Le Figaro
Les relations schizophréniques de Medvedev avec l'Iran
Si Moscou durcit le ton avec Téhéran, le chef du Kremlin n'est pas prêt à «lâcher» un allié stratégique.
Dans le long discours du président Dmitri Medvedev consacré lundi à l'évolution de la politique étrangère russe, la diplomatie américaine a relevé une seule phrase, qui a comblé d'aise Washington: «L'Iran est proche d'avoir le potentiel qui, en principe, peut être utilisé pour créer une arme nucléaire», a déclaré le chef du Kremlin devant les ambassadeurs russes réunis à Moscou.
La formule présidentielle a beau être soigneusement balancée, c'est la première fois que Moscou évoque en des termes aussi directs la menace sécuritaire de Téhéran. Ces déclarations fermes «montrent la coopération et la communion de vues que les États-Unis et la Russie ont atteint dans ce dossier», s'est félicité le porte-parole du département d'État, Philip Crowley.
Déjà, la Russie s'était jointe aux sanctions contre l'Iran adoptées dans le cadre de l'ONU. Plus récemment, Moscou a dénoncé la «démagogie politique» employée par le régime des mollahs, marquant un inhabituel durcissement de ton. La Russie s'inquiète d'une possible fuite en avant de l'Iran, pays avec lequel elle partage des frontières dans cette région si sensible de la mer Caspienne.
À défaut d'être nouvelles, ces craintes sont de plus en plus souvent exprimées à Moscou. Pour autant, la Russie n'est pas prête à «lâcher» un allié potentiel qui joue un rôle de contrepoids, à la fois vis-à-vis de l'Occident mais aussi de la Chine et de l'Inde. Construite sur une nébuleuse d'intérêts communs et contradictoires, «la politique duale de la Russie à l'égard de Téhéran ne cessera pas», pronostique Alexeï Malachenko, expert au Centre Carnegie, qui qualifie «d'opportunistes» les déclarations enjôleuses de Medvedev à l'égard de l'Occident. Dans son discours, le chef du Kremlin s'était également prononcé en faveur de nouveaux partenariats avec les États-Unis et l'Union européenne, afin de développer les échanges commerciaux.
«Schizophrénie»
Ce mercredi, le ministre russe du Pétrole, Sergueï Chmatko, recevra son homologue iranien, Massoud Mirkazemi. Gazprom entend participer au développement des gisements d'Azar et de Pars-Sud. La Russie devrait livrer cet été à l'Iran les éléments de la centrale nucléaire civile de Boucher, ce qui irrite les conservateurs américains. De même, Moscou aime à cultiver le flou sur la livraison au régime des Mollahs de missiles S-300. Signé en 2005, ce contrat n'a jamais été honoré.
Enfin, Moscou a reproché à Washington et à Bruxelles d'avoir récemment adopté, hors du cadre de l'ONU, des sanctions supplémentaires contre Téhéran. «Les Russes reconnaissent la menace sécuritaire que fait peser l'Iran, mais il y a aussi des possibilités commerciales», confesse le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates.
Les États-Unis s'accommodent de cette «schizophrénie» russe, qui leur permet de conserver, via Moscou, des canaux de dialogue officieux avec Téhéran.
Le Figaro
La Russie se gausse de ses espions amateurs
Moscou se sent floué après avoir échangé des agents de haut niveau contre une «bande de clowns».
Dix «clowns» contre quatre authentiques agents: voici à quoi se résumaient hier les commentaires relatifs à l'échange d'espions qui s'est noué vendredi sur l'aéroport de Vienne. Quarante-huit heures après le dénouement de l'affaire, Washington jubile. «Nous avons récupéré quatre très bons espions» russes, s'est félicité le vice-président américain, Joe Biden, regrettant simplement, sur le ton de la plaisanterie, d'avoir laissé partir Anna Chapman, dont le joli minois avait émoustillé la presse. Parallèlement, le FBI évite la tenue d'un procès aux États-Unis qui aurait pu révéler la maigreur des charges retenues contre les dix. À Moscou, en revanche, l'heure est à l'autoflagellation: «Il aurait fallu garder le secret sur ces négociations dont le résultat souligne les erreurs (de nos) services secrets», regrette le député Guennadi Goudkov, membre de la commission de la sécurité.
«Ce scandale suscite la honte et porte atteinte à la sécurité nationale», renchérit l'expert militaire Pavel Falgenhauer. Fait exceptionnel, la Russie, qui se contentait dans le passé de libérer des agents américains, relâche cette fois «ses propres traîtres». Parmi eux figure Igor Soutiaguine, un spécialiste en armement arrêté en 1999, qui a toujours clamé son innocence.
