Nacho Duarte : « commencer une nouvelle vie à Saint-Pétersbourg »
« Je me mets au russe et vous vous mettez à l'espagnol. Ce sera un véritable échange culturel », -a dit le chorégraphe espagnol de renomée mondiale Nacho Duarte qui a annoncé la semaine dernière qu'il acceptait la direction de la troupe de ballet du Théâtre Mikhaïlovski de Saint-Pétersbourg.
Le contrat du chorégraphe avec le Théâtre national de ballet d'Espagne expire cette année. Duarte a consacré à cette troupe vingt années de sa vie. Il l'a rendue célèbre mais pas reçu l'offre de reconduction du contrat. Il a en revanche reçu un foisonnement des offres venant des quatre coins du monde. Son choix s'est finalement porté sur la Russie parce qu'il pense que la ville de Saint-Pétersbourg est le lieu qui convient aujourd'hui le mieux à un chorégraphe.
J'aurais pu rester chez moi et vivre sur les honoraires que me procurent mes ballets mis en scène partout dans le monde, - dit Monsieur Duarte. Le travail de direction ne me passionne pas trop mais j'aime rester en contact avec les danseurs et le public, je veux créer une troupe de ballet unique. L'offre que j'ai reçue de Saint-Pétersbourg est un vrai défi pour moi. C'est la possibilité d'apprendre une nouvelle langue, d'assimiler une nouvelle culture, de découvrir de nouveaux danseurs. Si j'avais loupé cette chance, je l'aurais regretté toute ma vie. Je considère ce projet comme un cadeau pour moi. Le projet que j'ai choisi est incroyablement complexe mais je me dépenserai sans compter pour le mener à bien.
Fondé en 1833, le Théâtre Mikhaïlovski fut un temps le théâtre favori de la famille impériale nonobstant le fait que c'est le Théâtre Mariinski qui avait toujours porté le titre officiel de Théâtre Impérial. C'est ici qu'étaient invitées en tournées prolongées les troupes européennes les plus connues et les personnalités célèbres comme le compositeur Johann Strauss. Le théâtre ne s'est doté d'une troupe permanente d'opéra et de ballet qu'à l'époque soviétique. Et, comme se plaisaient à répéter les critiques soviétiques, il est devenu un laboratoire de l'opéra et du ballet modernes. Les oeuvres des classiques du 20ème siècle : Prokofiev et Chostakovitch, ont vu le jour précisément sur la scène du Petit théâtre d'opéra, le nom que portait à l'époque le Théâtre Milhaïlovski. D'autres tendances déterminent aujourd'hui la physionomie du théâtre qui existe dans une grande mesure grâce aux fonds alloués par son directeur, l'entrepreneur Vladimir Kekhman. Les théâtres privés ou à peu près se comptent en Russie sur les doigts d'une main. La troupe du théâtre devenait de plus en plus internationale au fil des saisons pour ne citer que les opéras dans la mise en scène des Italiens Liliana Cavani et Fabio Spravoli et leur compatriote Daniele Rustioni comme chef d'orchestre. En 2009, la direction d'orchestre a été confiée au maître slovaque Peter Feranets et voilà que l'Espagnol Nacho Duarte en vient à diriger la troupe de ballet.
L'invitation de Nacho Duarte s'inscrit dans le prolongement d'une tradition interrompue il y a plus de cent ans, quand la troupe de ballet russe, celle du théâtre Mariinski plus particulièrement, était dirigée par le Français Marius Petipa. Depuis les étrangers n'étaient jamais invités à assumer le rôle de leaders du ballet national. Le directeur du Théâtre Mikhaïlovski Vladimir Kekhman s'y est décidé pour plusieurs raisons : « La possibilité de travailler sous la direction de ce grand maître est un privilège qui engage la responsabilité. En effet, notre troupe pourra assimiler le style, le langage et les idées chorégraphiques du grand artiste dont l'oeuvre façonne le lendemain du ballet mondial. En même temps, le travail de Nacho Duarte en Russie contribuera à former de jeunes chorégraphes russes ».
Nacho Duarte se mettra donc à travailler en Russie à partir du mois de janvier prochain.
Je viendrai à Saint-Pétersbourg pour commencer une vie nouvelle, - dit le chorégraphe. - Je n'aurai qu'une valise et une tête pleine d'idées nouvelles.
