Kirghizstan: qu’est-ce que la Russie doit faire?

© RIA Novosti . Andrei Stenin  / Accéder à la base multimédiaKirghizstan
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Les événements dans le Sud du Kirghizstan ont de nouveau soulevé la question du rôle de la Russie en Asie Centrale.

Le gouvernement provisoire kirghiz a demandé à la Russie d’expédier ses forces dans la zone du conflit afin de mettre fin aux affrontements interethniques. « La situation empire, nous avons besoin d’autres forces armées pour maitriser la situation. Pour cette raison nous avons demandé l’aide de la Russie », a déclaré, le 12 juin, Roza Otounbaeva, la présidente du gouvernement provisoire kirghiz. De plus, les représentants des ONG ouzbeks au Kirghizstan ont exprimé leur fort désir de voir la Russie intervenir.

On se souvient de l’expérience de juin 1990 quand les troupes parachutistes et les forces armées d’autres républiques soviétiques ont été envoyées pour mettre fin aux troubles entre Ouzbeks et Kirghiz, ce qui avait permis de rapidement stabiliser la situation dans la région kirghize d’Och. Cependant, ce qui était possible dans le cadre de l’URSS, serait interprété différemment aujourd’hui. Les soldats de la paix russes devront utiliser les armes pour désarmer les membres de groupuscules criminels aussi bien kirghiz qu’ouzbeks, ce qui entraînera inévitablement des pertes des deux côtés. La participation directe de l’armée russe sera considérée comme une tentative d’intervention militaire « afin de restaurer l’influence impériale de la Russie en Asie Centrale » et provoquera une montée des états d’esprit extrémistes. Dans de telles conditions, la colère et l’agressivité pourraient être transférées sur les soldats de la paix russes alors que la communauté russe au Kirghizstan serait l’otage de la situation, ce qui ne peut pas être ignoré par Moscou.

D’autre part, la Russie ne doit pas rester indifférente à la catastrophe survenue à Och et à Djalal-Abad. Des gens meurent dans ce conflit interethnique qui a éclaté dans un pays-ami, membre de toutes les unions d’intégration dans l’espace de l’ex-URSS. De plus, la situation actuelle donnera une nouvelle impulsion à l’afflux des migrants depuis la vallée de Ferghana ce qui pourrait provoquer à son tour l’intensification des tensions interethniques, cette fois en Russie.

L’absence d’un ferme pouvoir au Kirghizstan conduira inévitablement à l’intensification du trafic de stupéfiants vers la Russie et l’Europe. Le Sud du Kirghizstan menacerait alors de se transformer en un « second Afghanistan » ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour toute l’Asie Centrale. Il est encore trop tôt pour parler d’une piste islamiste dans les derniers événements, mais les analystes étrangers constatent un rôle actif des forces extérieures dans le conflit.

Les violences au Kirghizstan semblent être orchestrées et planifiées, a déclaré Navi Pillay, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme. Rupert Colville, son porte-parole, a déclaré à Genève : « Nous avons des preuves tangibles démontrant que ces événements ne sont pas des affrontements interethniques spontanés ».

Comme le montre l’expérience, les organisations islamistes radicales font preuve d’une mobilité remarquable et profitent de la moindre déstabilisation de la situation. A l’heure actuelle, il est primordial d’empêcher l’internalisation du conflit et d’enrayer sa progression. L’Ouzbékistan et le Tadjikistan se sont retrouvés directement impliqués dans le conflit. Selon le Comité international de la Croix-Rouge, depuis le début des événements, l’Ouzbékistan a accueilli plus de 100.000 réfugiés hébergés dans 40 camps, ainsi que dans les usines, les écoles ou chez leurs proches parents en Ouzbékistan. La plupart d’entre eux sont des femmes et des enfants. Les autorités craignent que des éléments armés ne pénètrent sur le territoire ouzbek pour provoquer des troubles.

L’opposition ouzbek profite activement de la situation. Par exemple, le parti Birlik propose de dépêcher les forces ouzbèkes dans le Sud du Kirghizstan afin de protéger la minorité nationale ouzbèke. Les conséquences négatives d’une telle démarche sont évidentes. La Russie a fait tout son possible pour éviter que la situation se développe selon un tel scénario. Selon des médias occidentaux, le chef du nouveau gouvernement kirghiz a eu le 15 juin un entretien téléphonique avec le président ouzbek, Islam Karimov, qui a promis qu’aucun soldat ouzbek ne franchira la frontière kirghize.

