Les déconvenues d’Angela Merkel

S'abonner
Depuis février dernier avec le défaut de paiement de la Grèce et la crise de l’euro, la chancelière allemande Angela Merkel semble vivre sur une fondrière ou sur un champ de mines

Depuis février dernier avec le défaut de paiement de la Grèce et la crise de l’euro, la chancelière allemande Angela Merkel semble vivre sur une fondrière ou sur un champ de mines.

Des foudres et des obus sont lancés contre elle non seulement depuis l’Europe en raison du retard qu’elle a pris à se décider à sauver la Grèce et l’euro, mais aussi dans son propre pays. A première vue, elle n’est même pas visée, mais les cibles sont si proches qu’il lui est déjà impossible de ne pas craindre pour sa carrière politique. La dernière explosion a eu lieu le 31 mai avec la démission du président fédéral allemand Horst Köhler.

En fait, le président allemand a une fonction purement honorifique et sa tâche consiste à signer les lois et à assister aux funérailles. Mais ce qui se produit en ce moment n’a eu aucun précédent dans toute l’histoire de l’Allemagne depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Officiellement, Horst Köhler, ancien patron du FMI, influent banquier allemand, conseiller financier d’Angela Merkel, a démissionné pour ses propos tenus à la radio Deutschlandfunk le 22 mai, à son retour d’Afghanistan. Il a notamment déclaré: « Un engagement militaire est nécessaire pour protéger nos intérêts, par exemple, la liberté des voies commerciales, en empêchant l’instabilité dans des régions entières qui aurait des effets négatifs sur nos échanges, nos emplois et nos revenus ».

Horst Köhler avait en vue non pas l’Afghanistan, mais les opérations menées par les Allemands contre les pirates au large de la Somalie. Mais l’opposition a exigé qu’il s’explique sur cet « esprit de revanche » et ses appels à une intervention militaire en dehors du pays ce qui est interdit par la constitution. Bref, cette déclaration se présente mal pour le gouvernement.

Horst Köhler a fait ouvertement allusion à ce qui n’était plus un secret depuis longtemps aussi bien en Allemagne qu’au-delà de ses frontières mais qu’il n’était pas admis de déclarer publiquement: l’Allemagne n’est plus ni un proscrit ni un « orphelin battu » de la période d’après-guerre qui n’ose pas participer au règlement de tous les problèmes majeurs mondiaux. Horst Köhler s’est toujours distingué par son approche trop politisée - ordinairement, les présidents de la RFA tâchent de ne pas se mêler de la politique -, mais cette fois-ci il a agi de façon délibérée. Certains analystes allemands affirment même que le chef de l’État en titre savait parfaitement les conséquences qui suivraient et qu’il a tenu ces propos parce qu’il avait déjà décidé de démissionner.

De même qu’Angela Merkel, il appartient à la CDU/CSU. Les têtes les plus chaudes du pays affirment même que le départ de Horst Köhler est un signal pour Angela Merkel: « Les rats quittent le navire ». Pourquoi ? C’est la question. Le plus « vert » de tous les « verts » allemands, Joschka Fischer, l’ancien président du parti du même nom et ministre allemand des Affaires étrangères du chancelier Gerhard Schröder, a commenté ce départ comme suit en s’exprimant à propos d’Angela Merkel: « Tout s’écroule ».

Pour Angela Merkel les problèmes s’accumulent chaque jour. Les attaques contre la chancelière ne datent pas d’hier et ce n’est pas demain qu’elles s’achèveront. La démission de Köhler n’est qu’un écho de la crise qui avait éclaté dans les premiers mois de l’année.

Mais la démission du président allemand n’est rien par rapport à une déclaration faite par le président de la Commission européenne José Manuel Barroso en réponse à la proposition d’Angela Merkel de modifier tout le système des comptes financiers dans l’UE, de prendre des mesures sévères contre ceux qui enfreignent la discipline budgétaire et de les punir en les excluant de la zone euro, ce qui aurait nécessité le changement des dispositions du traité de Lisbonne qui vient d’être adopté à grand-peine l’année dernière. Il a notamment déclaré que Merkel était « très naïve » si elle pensait qu’on pourrait modifier comme ça le Traité de Lisbonne.

