Le forum mondial de la politique à Iaroslavl, lors duquel les chefs d'État russe et sud-coréen ainsi que le premier ministre italien ont tenu un discours, a curieusement confirmé les conclusions récentes des experts du club international de discussion Valdaï qui avaient visité plusieurs régions russes et rencontré le premier ministre Vladimir Poutine. Certains membres du club ont participé à la partie ouverte du forum de Iaroslavl et à la réunion spéciale du président russe Medvedev avec des politologues.
Les évaluations des problèmes et des réussites de la modernisation russe, et même la formulation des questions, ont coïncidé. Rappelons que les membres du club Valdaï avaient consacré une majeure partie des discussions à l'histoire de la Russie et à son influence (hélas, souvent négative) sur la situation actuelle dans le pays. Et aujourd'hui, le président Dmitri Medvedev, lors de la rencontre avec les politologues dans le cadre du forum de Iaroslavl, met l'accent sur l'inertie de l'histoire qui définit toujours majoritairement le développement du pays. RIA Novosti cite une phrase du président sur le fait que la Russie, hormis les vingt dernières années, n'a pas connu de régime démocratique. " Nous avons un millénaire d'histoire autoritaire. Nous sommes un exemple intéressant de la manière dont pourrait se développer la démocratie dans le cadre d'une histoire autoritaire très puissante ", a déclaré Dmitri Medvedev.
Est-ce que le fait que le régime démocratique n'ait jamais existé en Russie signifie que les Russes ont été et demeurent privés de liberté? Non, et Adam Mikhnik, le rédacteur en chef de Gazeta Wyborcza, en a parlé avec conviction lors du forum, en se qualifiant de russophile antisoviétique. D’ailleurs, depuis les siècles, auxquels a fait référence le président russe, en Europe, on a pris l'habitude de séparer dans notre pays l'individu et l'État. Cela est souvent juste mais sert parfois également de camouflage à la russophobie : nous aimons les Russes mais nous n'aimons pas Kremlin, et le fait que tous les Russes soient frappés d'ostracisme en même temps que Kremlin est une désagréable inéluctabilité.
Néanmoins, même les critiques les plus ardents de la Russie ne peuvent nous refuser complètement notre liberté individuelle. D'autres membres du club Valdaï en ont également parlé, en faisant référence à l'historien Vassili Klioutchevski, dont les livres restent encore d'actualité aujourd'hui grâce à l'absence totale de conjoncture politique. Vladislav Sourkov, le premier adjoint du chef de l'administration présidentielle, s'est exprimé à sa manière sur la situation lors du forum de Iaroslavl. " Je ne sais pas si je suis un démocrate ou pas, mais je suis un homme libre ", cite Rossiïskaïa gazeta Sourkov.
Ce paradoxe de l'histoire russe, d'un pays privé de liberté mais peuplé d’un grand nombre de personnes libres, a trouvé expression dans l'Indice de Valdaï. Ce document représente une statistique du développement de la Russie entre les réunions annuelles du club, fondée sur les évaluations et les impressions des membres du club Valdaï. Le président et le premier ministre de la Russie ont pris connaissance de l'Indice de Valdaï. On pourrait difficilement qualifier cette statistique de lecture très plaisante pour le président, les membres du club ont répondu avec le plus de critique à la demande de déterminer " l'état actuel du système politique de la Russie ". Rappelons que cet état devait être principalement changé pour le mieux par la réforme politique, dont les thèses avaient été présentées par Dmitri Medvedev il y a précisément un an dans son article " La Russie, en avant! ", devenu le sujet principal du précédent forum politique. 52% des membres interrogés du club Valdaï n'ont pas noté d'améliorations de la politique russe, et beaucoup ont même remarqué " une sérieuse détérioration ". Eh bien, la liberté commence par la possibilité d'exprimer un avis négatif.
Mais les membres du club Valdaï ont été beaucoup plus positifs à l'égard d'autres questions : 74% des membres ont positivement noté l'intensification de l'activité diplomatique de la Russie, 69% ont remarqué du progrès dans le rôle de la Russie dans la sécurité mondiale. De la même manière que les évaluations peu flatteuses des processus politiques, ces informations reflètent la réalité objective : la Russie est aujourd'hui un État pragmatique et pacifique, qui n'impose à personne son mode de vie ou son idéologie.
L'évaluation des membres concernant " la dimension humaine " du développement de la Russie pourrait également paraître faible. Seuls 38% remarquent un progrès, 12% ont même noté une régression. La majorité, 50%, n'ont remarqué aucun changement, positif ou négatif, en un an. Comme l'a fait remarquer Dmitri Medvedev, le développement de la démocratie ne peut pas aller plus vite que le développement de l'homme, de sa personnalité, de son éducation, de son respect de soi. Et ici nous avons d'importants problèmes, surtout depuis ces dernières années. " La majorité, même au XXIe siècle préfèrent dire qu'ils ne sont pas libres, qu’ils sont humiliés et que rien de dépend d'eux. Une telle position s'avère confortable. Si tu ne peux rien faire, on n'exige rien de toi ", a fait remarquer Medvedev lors du forum. Selon le président, le degré de certitude qu’ont les citoyens de vivre dans un État démocratique est l'un des critères principaux du développement de la démocratie. Cette certitude doit être totale, or en Russie elle est généralement basse. Cette situation s'explique partiellement par des raisons objectives mais on y décèle également un simple " évitement des responsabilités " . D’ailleurs, les difficultés objectives ne sont pas une raison pour baisser les bras. Les membres américains du club Valdaï le savent particulièrement bien.
" Nous, les Américains, nous avons beaucoup de défauts mais la majorité de la population américaine garde la foi en l’existence de la démocratie dans leur pays, fait remarquer Timothy Colton, le doyen du département de l'administration publique de l'université de Harvard. Ils sont probablement guidés par la naïveté mais cette foi naïve nous protège des dictatures. Et c'est probablement pour cette raison que les Américains font davantage confiance aux établissements, aux institutions, plutôt qu’à de " bons " politiciens nantis de pouvoirs spéciaux ".
C’est Timothy Colton, probablement poussé par sa foi américaine, qui a posé cette question à Sotchi à Vladimir Poutine : comment compte-t-il augmenter dans la politique russe le rôle des institutions, au lieu des personnalités? Malheureusement, selon le discours de Dmitri Medvedev au forum de Iaroslavl, la Russie cherche la réponse à cette question depuis plusieurs siècles. Et pourtant il faut bien qu’elle finisse par la trouver.
Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur
Le forum de Iaroslavl : qu'en est-il de la démocratie?
14:33 13.09.2010 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
© RIA Novosti . Ilya Pitalev
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Le forum mondial de la politique à Iaroslavl, lors duquel les chefs d'État russe et sud-coréen ainsi que le premier ministre italien ont tenu un discours, a curieusement confirmé les conclusions récentes des experts du club international de discussion Valdaï qui avaient visité plusieurs régions russes et rencontré le premier ministre Vladimir Poutine.