De tous les plus grands problèmes mondiaux débattus au sommet du G20 à Toronto (Canada), les dettes sont le problème le plus grave. Et toutes les dérives qui vont avec: les déficits des budgets nationaux, la nécessité d'appliquer une politique d'austérité, de réduire les dépenses pour les besoins sociaux, de tronquer les retraites, les salaires, d'accroître les impôts, etc. Tout cela est la conséquence des dettes. A Toronto, on a dû reconnaître finalement que le monde avait vécu si longtemps à crédit – de fait, durant tous ces 25 dernières années –qu'il devait maintenant apprendre à se dégriser.
L'emploi de la terminologie ayant trait à l'alcool n'est pas du tout fortuit. Des économistes sérieux ont depuis longtemps comparé les dettes à l'alcool: les crédits facilement accordés dans les années 1990 et au début des années 2000 faisaient monter l'euphorie autant que le vin, le whisky ou la vodka. Après un crédit facilement obtenu, on avait envie d'en prendre un autre (deuxième, troisième …, cinquième), tout comme on a envie de boire un deuxième verre après le premier. Et on perd son self-control. Le dégrisement devenait inévitable et il est arrivé en prenant la forme de la crise financière de 2009-2009.
Il y a, d’ailleurs, une comparaison encore plus lugubre. Certains pensent que la crise des dettes est le châtiment de Dieu pour le gaspillage et l'arrogance de la consommation généralisée et, pour le confirmer, ils rappellent qu'en araméen (langue du Christ et de ses disciples) la « dette » et le « péché » sont des notions identiques. S'il était possible de guérir les « débiteurs » et les « pécheurs » par des indulgences du type des communiqués finals des sommets du G20 avec leurs solutions concertées, tout aurait été facile. Mais, de toute évidence, il sera difficile de régler ce problème. Il faut modifier toute la structure des dépenses publiques, le système financier mondial, vivre selon ses moyens et demander des emprunts en s'inspirant de la raison et non seulement du désir. Les « pécheurs » et les « débiteurs » devront apprendre à se repentir, ce qui ne signifie qu'une chose dans les conditions de l'économie globale: dépenser moins. Mais comment le faire?
Certes, la gravité des péchés (et l'amertume du dégrisement) est différente. En ce sens, la Russie a eu une chance énorme (avec les prix du pétrole, du gaz, les Fonds de réserve et de stabilisation : toutes les « tirelires » gouvernementales). L’endettement de la Russie est le plus insignifiant dans le G20 (la somme totale de la dette extérieure russe, y compris la dette publique, les dettes des entreprises privées et celles des consommateurs). D'après les données de la société McKinsey Global Institute de Washington, l'un des centres les plus prestigieux d'étude de l'économie globale (sa filiale se trouve à Moscou), notre dette extérieure pour 2010 représente 71% du PIB (produit intérieur brut). Les Japonais ont battu un record en ce sens: 471% du PIB. Viennent ensuite les Britanniques (466%), les Espagnols (366%), les Français (322%), les Allemands (286%). La dette extérieure des Etats-Unis constitue 296% du PIB. Elle est de 158% en Chine et de 129% en Inde. Tous ces indices signifient des centaines de milliards de dollars de dette.
Une dette représentant des centaines de pour cent du PIB signifie que les montants des emprunts dépassent de plusieurs fois ce qu'on gagne. Les chiffres cités sont stupéfiants en soi, mais ils ne constituent pas un record, car on peut en venir à bout. Un record signifie que les emprunts sont illimités, comme, par exemple, ceux de l'Islande (1200% du PIB!!!) et de l'Irlande (700% du PIB). Il convient de signaler, à titre de comparaison, que ces indices en Norvège, en Finlande, en Suède et au Danemark offrent un contraste saisissant: le PIB de la Norvège est de 156% supérieur à sa dette extérieure, celui de la Finlande, de 57% et celui de la Suède, d'environ 20%. Pourtant, ces pays font d'immenses dépenses sociales et possèdent des "coussins sociaux" dont ne peuvent rêver, par exemple, les habitants des Etats-Unis. Les dépenses publiques de ces pays alimentent l'économie, ce qui constitue le charme discret du socialisme scandinave.
Même pour les puissantes économiques, par exemple, celle des Etats-Unis, le moment arrive où leur capacité d'absorber les dettes tarit. En témoigne la réduction du rendement de chaque dollar emprunté. D'après les statistiques américaines, si en 1960 chaque dollar emprunté assurait quasiment 90 cents de profit, en 2010, il rapporte à peine 10 cents. A présent, ce "super-cycle de la dette" a pris fin. Le temps de faire des dettes est révolu, celui de les rembourser est venu. C'est ce qui a été constaté à Toronto.
A Toronto, on s'est mis d'accord sur les mêmes principes pour tout le monde, mais les différences sont telles que chacun est libre de choisir ses propres méthodes.
Le problème consiste en ce que l'« optimisme du renouveau », en premier lieu en Europe, aux Etats-Unis et au Japon est actuellement fortement exagéré. Des changements démographiques qui se produisent dans les plus riches pays d'Occident, y compris le Japon, sont si importants que les dettes des années 2000 devront être payées par la génération des années 2030. La population vieillit si rapidement (et les personnes âgées vivent si longtemps et leur vie est tellement meilleure) que, dans quelques années, chaque travailleur du Japon, de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Allemagne devra « entretenir » un ou deux retraités. Compte tenu d'une telle proportion et de la réduction de la main-d'œuvre, des reprises économiques rapides n'auront pas lieu, par conséquent, il n'y aura pas de remboursement rapide des créditeurs.
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