La prochaine saison devra révéler ces idées et leur incarnation par les danseurs russes. Le pemier spectacle devrait sortir dès le mois de mars.
Alexandre Avdeev : les merites passes ne comptent pas quand il s'agit de culture
Le rideau vient de tomber sur la saison théâtrale en Russie. Il faut profiter de l'intermède pour essayer d'analyser les succès et aussi les échecs. Telles ont été les grandes lignes de l'intervention du ministre russe de la Culture Alexandre Avdeev à la chaîne de télévision nationale.
Quels ont été les moments les plus forts de la saison passée? Dans le cas d'Alexandre Fadeev qui avait pendant longtemps occupé le poste d'ambassadeur de Russie en France, on s'attendrait naturellement à dire que c'était le programme culturel de l'Année croisée France-Russie. Mais non!
A mon avis le moment le plus fort a été la célébration du 150ème anniversaire de la naissance d'Anton Tchékhov, - dit le ministre. Ces commémorations ont pris les allures de fête nationale. Nos théâtres ont mis en scène des spectacles superbes en prévision de cette date. En effet, il y a eu deux, trois et même quatre spectacles inspirés de Tchékhov dans chaque théâtre digne de ce nom et nous en avons beaucoup! Le Festival international Tchékhov qui avait réuni les meilleurs metteurs en scène du monde entier s'est déroulé avec un grand succès à Moscou. Les critiques de théâtre ont organisé une conférence consacrée à Tchékhov. Fait intéressant, les librairies ont vendu toutes les oeuvres de Tchékhov qu'elles avaient en stock. Le pays tout entier vivait sous le signe de l'anniversaire de Tchékhov, de son génie, des ses oeuvres dramatiques et littéraires. Je trouve que c'est magnifique.
Le reste de l'interview du ministre était consacré aux problèmes. Au cours de la saison passée le ministère russe de la Culture a renouvelé pour une bonne part la direction de nombreux musées et théâtres les plus prestigieux. Ces remaniements ont suscité des réactions mitigées de la part des personnalités de la culture, surtout quand on faisait démissionner des dirigeants méritoires ayant pendant longtemps assumé la direction d'établissements cultrels. Voilà l'explication donnée par Alexandre Avdeev :
Je suis partisan du système contractuel, - a déclaré le ministre. - On ne devrait pas devenir un monument de soi-même. Tous les quatre ans, il faut soit reconduire le contrat, soit partir et tout recommencer à zéro. Les mérites passés ne comptent pas, c'est cela qui détermine la vitalité de la culture. Même quand on a monté un grand nombre de bons spectacles et crée une troupe qui tient la route, il faudra au bout de quatre ans soit renouveler le contrat, soit chercher un nouvel emploi. Le système contractuel stimule la culture et la créativité. Et puis - c'est un défi! Il faut surivre en milieu concurrentiel, prouver que tu es le meilleur. Tu as quatre ans pour le faire.
A propos, cette démarche permet d'apaiser dans une certaine mesure le conflit générationnel, - explique le ministre.
Loin de moi est l'idée d'introduire une segmenation générationnelle et une discrimination en fonction de l'âge. Mais il faut aussi confier davantage de responsabilités aux jeunes réalisateurs dans le théâtre et le cinéma en laissant librement s'épanouir leurs potenialités créatrices. Leurs recherches créatrices ne devraient pas pour autant conduite à des dépenses excessives. On a récemment confié la mise en scène d'un spectacle à un jeune réalisateur. Le spectacle qui était loin d'être un vrai succès avait néanmoins coûté un million de dollars. C'est un jeune homme de talent mais j'ai critiqué les responsables du théâtre parce moyennant cette somme on aurait pu monter deux ou trois spectacles. Oui, il faut accepter les risques et faire confiance aux gens mais tout à son prix.
Le financement et le budget des établissements de culture restent comme par le passé la question la plus douloureuse pour le ministre. Alexandre Avdeev n'a pas confirmé pour autant la rumeur persistante que les fonds publics alloués à la culture seraient réduits de près de 30% en 2011.
