Afghanistan: la démocratie au Moyen Age

© Sputnik . Andrei Greshnov, Zahir BahandAfghanistan: la démocratie au Moyen Age
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L'Afghanistan a été le pays le plus souvent cité au Festival international du journalisme qui vient de prendre fin à Pérouse (Italie).

 

L'Afghanistan a été le pays le plus souvent cité au Festival international du journalisme qui vient de prendre fin à Pérouse (Italie).

Il n'y a rien d'étonnant à cela. Pour les pays de l'OTAN, l'Afghanistan est aujourd'hui, pour ainsi dire, un enfant malade. Les journaux écrivent à son sujet plus que sur les membres de l'Union européenne. Mais ils écrivent à la manière européenne. J'ai lu le titre suivant dans un des journaux italiens: "La dure vie des transsexuels dans les pays musulmans d'Asie du Sud".

L'auteur de l'article décrit en détail la pénible existence des transsexuels et des homosexuels en Afghanistan et au Pakistan, l'attitude non civilisée de la société à leur égard. On peut proposer à l'auteur une solution facile du problème: puisque le destin a voulu que tu viennes en Afghanistan, tâche de ne pas être transsexuel. Ou bien ne manifeste pas tes penchants en public. Mais ce conseil est inacceptable pour un journaliste européen contemporain. Puisque c'est admissible chez nous, cela doit l’être également en Afghanistan. Les libéraux du "Vieux monde" attendent du nouvel Afghanistan la même compréhension et le même respect des droits de l'homme que dans la majorité des pays de l'Union européenne. Ils oublient que la mentalité afghane est différente de celle de l’Europe. Cela ne veut pas dire que les Afghans sont moins intelligents ou qu'ils sont plus méchants, mais ils sont intelligents et bons à leur manière, leur société est différente de celle de la France ou de l'Italie contemporaines. Mais les Européens impatients exigent que les Afghans franchissent, huit ans après le renversement des talibans, la même voie qui fut franchie par la civilisation européenne en plus de cinq siècles.

Le résultat est tragicomique. Le magazine italien Panorama a appris, par exemple, le résultat de la dépense de plusieurs milliards de dollars accordés pour la création en Afghanistan d'un système juridique contemporain avec les avocats, les jurés, les salles modernes des tribunaux et la justice juvénile. Le journaliste Giovanni Porzio a révélé que les normes de la charia étaient toujours en vigueur dans les salles équipées de meubles italiens. Dans un internat pour les jeunes criminels, il a vu deux fillettes, âgées de 14 et 15 ans, coupables d'avoir quitté leurs foyers sans l’autorisation de leurs maris, alors qu'elles avaient été mariées sous contrainte. Presque tous les "clients" du nouveau système juridique afghan interrogés par le journaliste se sont plaints de la corruption incomparable avec celle qui existait sous les talibans.

"Je ne crois pas à la démocratie dans une société moyenâgeuse, a déclaré au Festival Diego Buñuel, journaliste de télévision et auteur de plusieurs documentaires pour le programme National Geographic Adventure. L'Afghanistan vit au XIVe siècle, les gens y vivent sans eau et sans gaz, mais nous autres, obsédés par la démocratie, y venons et leur disons: "Si vous tenez honnêtement les élections, nous vous donnerons 20 milliards de dollars". Tout cela entraîne la profanation de l'idée même de démocratie".

Mais on peut s’opposer à l'auteur qui est, à propos, petit-fils du célèbre réalisateur Luis Buñuel. La démocratie a existé dans des sociétés pauvres (on peut citer l'exemple de l'Europe occidentale après deux guerres mondiales dévastatrices, lorsque les enfants allemands demandaient aux passants non pas une pièce de monnaie, mais une croute de pain). Mais la démocratie du modèle européen et américain est un succès exceptionnel reposant sur de longues années de développement du christianisme, le travail multiséculaire des humanistes et des philosophes qui avaient formé une nouvelle image de l'Européen. Le Japon et de la Corée du Sud confirment cette règle, car les connaissances y furent de tout temps à l'honneur et ils étaient prêts à percevoir les idées humanistes, bien qu'avec des réserves et compte tenu des traits spécifiques locaux. Au Japon, la scolarisation (le pourcentage des enfants fréquentant l'école) dépassait 90% bien avant la guerre russo-japonaise de 1905. Que dire de l'Afghanistan où la part d’illettrés parmi les conscrits recrutés dans l'armée afghane loyale envers Hamid Karzaï atteint, d'après les données du magazine Panorama, 93%?

La situation met en lumière l'un des principaux problèmes de la société contemporaine occidentale: une foi exagérée dans les "institutions". On néglige la question de savoir qui va travailler dans ces institutions. Si les gens qui jugent normal de condamner une fillette qui s'est enfuie de la maison maritale de plusieurs années de prison et de relâcher un maire corrompu après quelques mois de détention, alors, même les meilleures "institutions" s'avéreront inutiles. En effet, la loi ne crée pas de nouvelles valeurs dans une société, elle ne fait qu'énoncer les notions déjà existantes du bien et du mal.

Les documentaires projetés à Pérouse ont mis en lumière le même problème dans le milieu des journalistes. La technique moderne permet aux journalistes de filmer des images uniques en leur genre et de glaner des informations dans n'importe quelle région du monde. Mais une question demeure: comment assurer la perception adéquate de cette information. L'opérateur de la chaîne de télévision Al Jazeera, Lait Mushtaq, a raconté  comment il a filmé la peine de mort par son téléphone portable. La qualité des prises de vues était très bonne et ces images ont été transmises par la télévision. C'est également de cette façon qu’avait été filmée la pendaison de Saddam Hussein. Mais, au lieu de l'apaisement souhaité par les Américains, ces images avaient provoqué de nouvelles émeutes en Irak qui avaient fait plusieurs morts. Bref, un succès journalistique peut causer une tragédie.

Cela pose de nouveau la question des institutions: il ne suffit pas de montrer la vérité, il est très important de savoir qui regardera cette vérité et comment assurer une perception humaniste de cette information. Avant l'abolition de la peine de mort dans les pays d'Europe, cette méthode de lutte contre la criminalité avait été condamnée par les plus célèbres écrivains européens: Ivan Tourgueniev (l'Exécution de Troppmann), Léon Tolstoï, Albert Camus (les Réflexions sur la guillotine). La lutte pour l’âme des gens (ou ne serait-ce que pour celles de la partie instruite, intelligente de la société) fut gagnée des décennies avant que le Conseil de l'Europe ne consacre cette victoire en interdisant officiellement la peine de mort. Mais qui lutte aujourd'hui pour les âmes et comment ces défenseurs des âmes peuvent-ils briser le rideau d'indifférence, de pop-culture abrutissante, de "dirigeants efficaces" des médias qui ne pensent qu'à la cote de popularité et non à la formation des valeurs dans la société?

Le Festival du journalisme qui s'est tenu dans la ville italienne de Pérouse pendant une semaine a posé ces questions difficiles qui nous concernent également.

 

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

 

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