La Tribune
La Russie n'exclut plus d'intervenir au Kirghizistan
La situation au Kirghizistan est « intolérable », a déclaré le président russe Dmitri Medvedev qui ne semble plus exclure une intervention dans cette petite république d'Asie centrale. Le pays abrite une base militaire russe, et depuis 2001, une base américaine essentielle au transport de troupes et de matériel vers l'Afghanistan. Au cours d'une réunion d'urgence lundi à Moscou, l'Organisation du traité de sécurité collective (ODKB), qui réunit plusieurs anciens pays membres de l'Union soviétique, n'a « pas exclu le recours éventuel à tous les moyens » pour restaurer le calme, selon le président du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev.
Un membre du gouvernement provisoire du Kirghizistan, Temir Sariev, a dit espérer lundi que l'ODKB y enverrait « un bataillon de la force de réaction rapide ». La présidente par intérim du Kirghizistan, Rosa Otounbaïeva, avait sollicité dès samedi une assistance militaire russe. Mais Moscou avait alors refusé de s'impliquer considérant qu'il s'agissait d'une « affaire domestique ». ENVIRON 700 Ouzbeks TUÉSLa situation semble malheureusement hors de contrôle. « Environ 700 Ouzbeks ont été tués lors des affrontements de Djalal-Abad », selon un leader de la communauté ouzbèke. Un bilan terrible difficilement vérifiable. Le ministère de la Santé kirghiz fait état de 124 morts en quatre jours. L'origine des affrontements interethniques entre kirghiz et ouzbeks n'est pas claire. Certaines sources parlent d'une rixe qui aurait dégénéré, d'autres d'un nettoyage ethnique planifié par les partisans du président déchu Kourmanbek Bakiev. « Nous sommes loin de voir une fin à la crise », estime la responsable des opérations pour l'Asie centrale et l'Europe de l'est du Comité international de la Croix rouge (CICR), Pascale Meige Wagner. Plus de 80.000 kirghiz d'origine ouzbek ont déjà gagné l'Ouzbékistan tandis que 15.000 sont bloqués à la frontière, selon le CICR. Les autorités ouzbekes ont annoncé lundi qu'elles fermaient leurs frontières afin de bloquer l'afflux de réfugiés.
Le Figaro
Le fantôme de Kourmanbek Bakiev
L'ombre du président déchu du Kirghizstan, Kourmanbek Bakiev, n'en finit pas de planer sur le pays. Les autorités provisoires, à Bichkek, en sont certaines : cet homme à la figure rondouillette, qui a occupé le pouvoir kirghize durant cinq ans, agiterait en sous-main et armerait les émeutiers dans ses fiefs d'Och et de Djalal-Abad, les deux principaux théâtres d'affrontements interethniques.
Selon des témoins cités par l'agence de presse nationale, Akipress, c'est un neveu de Bakiev qui dirigeait dimanche à Djalal-Abad, une bande de casseurs âgés de 15 ans opérant sur la rue Pouchkine. « L'oncle » aurait même été présent dans la ville fin mai, où il aurait célébré un anniversaire. Parallèlement, à Och, soulignait un représentant des forces de l'ordre kirghizes, des « parents » de l'ancien président auraient « activement » participé aux dernières émeutes.
Comme un rituel, lors de chaque poussée de violence, le gouvernement de Rosa Atounbaïeva implique son prédécesseur. De son lieu d'exil biélorusse, l'intéressé a démenti hier toute participation à ces violences et a reproché aux autorités provisoires d'être « incapables d'arrêter le bain de sang ».
Le gouvernement voisin du Kazakhstan a également mis en doute une possible participation de Bakiev dans les troubles interethniques. Néanmoins, le même Bakiev déclarait imprudemment le 20 avril, que « seule la mort » pourrait l'empêcher de conserver le pouvoir.
Dès le début du coup d'État, la Russie l'avait lâché au profit d'Atounbaïeva, l'accusant de pratiques népotiques et de corruption. Le principal acteur de la « révolution des tulipes » de 2005 était accusé par Moscou d'avoir mis l'économie kirghize en coupe réglée, avec le concours de son fils, Maxim. Peu après, les forces spéciales russes avaient arrêté son ministre de l'Intérieur, Moldomousa Kongantiyev, avant de le livrer aux nouvelles autorités kirghizes.
Après une brève escale au Kazakhstan, Bakiev a rejoint la Biélorussie, où le président, Alexandre Loukachenko, qui aime à jouer au chat et à la souris avec Moscou, l'a accueilli. Ce dernier l'utilise au besoin pour narguer son puissant voisin. Si l'actuel gouvernement kirghize devait se révéler incapable de reprendre le contrôle de la situation, Bakiev pourrait de nouveau apparaître comme un recours bien que ce dernier ait démenti hier son intention de revenir à la politique. Le Kremlin se retrouverait alors dans la situation délicate de devoir tolérer, dans son ancien pré carré, un homme qu'il a contribué, il y a peu de temps, à écarter du pouvoir.
L'Express
Quel rôle joue la Russie au Kirghizistan?
Qui a intérêt à semer le désordre dans la petite république? Le conflit interethnique permet en tout cas à Moscou d'y reprendre pied.
Deux mois après un "soulèvement populaire" qui a chassé du pouvoir son ex-président, Kourmanbek Bakiev, de nouvelles violences embrasent le Kirghizistan, petit pays d'Asie centrale situé au coeur des rivalités géopolitiques entre Russie et Etats-Unis. En début de semaine, les hostilités, concentrées dans le sud du territoire, avaient déjà provoqué plusieurs centaines de morts. Des dizaines de milliers de réfugiés fuient vers l'Ouzbekistan, qui a fermé sa frontière.
L'origine exacte des troubles reste un mystère. Parmi les 5 millions et demi de Kirghiz, une minorité d'origine ouzbeke représente environ 15% de la population. La plupart vivent dans le Sud, précisément, où ils sont majoritaires: décidé par Staline dans les années 1920, le tracé des frontières entre les ex-républiques soviétiques est tel que chaque pays compte aujourd'hui une minorité importante issue des Etats voisins. Dans ces conditions, l'instabilité politique est inévitable, attisée par l'instabilité politique régionale, en Afghanistan et ailleurs. Mais cela n'explique pas tout.
Un régime tombé avec l'accord tacite de Moscou
L'Asie centrale a souvent été le lieu d'une immense partie d'échecs géopolitique entre les grandes puissances, et le Kirghizistan n'échappe pas à la règle. Le régime de Kourmanbek Bakiev est tombé, en avril dernier, avec l'accord tacite de Moscou, qui a très mal pris que l'ex-chef d'Etat ait autorisé en 2009 la réouverture d'une base américaine dans le nord du territoire.
Il n'est guère étonnant, alors, que la présidente kirghize par intérim, Rosa Otounbaïeva, ait sollicité dès le 12 juin une aide militaire russe "afin de rétablir l'ordre". Moscou a décliné l'invitation, mais des représentants des pays membres de l'Organisation du traité de sécurité collective (ODKB), une alliance militaire prorusse, se sont réunis deux jours plus tard pour évoquer les mesures à prendre. Il serait surprenant que le Kremlin reste longtemps à l'écart d'un conflit qui, à bien des égards, conforte ses intérêts dans la région.