Le Tadjikistan s’est trouvé également impliqué dans le conflit. Le 14 juin, Koubatbek Baïbolov, le commandant de la région de Djalal-Abad et l’adjoint du chef du service d’État de sécurité nationale du Kirghizstan, a déclaré que des groupes de Tadjiks spécialement entraînés étaient impliqués dans les évènements. Selon K. Baïbolov, « des véhicules teintés circulent dans différents endroits et on tire sans faire de distinction entre les représentants des deux ethnies ». Cette déclaration a provoqué une vive protestation à Douchanbé. « Le Kirghizstan doit soit présenter des preuves de la participation de Tadjiks aux événements à Och soit présenter ses excuses », », a déclaré le 16 juin Khaïriddin Abdourakhimov, le chef du Comité d’Etat de sécurité national du Tadjikistan, lors d’une réunion au parlement. Après avoir vécu une guerre civile sanglante dans les années 1990, le Tadjikistan suit les événements au Kirghizstan avec beaucoup d’anxiété.

Quelles sont les mesures qui doivent être prises par la Russie pour stabiliser la situation au Kirghizstan et quelles sont les organisations internationales pour le faire ? Les derniers événements ont montré la paralysie totale de l’activité pacificatrice de la CEI (Communauté des Etats indépendants). Il n’y a même pas de déclarations de la part des ministres des Affaires étrangères des pays de la CEI bien que les événements concernent directement les questions de sécurité de l’espace postsoviétique. Quant à la Russie, elle mise sur l’Organisation du Traité de sécurité (OTSC) pour régler ce conflit.

Lors d’une réunion des chefs des Conseils de sécurité des pays des membres de l’OTSC, le 14 juin, il a été décidé de fournir à Bichkek des avions, du matériel technique, des véhicules militaires et des équipements spéciaux. Nikolaï  Bordiouja, le secrétaire général de l’OTSC a fait remarquer que «  l’OTSC dispose des moyens nécessaires pour agir en de telles circonstances, possédant aussi bien les Forces de réaction rapide que les Forces collectives de déploiement  rapide en Asie Centrale, mais il faut bien réfléchir avant d’employer ces moyens ». Il semblerait que, pour assurer la stabilité dans le Sud du Kirghizstan, l’OTSC doive revenir à l’élaboration d’un plan de création d’une base de paix dans la région d’Och. Auparavant, cette proposition avait été rejetée par l’Ouzbékistan mais à en juger par la situation actuelle, il y a peu de chances qu’Islam Karimov proteste contre la présence permanente des forces de maintien de la paix dans une région aussi inflammable.

Les analystes constatent la coïncidence totale des positions de la Russie, des États-Unis et de la Chine quant à la situation au Kirghizstan. Philippe Crowley, adjoint du secrétaire d’État américain, a déclaré lors d’une conférence de presse que les États-Unis tenaient des consultations avec la Russie sur la situation au Kirghizstan et qu’ils étaient prêts à aider ce pays. Selon lui, Washington prévoit de participer à la stabilisation de la situation dans le cadre des organisations internationales. En outre, P. Crowley n’a pas exclu que Bichkek reçoive une somme d’argent importante. La possibilité de déstabilisation en Asie Centrale qui assure un soutien logistique des forces de l’OTAN en Afghanistan inquiète fortement Washington.

La question d’aide économique importante à Bichkek sera inévitablement soulevée après la stabilisation dans le Sud du Kirghizstan. Les problèmes humanitaires sont venus s’ajouter à un cadre global défavorable de cette région qui souffre de surpopulation et de chômage. Une aide humanitaire d’envergure pourrait permettre de résoudre le problème de la famine mais des doutes persistent quant à son utilisation à bon escient.

Il est probable que la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur la gestion extérieure de l’aide économique internationale parvenue au Kirghizstan puisse apporter une solution.

Si les problèmes économiques et sociaux flagrants ne sont pas résolus le pays ne sera pas à l’abri d’une réédition des événements tragiques.

La Russie a une expérience positive en matière de coopération en Asie Centrale. Grace à elle ainsi qu’à une médiation active de l’Ouzbékistan et de l’Iran, la longue guerre civile au Tadjikistan a pu être stoppée et une politique de réconciliation nationale a été acceptée.

Auteur : Innokenti Adiassov, membre du Conseil d’analyse et d’expertise auprès du Comité des affaires de la Communauté des Etats indépendants (CEI) de la Douma (chambre basse du parlement russe).

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

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