Pendant plus de six mois, depuis novembre 2009, Bruxelles a observé avec un vif intérêt comment la Grèce, au bord de défaut de paiement, a couru à la vitesse de celui qui va « rater son train » vers la Gare centrale de l’euro en menaçant de la détruire. Enfin, le 10 mai, l’Union européenne a décidé de créer un « mécanisme de stabilité financière ». Il s’avère cependant qu’il faut sauver déjà non pas l’Hellade, pas même la zone euro, mais l’UE dans son ensemble.
Les sommes citées coupent le souffle aux simples mortels. Il s’agit d’une « caisse de secours mutuel » de plus de mille milliards de dollars (750 milliards d’euros). Cette action a déjà apaisé la panique mais on est encore loin des changements structurels attendus au sein de l’eurogroupe (16 pays de la zone euro). Le fait est que le développement économique de ces pays, leur niveau d’endettement et leur capacité à régénérer l’économie (base de tous les problèmes des États membres de l’UE) sont très différents.
Comment peut-on résumer en quelques mots les ententes intervenues le 10 mai à Bruxelles ? Bruxelles crée un fonds de stabilisation sur la base de ses propres fonds et de ceux du FMI pour un montant total de 750 milliards d’euros. L’eurogroupe (16 pays de la zone euro créée il y a 11 ans) doit y verser 440 milliards d’euros, le FMI, 250 milliards d’euros. 60 milliards seront encore versés par tous les membres de l’UE, et pas seulement ceux de la zone euro. Par exemple, la Grande-Bretagne (qui n’appartient pas à cette zone) affectera 15 milliards d’euros, autant que l’Allemagne et la France, pays utilisant l’euro. Cet argent est nécessaire pour que les gouvernements endettés puissent en emprunter, et le taux d’intérêt moyen des prêts est établi au niveau d’environ 5% pour payer les créances imminentes. Ils ne pourront plus emprunter sur le marché en émettant de nouvelles obligations gouvernements ou des titres de créance. La méfiance envers la Grèce est devenue telle qu’on ne lui accorde plus de prêts à long termes à un taux d’intérêt de moins de 7 à 8,5% par an. Indiquons, à titre de comparaison, que les obligations gouvernementales de l’Allemagne sont achetées à un taux d’intérêt de 2,9% et celles de la Grande-Bretagne, à 3,9%.
Pour évaluer l’ampleur du désastre qui approchait, on peut rappeler que l’administration des États-Unis avait été contrainte d’allouer 545 milliards d’euros en 2008 afin de couvrir les « mauvais prêts » des banques américaines. L’UE alloue 750 milliards d’euros pour les « mauvais prêts » de pays entiers.
L’insolvabilité ne provoquerait pas seulement l’effondrement de l’euro. Elle pourrait aussi entraîner, d’une manière générale, l’écroulement des marchés des créances, ce qui aurait provoqué une nouvelle escalade de la crise financière. D’après les données de l’Office statistique central de l’Union européenne, la dette extérieure totale de tous les pays de la zone euro atteindrait environ 5 170 milliards d’euros. La dette de la seule Allemagne est évaluée à 1 200 milliards d’euros – rappelons que celle de la Grèce est d’environ 300 milliards d’euros. A la fin de cette année, l’Italie à elle seule doit payer les taux d’intérêt de 267 milliards d’euros, l’Espagne, 81 milliards d’euros.
En principe, 750 milliards d’euros suffiront pour que l’Italie, l’Espagne, la Grèce, le Portugal et l’Irlande remboursent les taux d’intérêt et les prêts jusqu’en 2013. Et après?
L’administration Obama a tout de même affecté, en plus du plan de sauvetage des banques, encore 659 milliards d’euros (environ 800 milliards de dollars) pour stimuler la croissance économique des États-Unis. Ce n’est pas le cas dans l’UE. Certes, elle a alloué de l’argent pour résorber les déficits budgétaires et rembourser les créances, mais les dettes n’ont pas disparu et il faudra les rembourser. Mais nul n’a encore expliqué comment. Toutes les mesures d’austérité entraînent une réduction de la croissance économique car la demande diminue et les revenus baissent. Les Grecs qui protestent dans les rues contre cette austérité ont déjà montré ce qui pourrait attendre d’autres pays de l’UE s’ils commençaient à « se serrer la ceinture ».
Comme cela arrive souvent, Bruxelles, qui a tardé à prendre des mesures de réanimation, a contourné très élégamment ses propres lois et sa constitution. Celles-ci, en l’occurrence ni le traité de Maastricht sur la zone euro, ni le traité de Lisbonne sur la réforme, ne permettent de racheter les dettes des pays et n’autorisent pas la Banque centrale européenne à prêter aux États en difficulté qui ne respectent pas les restrictions sur l’accroissement de la dette et des déficits. La situation est aujourd’hui qualifiée de « force majeure » et la Banque centrale européenne a déjà commencé à racheter des créances, mais non pas aux gouvernements indisciplinés, elle rachète leurs obligations sur les marchés des créances.
Bref, il s’agit, semble-t-il, d’un changement de toute la politique financière aussi bien de la Banque centrale européenne que de l’UE, ainsi que d’une révision radicale de la discipline financière et de la politique financière et économique commune au sein de l’UE, et pas seulement dans le « camp euro ». Quant à l’élargissement de la zone euro, on peut probablement l’oublier.
Paris a visiblement gagné la bataille actuelle autour du « plan d’aide ». Le président français Nicolas Sarkozy avait depuis longtemps insisté sur un « gouvernement économique » de l’UE qui contrôlerait rigoureusement la discipline financière et coordonnerait les plans économiques et les mesures budgétaires de ses membres. Il semble l’avoir obtenu. Angela Merkel, qui déclarait jusque récemment que les Allemands n’allaient pas « sauver débiteurs insolvables » de l’UE, en a pâti le plus, et les Allemands y sont maintenant contraints. C’est la raison pour laquelle les journaux conservateurs ont déjà déclaré qu’elle avait « abandonné » les contribuables allemands à leur sort. En ce sens, l’axe Paris-Berlin craque de nouveau. Pour l’UE, cela n’a jamais auguré rien de bon. Mais y a-t-il un endroit où tout aille bien actuellement ? En tout cas, pas en Europe.
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.