre la Russie et les États-Unis au XXIe siècle. Le paradigme de la guerre froide était clair et simple. Le traité START-3 est le dernier des accords importants destinés à encadrer la rivalité bilatérale entre les superpuissances lorsque celle-ci était au cœur de la politique mondiale. Ce n'est plus le cas depuis longtemps. Le monde ne suit pas en retenant son souffle les péripéties des négociations entre Moscou et Washington. Téhéran et Pyongyang aspirent à obtenir l'arme nucléaire indépendamment du nombre d'ogives que possèdent la Russie ou les États-Unis. Et Pékin, lentement mais sûrement, accroît son arsenal sans tenir compte des arguments des géants nucléaires. Les relations russo-américaines changeront uniquement lorsque les deux pays comprendront définitivement que le monde dépend moins d'eux qu'ils ne se sont habitués à le croire. Pour cette raison, perdre du temps pour terminer la « partie » de la confrontation d'hier n'est qu'un simple gaspillage.

Il est difficile de s'imaginer que Moscou et Washington deviennent un jour des alliés. Mais dans un monde à « géométrie variable », où l'équilibre des forces n'est jamais établi une bonne fois pour toute, exclure à l'avance une alliance, quelle qu'elle soit, serait simplement irresponsable.

Une année agitée dans l'espace postsoviétique

"Un monde changeant": Une année agitée dans l'espace postsoviétique

"Un monde changeant":  Pourquoi la Russie aurait-elle besoin de l’OTAN?

"Un monde changeant": Loukachenko, le pionnier et les lauriers

"Un monde changeant": Sommet de l'OSCE: éviter les sujets sensibles

"Un monde changeant": L'Asie au passé inachevé

"Un monde changeant": La dénucléarisation tourne en boucle depuis 25 ans

"Un monde changeant": Iles Kouriles, une porte vers l’Asie

"Un monde changeant": L’Afghanistan vu sans malveillance

*

La Russie est-elle imprévisible? Peut-être, mais n'exagérons rien: il arrive souvent qu'un chaos apparent obéisse à une logique rigoureuse. D'ailleurs, le reste du monde est-t-il prévisible? Les deux dernières décennies ont montré qu'il n'en était rien. Elles nous ont appris à ne pas anticiper l'avenir et à être prêts à tout changement. Cette rubrique est consacrée aux défis auxquels les peuples et les Etats font face en ces temps d'incertitude mondiale.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала