« Le redémarrage » entre la Russie et les États-Unis est lancé. Des accords importants ont été conclus dans le domaine de l’armement stratégique nucléaire. Les pays ont trouvé un terrain d’entente sur la question de la non-prolifération, ce qui contribuera à l’ouverture du dialogue concernant le programme nucléaire de l’Iran. La diplomatie russe aura pour mission principale de ne pas perdre cette dynamique et de « déteindre » positivement sur les autres plans de la coopération qui reflètent en grande partie les intérêts à long terme de la Fédération de Russie.
Ce n’est pas que la réduction de l’armement nucléaire ou du problème iranien soient une question mineure. La limitation des forces nucléaires américaines est un grand mérite du Traité sur la réduction et la limitation des armements stratégiques offensifs (DSNV) qui se traduit par une limitation des forces nucléaires américaines par le biais des porteurs très rapidement vieillis et du nombre incalculable de têtes nucléaires. C’est un succès, même si l’on considère que pour les États-Unis l’objectif de diminution quantitative au profit de la modernisation et de l’amélioration de la qualité s’imposait sans nécessairement la présence du DSNV. Mais ce traité a montré ses lacunes, n’ayant pas su résoudre les questions de défense antimissile et en raison d’une formulation très floue, et de ce fait il a littéralement supprimé le vide juridique survenu dans ce domaine suite à la sortie des États-Unis du Traité de défense antimissile en 2001.
L’importance de la coopération avec l’Iran est indiscutable si on veut faire coïncider les différents intérêts en maintenant un Iran non-nucléaire sur la frontière sud de la Fédération de Russie. Pourtant, cette coopération se déroule principalement selon le scénario des États-Unis. Le soutien de la résolution concernant les nouvelles sanctions et de son application au Conseil de sécurité de l’ONU sans même tenter de développer l’initiative turco-brésilienne constituera un exemple supplémentaire d’occasion manquée de faire preuve d’initiative par rapport à l’Iran.
Il est évident qu’en admettant la logique de « redémarrage » il y a un an, nous avions cherché à « arrondir les angles » afin de créer une atmosphère positive. Or, maintenant que l’atmosphère requise est créée, il est nécessaire de positionner plus activement les questions que l’on croit importantes : une coopération commerciale, économique, politique et technique, et les questions de sécurité sur l’espace euro-atlantique. Dans le cas contraire la Russie risque de rester « numéro deux » dans la stratégie américaine de construction des relations étroites et pratiques restant dans le cadre des intérêts de la politique extérieure de la Maison Blanche.
Que pouvons-nous et devons-nous proposer aux États-Unis? Supprimer les barrières politiques qui freinent le développement des relations commerciales et économiques bilatérales. En commençant par éliminer une relique douloureuse de la guerre froide, c’est-à-dire les amendements Jackson–Vanik, et jusqu’à la reconnaissance de la Russie à être prête à intégrer l’organisation mondiale du commerce (OMC) et l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Premièrement, depuis les années 80, les États-Unis ne peuvent rien nous reprocher. Deuxièmement, en l’absence de volonté politique de la part des États-Unis, la Russie ne répondra jamais aux critères exigés ; les derniers doutes liés à la création d’une union douanière devaient disparaitre en avril lors de la visite d’Igor Chouvalov, le vice-premier ministre, aux États-Unis qui a montré la justesse des accords dans le cadre de l’union avec les règles de l’OMC.
La question de la nécessité ou non d’entrer dans l’OMC mourante est secondaire dans ce cas. Si l’on se tient à l’objectif fondamental de la Russie, c’est-à-dire les modernisations, il est important de créer un climat favorable à sa perception en tant que membre à part entière du système économique mondial, et la reconnaissance par les États-Unis de sa concordance avec les critères de l’OMC et de l’OCDE sera un signal important dans ce domaine.
Le niveau médiocre des relations économiques et commerciales entre la Russie et les États-Unis (18 milliards de dollars en 2009) est en grande partie responsable des barrières politiques et des préjugés engendrés. Au niveau gouvernemental il est non seulement important d’envoyer des signaux tels que les échanges de délégations, mais aussi de créer des conditions réellement propices à un échange commercial réciproque et aux investissements, en offrant par exemple à la Russie le statut du plus favorisé dans les échanges commerciaux.
Bien sûr, cela ne peut être « une voie à sens unique ». La Russie doit aussi faire des efforts pour promouvoir les intérêts des affaires russes sur le marché américain, ainsi que d’augmenter l’attrait d’investissement de son propre marché. La visite que vient d’achever Sergueï Ivanov, le vice-premier ministre, était très opportune et importante dans ce sens. Cependant, il est nécessaire d’exercer un « lobbying » récurrent autour des projets conjoints menés avec les États-Unis. La libéralisation du marché intérieur et les garanties fournies au capital américain en Russie étaient favorables et aux intérêts de modernisation de l’économie et à la motivation des intérêts des compagnies américaines.
Il en est de même pour le domaine scientifique et technique. Il faudrait confirmer par des actions réelles ces signaux, par exemple par le retour à l’étude au Congrès de l’accord sur la coopération dans le domaine du nucléaire pacifique, les accords dits 123. Ou par des actions, comme par exemple la ratification de cet accord. Il est important au niveau gouvernemental de motiver les projets dans le domaine du développement en commun, des échanges académiques et éducatifs. Nous avons des domaines s’entrecroisant au niveau des intérêts commerciaux et du potentiel scientifique : l’espace, l’aéronautique, IT et les nanotechnologies.
