Pour contrarier l’arrogance du voisin

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Aujourd'hui débute la visite du président iranien Mahmoud Ahmadinejad au Liban. Cet évènement n'aurait aucun intérêt sans les dangers qui l'accompagnent.

Aujourd'hui débute la visite du président iranien Mahmoud Ahmadinejad au Liban. Cet évènement n'aurait aucun intérêt sans les dangers qui l'accompagnent. Premièrement, le président iranien a l'intention de se rendre à la frontière libano-israélienne, or Israël a averti qu'il considérerait cela comme une provocation. Ce n'est un secret pour personne, un échange de frappes entre l'Iran et Israël serait actuellement la voie la plus courte menant à un conflit mondial. Deuxièmement, la visite a lieu seulement trois semaines après la signature du décret par le président Dmitri Medvedev, sur le refus de la Russie de livrer à l'Iran des systèmes de défense antiaérienne S-300 et d’autres armements.

L'intention d'Ahmadinejad est claire : il veut montrer que la Russie n'était pas son centre de l'univers. Il existe d'autres alliés avec qui il lutte contre ‘’ l'entité sioniste ‘’ (c'est ainsi qu'on qualifie Israël en Iran, à l'instar de la propagande soviétique). Parmi ces alliés, les principaux sont la Syrie et le Liban. Ces derniers sont entrés en guerre avec Israël à plusieurs reprises et ont bénéficié dans ces guerres (toujours perdues) du soutien iranien.

Il existe certainement des gens en Russie qui parleront de la perte, en la personne de M. Ahmadinejad, « d’un allié important au Proche-Orient » et ‘’ d’un marché considérable d'armement ‘’. Soi-disant, l'allié nous quitte pour des ‘’ prés plus verts ‘’. Ne vous inquiétez pas, camarades! Le président Ahmadinejad, à l'instar du fabuleux Karlsson sur-le-toit (NdT : personnage des contes d'Astrid Lindgren), reviendra forcement, au moins pour la simple et bonne raison qu'il n’est pas particulièrement attendu au Liban. Du moins, peu de monde l'y attend.

Ahmadinejad est avant tout attendu par le Hezbollah (parti d'Allah) et ses alliés de coalition qui soutiennent la Syrie et l'Iran et bénéficient de tout type de soutien de ces pays. Mais le Hezbollah est le partenaire cadet de l'alliance libanaise au pouvoir, où la Coalition du 14 mars joue le rôle principal sans être considérée ni comme pro-syrienne, ni comme pro-iranienne. La coalition a été nommée en l'honneur du 14 mars 2005, lorsque les participants d'un énorme rassemblement au centre de Beyrouth (près d'un million de personnes, un nombre impressionnant pour un si petit pays) avaient exigé le retrait du Liban des troupes syriennes et l'ouverture de l'enquête sur ‘’ l'implication syrienne ‘’ dans l’attentat du 14 février 2005. Rappelons qu'à l'époque, l'explosion du cortège de l'ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri, avait causé la mort de ce dernier et de 17 de ses compagnons. Ce rassemblement a été surnommé ‘’ révolution du Cèdre ‘’. Saad Hariri, le fils de l'ancien premier ministre défunt, est actuellement à la tête du gouvernement. Sous sa direction, le Liban mène une politique étrangère équilibrée, le premier ministre et le président du Liban se rendent en visite à Washington et à Moscou, et tentaient d'empêcher une nouvelle guerre de 2006, lorsque, en réponse au meurtre de deux militaires israéliens par le Hezbollah, l'aviation et l'artillerie israéliennes ont détruit la majeure partie de l'infrastructure du Liban. Le premier ministre Saad Hariri et le président Michel Suleiman ont accepté d'accueillir le président iranien, mais ils n'ont pas l'intention de commencer une nouvelle guerre avec Israël en l'honneur de l'arrivée d'Ahmadinejad.

Les journalistes américains et la presse israélienne (surtout russophone) exagèrent donc fortement lorsqu'ils présentent la visite d'Ahmadinejad comme un affront au monde civilisé. Le public principal d'Ahmadinejad est en Iran. Un Iranien moyen doit comprendre que le président a encore des réserves. Mais le ministère des Affaires étrangères de l'Iran s'est pourtant empressé de démentir les déclarations de la presse israélienne concernant l'intention d'Ahmadinejad de jeter symboliquement une pierre en direction du territoire de ‘’ l'entité sioniste ‘’ à son arrivée à la frontière libano-israélienne. Connaissant la passion d'Ahmadinejad pour les gestes symboliques, les autorités libanaises lui ont certainement conseillé de s'abstenir. Malgré le fait qu'au sud du Liban la majeure partie de la population soit en faveur du Hezbollah en raison des fréquentes attaques d'Israël, et de la décoration du côté libanais de la frontière par les portraits d'Ahmadinejad, les autorités libanaises ne souhaitent pas entrer une nouvelle fois en guerre avec Israël pour des symboles. L'un des problèmes de la politique étrangère d'Israël concerne l'habitude de considérer le Liban comme une sorte d'ensemble en condamnant les autorités et l'armée libanaises pour les missiles lancés contre Israël par le Hezbollah. À maintes reprises l'armée israélienne avait frappé au Liban en cherchant à neutraliser les forces armées du Hezbollah ou autres extrémistes.