Doté de méthodes peu orthodoxes, le Service des renseignements extérieurs (SVR), qui porte la responsabilité du recrutement des dix «amateurs», est montré du doigt. Selon les experts, le SVR reste la seule agence de renseignement au sein de la communauté internationale à faire appel à des «illégaux». L'absence de toute protection officielle, notamment diplomatique, rend ces derniers rapidement vulnérables et repérables (par le FBI en l'occurrence), dès lors qu'ils s'approchent de sources sensibles. Ce recours aux «illégaux», qui avait débuté sous la période soviétique, est désormais critiqué. Il n'est pas sûr, pour autant, que le pouvoir russe procède à des purges au sein de l'institution.
Bataille médiatique
Son patron, Mikhaïl Fradkov, qui fut premier ministre de Vladimir Poutine, est en poste depuis seulement 2007, sept ans après le début de la constitution du réseau américain. Un délai trop court pour que le Kremlin soit tenté de lui faire porter le chapeau. «Le SVR reste fier de ses traditions et n'a jamais été réformé. Pour qu'il le soit, il faudrait constituer une commission d'enquête, qui pourrait être parlementaire par exemple. Mais ce n'est pas le genre de pratiques courantes en Russie, et l'enjeu n'en vaut pas la peine. Depuis la fin de la guerre froide, cette institution n'est plus un instrument privilégié de la politique étrangère», commente Andreï Soldatov, rédacteur en chef du site spécialisé agentura.ru.
Moscou préfère faire taire l'histoire au plus vite. La télévision publique, unique source d'information pour la grande majorité des Russes, fait désormais l'impasse sur le sujet des espions, permettant ainsi à Washington de remporter la bataille médiatique.
L'Orient le jour
La Russie prête à fournir l'Iran en produits pétroliers malgré les sanctions
La Russie est prête à fournir l'Iran en produits pétroliers malgré les sanctions américaines récemment adoptées et qui visent à perturber son approvisionnement en essence, a indiqué mercredi le ministre russe de l'Energie Sergueï Chmatko.
Les entreprises russes sont prêtes à effectuer des livraisons de pétrole vers l'Iran", a déclaré M. Chmatko lors d'une rencontre à Moscou avec le ministre iranien du Pétrole, Massoud Mirkazemi.
"La possibilité de livrer des produits pétroliers en Iran, à condition qu'il y ait un intérêt commercial, existe", a-t-il ajouté, cité par les agences russes.
Le président américain Barack Obama a promulgué le 1er juillet une nouvelle série de sanctions, votée par le Congrès, contre l'Iran, soupçonné malgré ses démentis de chercher à se doter de l'arme atomique sous couvert d'un programme nucléaire civil.
Ces sanctions s'ajoutent à la nouvelle résolution de l'ONU adoptée le 9 juin par les cinq puissances du Conseil de sécurité, parmi lesquelles figure la Russie.
Les sanctions américaines concernent des compagnies ou leurs filiales qui font des affaires avec l'Iran en fournissant des produits pétroliers raffinés ou en aidant l'Iran à se doter de capacités de raffinage. Elles empêchent les entreprises étrangères de passer des marchés publics avec le gouvernement américain si celles-ci font des affaires avec l'Iran.
A l'instar de Washington, l'UE a aussi décidé d'imposer des sanctions, qui doivent être finalisées le 26 juillet. Les Européens veulent interdire de nouveaux investissements, transferts de technologies, équipements et services dans le secteur du pétrole et du gaz.
Quatrième producteur mondial de pétrole brut, l'Iran manque de raffineries sur son sol national et dépend donc fortement des importations pour son approvisionnement en essence et produits raffinés.
M. Mirkazemi a de son côté assuré que les sanctions n'avaient pas d'effet sur son pays.
"Les sanctions n'ont pas eu d'influence sur le développement économique et industriel de l'Iran. Elles n'étaient pas dirigées contre l'Iran lui-même, mais plutôt contre les entreprises", a-t-il affirmé."Les sanctions n'auront aucune espèce d'influence sur la coopération entre la Russie et l'Iran", a de son côté soutenu M. Chmatko. Moscou avait déjà exprimé fin juin son mécontentement face aux mesures décidées unilatéralement par Washington et Bruxelles, craignant qu'elles aient un impact sur les entreprises russes.
M. Chmatko et M. Mirkazemi ont par ailleurs signé à Moscou une "feuille de route" sur leur coopération dans le secteur énergétique, prévoyant notamment la possibilité de créer une banque commune pour financer des projets dans les hydrocarbures.
Plusieurs groupes énergétiques russes ont signé des contrats importants avec l'Iran mais la plupart des projets sont en suspens en raison des sanctions internationales. Le deuxième producteur pétrolier russe, Loukoïl, a dû notamment abandonner cette année le projet Anaran.