La réussite dans ces deux domaines, l’économie et la science, est absolument nécessaire à la création de « la profondeur » du dialogue russo-américain et de l’interdépendance qui n’existe à ce jour que dans le domaine de la dissuasion nucléaire. Sans ces interdépendances « le redémarrage » risque de se terminer de la même manière que « la détente » dans les années 70 qui n’est pas arrivé à changer fondamentalement les principes des relations et a été victime du changement de la conjoncture géopolitique et de politique intérieure.
Le temps reste l’ennemi principal de « redémarrage ». Il n’en reste plus beaucoup à l’administration de Barack Obama. Dans le contexte d’échecs omniprésents, c’est-à-dire la lutte contre les conséquences de la crise économique dans le pays et dans les relations avec la Chine au niveau international, les relations avec la Russie au proche Orient sont pour lui « une baguette magique ». Cependant, et comme le montre son comportement envers le Traité START, la majorité de l’élite américaine est loin de reconnaitre tous les succès du « redémarrage ». Suite à l’amélioration des relations avec la Russie elle est encore moins prête à pardonner à Obama l’enlisement de l’économie responsable des tensions sociales, l’absence des perspectives réelles de résolution du problème nucléaire iranien et de la victoire en Afghanistan. L’ouverture de l’audition au Congrès du nouveau traité sur la réduction des armes par la remarque du secrétaire d’État Clinton par la déclaration sur l’entente réussie entre la Chine et la Russie sur le soutien de la nouvelle résolution concernant les sanctions contre Iran, a été très significative. Les chances du président de se représenter aux élections sont incertaines, sans parler de la réélection au Congrès en novembre de l’année en cours qui changeront indéniablement le rapport de forces aux États-Unis, et s’ils ne ferment pas « la voie au redémarrage », ils la resserreront considérablement.
En plus du facteur temps, la menace qui plane sur le « redémarrage » vient de la vision qu’en a la Maison Blanche. Il est parfaitement évident que Washington n’est prêt à discuter ni du problème de la défense antimissile, ni de l’initiative de conclure un Traité de sécurité européenne. Le désir le plus évident de Washington est de poursuivre les progrès dans le domaine du désarmement et de passer au problème de la réduction des armes nucléaires tactiques en Europe. Cela permettra à la Maison Blanche de continuer son "jeu" sur le champ du leadership global du processus de non-prolifération et de modifier, en catimini, le rapport des forces en Europe en faveur de l’OTAN, car le retrait des armes nucléaires tactiques américaines d’Europe suppose des actions analogues de la part de Moscou. Par conséquent, la frontière occidentale de la Russie ne sera pas protégée face à la supériorité absolue de l’Alliance de l’Atlantique Nord en armements conventionnels.
Prenant la parole à la Brookings Institution, le président Medvedev a laissé clairement entendre que la Russie n’envisageait pas de réductions d’armements. Cela augure que c’est Moscou qui sera présenté comme la partie qui « torpille » aussi bien le processus de « redémarrage » que les efforts déployés par les États-Unis et la communauté mondiale dans le domaine de la non-prolifération. Dans ces conditions, les tentatives d’inscrire à l’ordre du jour les questions que nous considérons comme des priorités premières seront vaines.
Par conséquent, il est important d’établir une corrélation entre les initiatives de Washington inacceptables pour Moscou dans le domaine des armes nucléaires tactiques et celles de Moscou, tout aussi inacceptables pour Washington dans le domaine d’une nouvelle architecture de sécurité européenne et d’ajouter à cet ensemble de questions d’ordre militaro-politique les problèmes relatifs aux menaces extérieures pour la région euro-atlantique émanant de l’Afghanistan et de l’Iran. En passant outre les deux premières questions insolubles à l’étape donnée, Moscou et Washington pourraient conserver la dynamique du « redémarrage » en coopérant dans les domaines de la logistique, de la reprise économique, de la lutte contre la production de drogue en Afghanistan et dans le règlement du problème nucléaire iranien. Cela assurera, à son tour, la base positive nécessaire pour la promotion par la Russie de l’agenda prévu dans les domaines commercial, économique, scientifique et technique.
Cette semaine se tiendra à l’Université de Harvard la première rencontre du groupe de travail sur l’avenir des relations russo-américaines organisée par le Centre Davis, le Conseil pour la politique étrangère et de défense et RIA Novosti sous l’égide du Club international de discussion Valdaï. La rencontre entre les jeunes experts a pour objectif de déterminer quelles seront les relations entre Moscou et Washington dans 20 à 30 ans. Cependant, il est évident que les fondements de l’avenir au niveau politique sont jetés dès à présent.
La visite de juin du président Medvedev aux États-Unis doit marquer une nouvelle étape dans les relations russo-américaines. Le système est « redémarré ». Cependant, il est « redémarré » sur la base de l’ancien programme visant à garantir la sécurité stratégique et la non-prolifération nucléaire. Pour assurer un succès à long terme, il est nécessaire d’établir des relations « profondes » et un réseau
d’interdépendance entre les deux pays. Ce sont l’économie et la science qui doivent être au programme de la « génération 2.0 ».
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