Le premier ministre russe Vladimir Poutine a participé hier au forum d'investissements ‘’ La Russie appelle! ‘’ organisé par la société VTB Capital. Le chef du gouvernement a assuré aux investisseurs potentiels que l'économie nationale avait surmonté la crise, qu'elle n'avait plus besoin de ‘’ mécanismes extraordinaires ‘’ et de ‘’ tirelires ‘’ anticrise et que le budget de l'année prochaine ne prévoyait pas de fonds anticrise spécial. Cependant, les investisseurs potentiels ont préféré concentrer l'attention non pas sur les succès, mais sur les problèmes, notamment sur le fait que l'afflux des investissements dans l'économie russe est trop limité.
Le problème des investissements comprend deux aspects : juridique et économique. On avait beaucoup parlé de l'imperfection de la législation russe sur la protection des intérêts des investisseurs, des actionnaires minoritaires des entreprises, etc. Ce problème n'a pas été négligé à la réunion d'hier. Le Premier ministre a entendu beaucoup de questions désagréables et promis de prendre des mesures pour remédier à cette situation.
Mais les perspectives très incertaines de l'économie russe sont un obstacle non moindre au boom d'investissements dont rêvent les fonctionnaires russes. Les prévisions économiques des autorités se fondent sur l'argument que la crise est surmontée, assertion toutefois contestable. Le caractère et la structure de l'économie nationale sont tels que ses fluctuations dépendent entièrement de la conjoncture mondiale. Effectivement, nous avons effectué un ‘’ bond ‘’ grâce au redressement des marchés mondiaux, les principaux secteurs d'exportation – les hydrocarbures et l'énergie, la métallurgie, l'industrie chimique – sortent graduellement de la récession. Mais il y a de sérieux soupçons que les sources de cette croissance sont épuisées : les exportations stagnent tandis qu’on observe un accroissement des importations dans un contexte de hausse du rouble.
D'autre part, le sort de l'économie mondiale reste incertain. D'éminents experts, comme par exemple Nouriel Roubini, professeur à l'Université de New York, estiment que la deuxième vague de la crise est fort probable. Même si l'effondrement des marchés observé en 2007-2008 n’est plus d’actualité, une série de micro-crises, caractérisées par des dépôts de bilans éparses sur fond de croissance très lente peut s’étirer sur une dizaine d'années. S’en remettre à une croissance conjoncturelle certaine serait bien hardi dans cette situation.
Admettons que l'économie mondiale et, par conséquent l'économie russe, ont effectivement commencé à sortir de la crise. Alors on verra surgir inévitablement une question non moins importante pour les investisseurs potentiels : quelle sera la base de la croissance après la crise? La voie classique à suivre pour surmonter une crise cyclique – appelons la celle des investissements – suppose un afflux accéléré d’investissements, le renouvellement généralisé des principaux fonds et l'implantation d'innovations, ce qui doit avoir pour résultat la croissance de la productivité du travail et de l'économie dans son ensemble. Une autre variante, ‘’ consommatrice ‘’, repose sur la hausse accélérée, non proportionnelle à la croissance de la productivité du travail, des salaires et des crédits à la consommation. Il est facile de remarquer que la deuxième variante reproduit exactement notre modèle d'avant la crise fondé sur les matières premières.
Malheureusement, il n'y a pas de réponse intelligible à la question de savoir quelle voie sera choisie par les autorités russes. La rhétorique des fonctionnaires témoigne, semble-t-il, d’une préférence pour la première, mais leurs actions réelles suggèrent la deuxième. Même l'agenda économique du gouvernement formulé hier – ‘’ Le développement stable et la modernisation des secteurs clés de l'économie ‘’ – semble ambigu. Surtout si l'on se rappelle que les secteurs clés de l'économie russe sont aujourd'hui, comme cela a déjà été mentionné, les hydrocarbures et l'énergie, la métallurgie et l'industrie chimique. Ils reçoivent effectivement des investissements, on modifie pour eux la législation (par exemple, la diminution de l'impôt sur l'extraction des minéraux utiles en cas d'exploitation de nouveaux gisements), même la prochaine adhésion du pays à l'Organisation mondiale du commerce répond avant tout aux aspirations des exportateurs de matières premières et de produits semi-fabriqués. Par contre, l'adhésion à l'OMC ne promet rien de bon aux agriculteurs, au secteur financier, aux assureurs et à beaucoup d'autres. A la différence de l'industrie minière, l'industrie de transformation endure une véritable disette d'investissements. Certains projets intéressants, par exemple dans l'industrie aéronautique ou dans le nucléaire civil, ne suffisent pas à dissimuler la tendance générale. De plus, la situation la plus déplorable est celle d’une industrie majeure : la production de machines-outils et d'équipements où, selon les experts du Centre d'analyse macroéconomique et de prévisions à court terme (TsMAKP), il n'y a guère de signes de croissance possible.
Le budget du pays pour 2011-2013, entériné lors de la réunion du gouvernement le 23 septembre, peut être difficilement perçu comme postérieur à la crise, car ses principaux postes de dépense sont l'industrie d'armement et le secteur social, alors que les sommes allouées à la diversification de l'économie constitueront environ 6% des dépenses. A propos, il sera de plus en plus difficile d'une année sur l'autre de tenir les engagements sociaux élevés du budget. Cela concerne surtout les retraites. En raison de la détérioration de la situation démographique, il y aura dans dix ans un travailleur pour deux retraités. Dans cette situation, repousser l’âge légal de la retraite deviendra inévitable, d'autant plus que cette mesure permettra d’accroître la main-d'œuvre tellement nécessaire à une économie en croissance.
Mais quelle sera cette économie? Pour l'instant, il n'y a pas de déficit de main-d'œuvre dans le pays (ce problème se posera crûment probablement à partir de 2015), au contraire, les dirigeants de nombreuses régions ne savent pas comment régler le problème du chômage. Cependant, la voie des investissements suppose l'accroissement de la productivité du travail et, par conséquent, des suppressions inévitables d'emplois. Selon les estimations des experts du TsMAKP, le simple rééquipement des entreprises russes en matériel moderne (la plupart d'entre elles utilisent les équipements datant des années 1980) conduira à la suppression de 30% à 50% voire 80% des effectifs. En revanche, si l'on opte pour la voie de la consommation, ce problème ne se posera pas, car elle suppose la conservation du retard technologique qui doit être compensé par la saturation du marché en main-d'œuvre bon marché et peu qualifiée.
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