Il y a 35 ans, le 1er août 1975, pratiquement tous les pays du Vieux monde avec les États-Unis et le Canada réussissaient à trouver un accord politique concernant les questions majeures. Dans la capitale de la Finlande, à Helsinki, le texte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe était signé.
Seule l’Albanie n’a pas participé à cet événement en raison de la longue période d’isolement volontaire. Tous les autres pays européens, les pays qu’il était coutumier à l’époque de qualifier de capitalistes et, évidemment, les pays socialistes ont préféré le compromis à la confrontation.
Ce sont précisément les pays représentés par l’Union soviétique qui ont été les initiateurs de cette conférence et de l’accord. Cela faisait partie de la politique que les médias soviétiques qualifiaient de « détente », l’une des tendances principales du gouvernement de Leonid Brejnev en URSS. Aujourd’hui, cette période reste dans les mémoires en tant que « période de stagnation ». Pourtant, dans la politique extérieure elle se caractérisait par un dynamisme important plutôt que par la stagnation.
Le Traité d’Helsinki n’a pas mis fin à la guerre froide entre les deux blocs. Il a été suivi de l’invasion de l’île de la Grenade par les troupes américaines, par la guerre civile à Nicaragua, dans laquelle l’URSS et les États-Unis participaient « à distance », et, enfin, par l’agression soviéique contre l’Afghanistan. La situation en Europe a pu être gelée en déterminant le statu quo, c’est-à-dire la situation réelle.
Tous en ont tiré profit. Ainsi l’accord consolidait-il finalement l’inviolabilité des frontières en Europe après la guerre. Cette disposition était surtout favorable à l’URSS et aux pays du Pacte de Varsovie. La séparation de L’Allemagne entre Allemagne de l’Ouest et Allemagne de l’Est – qui ont signé l’acte séparément – et l’adhésion des républiques baltes à l’URSS étaient fixées une bonne fois pour toute. Du moins, c’est ce qui semblait à l’époque.
Les contre-agents d’Europe occidentale pouvaient compter en retour sur le principe, fixé par le Traité, de non-intervention dans les affaires internes d’autres pays, y compris à l’aide des troupes militaires. Ainsi, ils comptaient empêcher la répétition des événements de 1956 en Hongrie et de 1968 en Tchécoslovaquie, où l’URSS avaient envoyé ses contingents armés pour rétablir l’ordre communiste.
Cependant, après l’éclatement d’une grave crise politique en Pologne, ce n’est pas le Traité d’Helsinki, que Moscou était prêt à enfreindre, qui a empêché l’envoi des troupes soviétiques mais la position ferme du général Wojciech Jaruzelski, le président de la Pologne, qui a réussi à décréter à temps la loi martiale.
Mais toutefois, les signataires européens du Traité n’ont pas quitté Helsinki les mains vides. Si les pays du bloc de l’Est en ont tiré un profit immédiat, les États-Unis et leurs partenaires ont su s’octroyer des bénéfices à long terme. Ils ont parié sur le futur conflit interne qui détruirait prochainement tout le « camp socialiste » et l’Union soviétique en particulier.
Les germes de ce futur conflit étaient dissimulés dans ce qu’on appelle un panier humanitaire, le septième chapitre du Traité intitulé « respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, y compris de la liberté de pensée, de conscience, de religion et d’opinion ». En lisant ce chapitre les dirigeants du parti et du gouvernement soviétique auraient tout à fait pu s’exclamer, à l’instar d’Oleg le Sage dans le poème d’Alexandre Pouchkine : « Voici où se cachait ma mort ! » Apparemment, les membres de la délégation soviétique le ressentaient instinctivement car une longue et pénible lutte cachée s’orchestra autour des formulations de ce chapitre.
Mais, en fin de compte, il a été impossible de ne pas signer sous les mots fort justes : « Les pays-membres respecteront les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion et de conviction pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion. Ils encourageront et favoriseront la satisfaction réelle des droits et des libertés civils, politiques, économique, sociaux, culturels et autres qui découlent de la dignité inhérente à la personnalité humaine et sont existentiels à son développement libre et intégral ».
En fait, ces phrases en apparence inoffensives se sont avérées être une mine posée sous le système mondial du socialisme. Aucun doute, le Traité était un document déclaratif et même hypocrite. Aucun pays ne comptait le suivre à la lettre. Cela concernait principalement la situation à l’égard des droits de l’Homme et des libertés en URSS.
Les dissidents soviétiques ont toutefois obtenu une base juridique internationale solide pour justifier leurs activités et les gouvernements occidentaux ont obtenu un moyen puissant de pression sur Moscou et sur les pays de l’Europe de l’Est sous son contrôle.
Voici ce qu’a écrit à ce sujet Iouri Orlov, l’organisateur et le premier dirigeant du groupe dissident de protection des droits de Moscou-Helsinki : « Les accords ont formellement transféré les droits de l’Homme de la sphère des vœux pieux et de nos « affaires internes » vers celle de la politique internationale concrète, bien que le régime soviétique ne l’eût pas reconnu, et l’Occident ne l’eût pas encore utilisé. De simples déclarations auprès de la communauté européenne ne serviront à rien, pensais-je. Il faut créer notre propre commission qui enverra aux gouvernements intéressés les documents attestant des infractions commises par les autorités soviétiques des obligations internationales qu’ils ont signées ».
Doucement mais sûrement, en déstabilisant, tels des taupes, les bases du système soviétique, les dissidents ont réussi à détruire l’une des superpuissances. Bien sûr, ce n’était qu’un facteur parmi tant d’autres. Il ne faut pas exagérer son rôle. Mais il ne faut pas le sous-estimer non plus. Pour cette raison, on pourrait dire qu’en 1975 dans la capitale de la Finlande, la « commission de liquidation » chargée de l’effondrement de l’URSS a démarré son activité.
Le cadre « d’Helsinki » n’a pas pu tenir plus de 15 ans en Europe. Ensuite il ne restait plus rien des principes de non-violation des frontières. L’ordre établi était si systématiquement et souvent enfreint qu’il a été préférable de tout simplement oublier cet accord. Formellement, le Trainté est toujours en vigueur, mais c’est une de ces formalités qui n’a aucune influence sur la politique réelle.
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.