De toute l'histoire des sommets de l'OTAN depuis 1949, on n'avait encore jamais remarqué une telle fébrilité qu'aujourd'hui, à la veille du sommet de Lisbonne qui se tiendra les 19 et 20 novembre. Les deux derniers ont carrément ressemblé à des ‘’ services funèbres ‘’ en raison des problèmes innombrables de l'Afghanistan, de l'Irak et du budget. Or, à la veille de l'inauguration du sommet, les diplomates du siège de l'Alliance à Bruxelles sont comme ‘’ dopés ‘’ à l'adrénaline. Voici certaines expressions entendues : ‘’ le plus important sommet de la décennie ‘’, ‘’ le sommet le plus important depuis l'époque de la guerre froide ‘’, ‘’ historique ‘’, ‘’ révolutionnaire ‘’, etc. Une question maligne se présente immédiatement à l'esprit : on se demande, étant donné la situation actuelle, ce qui que se passera lorsque toute cette adrénaline sera ‘’ déversée au pays du Porto ’’ ? Qu'attend-on donc d'aussi extraordinaire du sommet de Lisbonne?
Les 28 dirigeants des pays membres de l'OTAN, et même le lauréat du prix Nobel (Obama), se rejoignent à Lisbonne. L'OTAN se prépare à y adopter une nouvelle Conception stratégique pour les 10 prochaines années et, enfin, plus ou moins concrètement à déterminer la date du début du retrait des troupes internationales de l'Afghanistan (les États-Unis commenceront à le faire dès l'été prochain) et le passage du pays sous le contrôle de l'armée et des forces de sécurité afghanes (2014-2015). De plus, le président russe Dmitri Medvedev se rend également au sommet Russie-OTAN à Lisbonne. Tel est, dans l'ensemble, l'ordre du jour.
Le sommet russe de l'OTAN
Cet ordre du jour s'est ficelé de telle manière que ses chapitres principaux sont en fait un nœud lâche qu'il est impossible de défaire par un seul bout ou de trancher. Les forces seraient en nombre suffisant pour y parvenir (comment échouer avec 28 membres), mais cela n'apporterait rien.
Une aide extérieure est nécessaire, et seule la Russie pourrait l'apporter. Beaucoup de choses lient l'OTAN à la Russie, et cette dernière est préoccupée par la majeure partie des choses que l'OTAN fait ou s'apprête à faire.
La nouvelle Conception stratégique du bloc concerne directement Moscou, ses intérêts régionaux, géopolitiques, économiques, démographiques, sociaux et même climatiques. Il ne saurait en être autrement étant donné que la Conception prévoit un élargissement de la zone d'action du bloc et de ses fonctions, de la lutte contre le trafic des stupéfiants à la sécurité énergétique, du climat à la ‘’ sécurité coopérative ‘’ : le partenariat avec des alliés convenables dans la régularisation des situations de crise dans n'importe quelle partie du globe.
La nouvelle stratégie est discutée depuis près d'un an et son projet était déjà prêt au début de l'automne. En février, ‘’ le groupe de sages ‘’ de l'OTAN dirigé par l'ancienne Secrétaire d'État américaine Madeleine Albright s'est même rendu à Moscou afin de connaître et de prendre en compte ‘’ les inquiétudes de la Russie. ‘’ Mais la conception est toutefois une idéologie, or ce genre de notion est extensible à souhait. De plus, la conception ne fait que déterminer les nombreuses responsabilités assumées par l'OTAN depuis plusieurs années.
L'OTAN a besoin de la Russie plus que la Russie de l'OTAN
Le sommet se déroulera dans le contexte d'une attention très particulière accordée à la Russie pour une tout autre raison. La situation concernant l'Afghanistan (et l'Irak) évolue de telle manière que l'aide de la Russie est indispensable à l'OTAN. Et il est évident qu'il est impossible d'obtenir l'aide de la Russie sans tenir compte de ses intérêts et de ses ‘’ inquiétudes. ‘’ Y compris en ce qui concerne l'ABM en Europe, l'expansion de l'OTAN vers l'Est, l'équilibre des forces armées, les zones d'intérêts, la transparence des relations et la précision au sujet de l'extension du rôle du bloc, à savoir jusqu'où il a l'intention d'aller.