C'était non seulement cruel, mais également injuste car l'histoire a fait en sorte que les organisations paramilitaires, que les autorités étaient tout simplement incapables de contrôler, même avec la meilleure volonté du monde, agissaient sur le territoire du Liban. Rappelons que le Liban qui a prospéré pendant de nombreuses années et qui retrouve actuellement son éclat d'antan est l'un des plus malheureux pays du Proche-Orient ayant connu pendant 14 ans, de 1975 à 1989, la guerre civile entre les diverses communautés religieuses. Certains voisins, parmi lesquels on trouve malheureusement Israël, ont profité de l'affaiblissement du Liban. Mais ni Jérusalem, ni Beyrouth ne paraissent prêts à refaire cette erreur.

La visite d'Ahmadinejad ne sera donc pas spectaculaire. Ahmadinejad a peu de chance de la ‘’ vendre ‘’ aux compatriotes éclairés comme un grand changement de l'axe de politique étrangère en basculant de la Russie insidieuse aux frères-musulmans du Liban. Premièrement, car les liens de l'Iran avec le Hezbollah n'enrichissent pas les Iraniens moyens, au contraire : le Hezbollah reçoit de l'Iran de l'armement et de l'argent sans rien donner en retour. Deuxièmement, même avec beaucoup de volonté, le Liban et la Syrie ne pourront pas remplacer la Russie en tant que partenaire militaro-technique. En l'absence de sa propre production d'armement ces pays sont incapables de fournir l'aide nécessaire à l'Iran pour terminer le long programme de réarmement de son armée, principalement grâce à l'armement russe. Or, Téhéran est le premier responsable de l'abandon temporaire des relations militaro-techniques avec la Russie.

Rappelons que la décision de ne pas approvisionner l'Iran en armement a été prise par la Russie en respectant ses obligations de membre du Conseil de sécurité de l'ONU. Le 9 juillet 2010, le CS avait déjà voté des sanctions contre l'Iran en raison de la coopération insuffisante avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui contrôle la non-fabrication et la non-détention d'armes nucléaires sur le territoire iranien. L'Iran avait accepté cette responsabilité en adhérant au Traité de la non-prolifération d'armes nucléaires (TNP), et Ahmadinejad n'a donc pas à chercher un bouc émissaire. Néanmoins, Téhéran avait proféré des insultes à l'égard de Moscou avant la signature du décret par Medvedev, et plus particulièrement après. Comment peut-on interpréter des propos d'Ahmadinejad déclarant que son homologue russe Dmitri Medvedev ‘’ était devenu le messager des plans des ennemis de l'Iran ‘’, en participant, soi-disant, à la campagne visant à ‘’ intimider ‘’ l'État perse dans l'intérêt de l’Etat juif? Or cette déclaration, faite en juin, précède largement l'interruption du contrat avec la Russie pour l'approvisionnement en S-300. Qui doit être accusé de la rupture des relations après cela?

Cette histoire donne une leçon positive aux États-Unis. En lançant le redémarrage des relations avec la Russie, en abandonnant la confrontation préconisée par George W. Bush, Obama et son administration ont approché de l'objectif qui paraissait impossible pendant la guerre en Irak : l'isolation concrète du régime iranien. Rappelons que jusqu'à aujourd'hui les présidents iraniens considéraient la visite des ‘’ clients ‘’ en Syrie et au Liban comme un acte indigne. Généralement, les ambassadeurs iraniens ou autres représentants du chef de l'État étaient chargés de cette mission. La course d'Ahmadinejad à travers la région signifie qu'il sent qu'il perd pied. Rappelons que la politique de confrontation menée par Bush de l'époque avait seulement renforcé l'Iran, en le délivrant (temporairement) de son ancien concurrent arabe, le fort voisin irakien.

Cela donne également une leçon à la Russie. En signant des contrats il ne faut pas être séduit seulement par les chiffres à plusieurs zéro, parfois il est utile de bien examiner son partenaire, son régime interne et sa réputation internationale. Dans le cas contraire, il existe un risque de multiplier des partenaires insolvables, à l'instar de ceux de l'Union soviétique à qui cette politique avait coûté plusieurs centaines de milliards de dollars. De ces bons vieux dollars d’antan, tellement plus chers que ceux d’aujourd’hui…



Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur

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