Je pense que nous aurons autant de crédits que l'année dernière. Mais c'est nettement insuffisant, - est convaincu Alexandre Avdeev. Nous n'avons pas pu résoudre deux problèmes principaux. Premièrement, ce sont les bas salaires des travailleurs de la culture surtout en province. Deuxièmement, c'est la vétusté du fonds immobilier dont l'entretien et la réparation nécessitent des investisements énormes. C'est comme une boule de neige. La culture est le secteur qui occupe quatre millions de personnes, - a souligné le ministre, - et tous ces gens, surtout les jeunes, attendent beaucoup de l'Etat. Nous devons justifier ces attentes et faire tout notre possible pour la promotion de la culture. Je tiens également à souligner que la culture est un puissant accélérateur de la création de la société civile en Russie. La démocratisation et la formation de l'état de droit sont imposibles à défaut de culture. Je dirais plus : la cohésion de notre énorme pays multinational repose tant sur la Constitution, les objectifs et les idéaux communs que sur notre grande culture. La culture est la base sur laquelle repose l'identité nationale, la grandeur du pays et son avenir, - a dit en conclusion Alexandre Avdeev.
Notre homme a Venise
Le cinéma d'auteur et expérimental sera au centre de programmation de la 67ème édition du Festival de Venise qui se déroulera du 1er au 11 septembre. Il y aura également un film russe au concours principal de ce prestigieux forum cinématographique international.
Le Russe Alexeï Fedortchenko fera concurrence à 22 autres participants du concours. Il a débuté il y a cinq ans comme réalisateur de longs métrages avec sa bande pseudodocumentaire « Les premiers sur la Lune » et a d'emblée obtenu une consécration internationale. D'ailleurs, c'est précisément au Festival de Venise qu'il s'est vu décerner un prix dans la nomination « Les horizons ». A présent, après une deuxième invitation à ce forum prestigieux, Alexeï Fedortchenko est, si l'on peut dire, un vieux routier de Venise.
Sa nouvelle bande sélectionnée pour le concours s'appelle « Les bruants ». Les bruants sont de modestes petits oiseaux qu'on met souvent en cage avec les canaris pour que ceux-ci apprennent à chanter auprès d'eux. Mais le film n'a rien à voir avec l'ornithologie. « C'est un film qui mène à la découverte des endroits cachés de tendresse et de mélancolie », - lisons-nous dans les annonces. Le scénario est de l'écrivain Denis Osokine avec qui Alexeï Fedortchenko fait équipe. Le sujet relève d'une histoire simple et compréhensible à tout un chacun : l'homme va enterrer sa femme dans les lieux où le couple avait été jadis heureux. « La nouvelle de Denis Ossokine séduit surtout par son accent de vérité psychologie qui se passe de toute affectation », - a fait remarquer Alexeï Fedortchenko dans une interview à la « Voix de la Russie ».
Je crois que c'est précisément ce qui manque aujourd'hui dans le cinéma et la vie - la paisible beauté et la douce mélancolie, - explique le réalisateur. C'est pour cela que je me sens très attaché à l'oeuvre de Denis Ossokine qui est un écrivain remarquable. Loin de moi est l'idée de « me hisser au rang des élus », je fais tout simplement ce que j'aime. - poursuit Alexeï Fedortchenko. J'ai pu le faire jusqu'ici et j'espère que je vais continuer sur la lancée parce que Denis avait déjà écrit trois nouveaux scénarios pour moi qui sont nettement en rupture avec le mainstream contemporain.
Alexeï Fedortchenko ne fait aucune prévision concernant la destinée de son film au Festival de Venise. Il pense que le fait que son film ait été sélectionné pour le concours relève déjà du succès.Mieux encore, ce n'est pas son succès personnel mais celui de la cinématographie russe dans son ensemble.
Les films russes sont régulièrement présentés au Festival de Venise et sont souvent primés. L'exemple le plus récent est la victoire sensationnelle du film d'Alexeï Zviaguintsev « Le retour » qui a reçu deux grands prix, deux « Lions d'Or » à la fois. Les films russes sont également et assez souvent projetés hors concours principal. Convenez que c'est aussi une marque d'honneur surtout quand il s'agit d'un des trois meilleurs festivals du film dans le monde. Ce sera aussi le cas cette année avec trois bandes dans la nomination « Les horizons » qui a porté chance à de nombreux réalisateurs russes et reste ouverte aux expérimentations les plus audacieuses.