La honte, ce spectre qui hante la Russie

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Selon un sondage du Fonds de l’opinion publique, 64% des Russes auraient honte de leur pays. Plongée au cœur d’un complexe que le pays peine à surmonter.

D’après l’étude, 39% des sondés auraient “souvent” honte de la Russie, 25% éprouvant “rarement” ce sentiment. Premier fléau poussant les Russes à rougir de leur nation, la pauvreté et la situation sociale du pays pour 45% d’entre eux. Viennent ensuite un sentiment de vulnérabilité du peuple, la situation des retraités, les inégalités sociales (7%), ou l’échec sportif (5%).

Au-delà de ces divers symptômes, un malaise généralisé semble ronger la relation des Russes à leur pays. Il arrive encore en Russie que le citoyen lambda, qui affirmait il y a cinq minutes son amour inconditionnel pour son pays, confie être prêt à décamper à l’étranger à la première occasion. Un fantasme que se sont empressés de réaliser les plus riches, dont les familles sont plus souvent dans leurs appartements londoniens que dans la capitale russe.

Le sentiment de honte de soi et par extension du pays est si puissamment enraciné en Russie qu’il est devenu un poncif de l’humour russe. Principal ressort: le retard sur l’occident. Un samedi soir sur la Première chaîne, quatre comiques passent au crible l’actualité russe. Première victime: la tentative visant à créer un “iPhone russe”. Les spectateurs se tordent de rire, raillant leur retard technologique sur l’occident.

L’exemple de l’”iPhone made in Russia” est particulièrement révélateur de cette hantise nationale qu’est le retard sur l’ouest (et plus récemment sur le voisin chinois). Echouant à proposer un véritable modèle russe de développement économique, les autorités russes semblent prises en otages de leur désir de transposer le succès technologique de l’occident. Ce complexe du retard, c’est celui-là même qui a monopolisé les forces vives et justifié d’énormes sacrifices humains pour rivaliser avec l’ouest sous le communisme. Etrangement, cette force reste un moteur historique puissant, la recherche du prestige éclipsant régulièrement celle du bien commun dans l’agenda des priorités.

Dernier exemple en date, la modernisation du pays: il “faut” créer une Silicon Valley russe, il “faut” des innovations. Des sommes astronomiques sont allouées au géant Rosnano, le monopole des nanotechnologies, que nos quatre humoristes épinglent sans langue de bois: voilà des milliards qui iront engraisser les tchinovniki (fonctionnaires) pendant que la babouchka (grand-mère) de province vit et continuera à vivre avec un peu plus de 100 euros par mois.

C’est que malgré les incantations des dirigeants russes, le fossé séparant la Russie idéale du pays réel se creuse, attisant le complexe national. “Il n’y a pratiquement pas de modernisation réelle, de restructuration ou de diversification, le pétrole et le gaz restent les principales sources de revenus, la corruption règne toujours et le niveau de l’innovation est presque nul”, concluait récemment le groupe d’experts internationaux Valdaï.

La modernisation, telle que conçue par les dirigeants russes, n’est-elle pas automatiquement vouée à l’échec si elle doit rester confinée au domaine technologique sans modifier la structure sociale et politique du pays? Répondre honnêtement à cette question, avec tous les risques qu’elle comporte, a de grandes chances de rehausser l’image que les Russes ont de leur pays.

Russie: la Silicon Valley du rire

 

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