L'OTAN reconnaît ouvertement qu'au moment où les États-Unis ont choisi l’ Afghanistan comme front principal de la lutte contre le terrorisme, la Russie est devenue plus indispensable à l'OTAN que l'OTAN à la Russie. L'approvisionnement du contingent occidental en Afghanistan est mis à mal par les attaques incessantes des islamistes sur le territoire du Pakistan. Pour l'instant, 75% du carburant, des aliments, des munitions et des équipements sont envoyés au port de Karachi, puis acheminés par des convois via le col de Khyber en Afghanistan. Les 25% restants du fret transitent par le Baloutchistan au Pakistan. Les deux itinéraires font fréquemment la cible de frappes des talibans et les pertes sont déjà intolérables, or il sera nécessaire de transporter encore plus de chargements.
Le couloir afghan en échange de...
La préparation au sommet Russie-OTAN, ainsi qu'aux nombreuses visites des ministres de la Défense et aux contacts des ministres des Affaires étrangères, a demandé près d'un an. On s'attend à la signature de plusieurs accords qui porteront notamment sur l'aide apportée à l'OTAN en matière d'acheminement des chargements, y compris militaires, en Afghanistan via la Russie, aussi bien par voie aérienne que ferroviaire ou routière, la fourniture (vente ou location) à l'Afghanistan des hélicoptères et des armes russes, la formation des pilotes, des forces spéciales, des militaires, des unités antidrogues et antiterroristes dirigée par des moniteurs russes dans les centres et écoles russes, l'adhésion paritaire de la Russie au système de défense antimissile de l'OTAN, avec prise en compte des menaces communes et échange des informations.
À Lisbonne on devrait également adopter le programme de transfert du contrôle de la sécurité nationale au gouvernement du président Hamid Karzaï. Conformément au calendrier, en 2014-2015, la présence de l'OTAN en Afghanistan devrait être réduite au minimum. Les États-Unis ont promis de commencer le retrait des troupes dès l'été prochain. 144.000 militaires afghans ont déjà été ‘’ formés ‘’, et 10.000 sont actuellement en cours de ‘’ formation. ‘’ Mais les experts occidentaux reconnaissent, en privé, que laisser le sort du pays entre les mains des forces de sécurité afghanes aujourd'hui reviendrait à confier à un embryon le choix de son futur emploi. L'armée est pratiquement illettrée et souffre de toxicomanie orientale génétique.
Moscou est en droit d'exiger de l'OTAN, en échange de son consentement ‘’ au sud ‘’, des garanties qu'au ‘’ nord ‘’ l'OTAN limitera et réduira quantitativement son contingent dans les pays membres de l'OTAN issus de l'ancien bloc socialiste, oubliera le problème de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud (ce qui a peu de chances d'être accepté) et se chargera de l'élimination des plantations du pavot en Afghanistan. Dans l'ensemble, la Russie pourrait demander beaucoup de choses en échange de son aide. Mais il est primordial que cette aide ne la transforme pas en ‘’ chair à canon ‘’ : nous avons déjà ‘’ donné ‘’ une fois en Afghanistan.
Mais l'implication de Moscou dans la formation conjointe avec l'OTAN des soldats du régime ‘’ pro-occidental de Karzaï ‘’, l'ouverture du couloir afghan, les opérations conjointe avec les États-Unis et l'OTAN de lutte contre la narco-mafia font déjà de la Russie une complice de l'OTAN et du ‘’ Grand Satan ‘’ que sont les États-Unis, et de ce fait une cible pour les talibans et Al-Qaida. Mais on n'y peut rien. Sans notre aide et sans l'OTAN, la situation en Afghanistan sera bien plus grave.
Il est primordial que le sommet Russie-OTAN ne se termine pas sur le bilan ‘’ traditionnel. ‘’ Comme l'a fait remarquer l'un des plus grands groupes de réflexion, l'Institut du Développement Contemporain (INSOR), dans l'une de ses recommandations au sommet pour l'élaboration de la Conception stratégique Russie-OTAN : ‘’ Il est important d'éviter les déclarations conjointes grandiloquentes qui provoqueraient inévitablement de nouvelles déceptions. ‘’ ‘’ Une véritable coopération entre la Russie et l'OTAN en Afghanistan prouvera indubitablement que la Russie et l'OTAN sont capables de transformer leurs relations. ‘’
Objectivement, tous les éléments sont réunis. Étant donné que Barack Obama n'arrive pas à lancer le ‘’ redémarrage ‘’ grâce au nouveau traité de réduction des armes stratégiques (START-3) (les républicains font traîner la ratification du traité), le ‘’ bouton de redémarrage ‘’ pourrait devenir accessible via l'OTAN. Le ‘’ lauréat par anticipation ‘’ du Nobel de la paix doit tout de même justifier le prix reçu.
Ce texte n'engage pas la responsabilité de RIA Novosti