Ce n’est rien d’autre qu’un affront non dissimulé de la part d’un fonctionnaire dont le « poids » ne constitue même pas un dixième de celui d’un chancelier allemand. On ne parle pas ainsi aux chanceliers allemands dans l’UE. Mais d’aucuns disent que Barroso est soutenu par presque tous les membres de la zone euro et les pays ne faisant pas partie de l’UE. Par conséquent, c’est déjà une émeute. Pourquoi donc ? A Bruxelles, on dit ouvertement que Merkel est coupable elle-même d’avoir aggravé la crise de l’euro car elle a tardé trop longtemps à accepter d’aider la Grèce, et lorsqu’elle a compris que cette aide était inévitable, c’était déjà trop tard.

Les Allemands, eux, ne peuvent pas se résigner au contraire, à savoir au consentement de leur chancelière à aider les Grecs insouciants aux frais de l’Allemagne.

On est en présence d’une situation paradoxale. L’Allemagne, sans laquelle il est impossible de régler aucun problème financier et économique de l’UE et qui est une puissance économique dont  chaque mot prononcé a presque valeur de loi pour Bruxelles, plonge de plus en plus profondément dans une crise politique intérieure. Les pays de l’Union européenne stimulent eux-mêmes cette crise, bien qu’elle ne leur promette rien de bon. Plutôt au contraire, de nouvelles calamités. Mais ils ne prêtent plus l’oreille aux propos de la « reine non couronnée » de l’Europe.

Les déconvenues d’Angela Merkel sont aujourd’hui nombreuses.

- Elle est critiquée dans l’UE pour avoir tardé à éteindre le « feu grec ».

- Dans son pays, on lui reproche, au contraire, d’avoir consenti à l’éteindre au prix de 750 milliards d’euros environ à verser dans le fonds de stabilisation de l’euro en puisant dans le budget national.

- Ses partenaires au sein de la coalition (FDP) l’accusent de n’avoir pas tenu ses promesses d’alléger les impôts et de se comporter comme une socialiste.

- La CDU/CSU a perdu son contrôle sur la chambre haute, le Bundesrat (c’est l’analogue du Conseil de la Fédération de Russie, ou Sénat: ses représentants sont désignés par les Länder fédéraux du pays) et la pendule du pouvoir penche visiblement de Berlin vers les gouvernements des Länder régionaux.

En fin de compte, aussi bien les libéraux que les conservateurs de la coalition CDU/CSU et FDP sont mécontents des « revirements » de Merkel et, selon les rumeurs, ils cherchent déjà une candidature pour la remplacer éventuellement.

Fin mai, Roland Koch, l’un des alliés jadis les plus dévoués de Merkel, son adjoint à la CDU et chef du Land de Hessen (où se trouve la capitale financière Francfort-sur-le-Main), a annoncé sa démission. Certains affirment que Koch, 52 ans, s’apprête déjà à briguer le poste de chancelier.

Dans le monde des ambitions politiques des hommes, la vie est difficile pour toute femme. Or, Angela Merkel doit aussi collaborer avec des personnages « brillants » incarnant des ambitions politiques étrangères comme le président français Nicolas Sarkozy. Certes, sous sa présidence, l’axe Paris-Berlin a déjà commencé à se fissurer. Il prétend déjà jouer le rôle politique principal dans l’Union européenne et conclure une nouvelle alliance avec le gouvernement conservateur britannique.

Pour l’Union européenne, les frottements de ce genre des dirigeants européens signifient qu’il sera de plus en plus difficile de régler les problèmes. Tout cela peut concerner aussi la Russie. L’affaiblissement des positions d’Angela Merkel qui se concentrera maintenant sur la « survie intérieure » signifie qu’elle devra désormais « complaire aux Allemands » et bloquer toutes les initiatives qui peuvent ne pas être appréciées chez elle. Il s’agit du régime sans visas UE-Russie (l’UE est contre l’arrivée de la main-d’œuvre supplémentaire), de l’aide à la modernisation de l’économie russe (l’UE n’a pas besoin de concurrence superflue).

Autrement dit, si ça va mal pour Angela Merkel, ça ira mal pour tout le monde. Il se peut qu’elle ne quitte pas son poste de si tôt (les prochaines élections n’auront lieu que dans quatre ans) si on ne l’oblige pas à démissionner. Mais elle n’aura pas une vie bien tranquille.

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

 

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала