Le Monde
Réconciliation russo-ukrainienne autour du gaz et du port de Sébastopol
La visite de Dmitri Medvedev en Ukraine, mercredi 21 avril, la première d'un chef d'Etat russe depuis 2006, a scellé la réconciliation russo-ukrainienne autour de deux sujets de discorde : le gaz et la présence en Crimée de la flotte russe de la mer Noire.
Réunis à Kharkov, ville de l'est industriel et russophone, Dmitri Medvedev et son homologue Viktor Ianoukovitch se sont entendus : l'Ukraine paiera le gaz russe moins cher (230 dollars les 1000 m3 au lieu de 330 dollars) et, en retour, les bâtiments de la flotte russe pourront mouiller à Sébastopol jusqu'en 2042.
Ce double accord est le premier résultat concret du réchauffement voulu par le président ukrainien depuis son arrivée au pouvoir en janvier. M. Ianoukovitch défend avant tout les intérêts de la puissante Union des industriels du Donbass, fleuron de l'industrie métallurgique et grosse consommatrice de gaz. Pour un industriel comme Rinat Akhmetov, le financier du Parti des régions, une baisse des tarifs était une priorité.
FLOU
Le gaz moins cher va aussi permettre à l'Ukraine, sauvée de la faillite à l'automne 2009 par un prêt de 16,4 milliards de dollars auprès du FMI (seule la première tranche de 4,5 milliards de dollars a été versée – 3,35 milliards d'euros), de limiter son déficit budgétaire. A l'issue de la rencontre, Viktor Ianoukovitch a exprimé sa "gratitude" à M. Medvedev.
Ces dernières années, la question de l'"or bleu" empoisonnait les relations entre Kiev et Moscou. Lors d'une nouvelle dispute en janvier 2009, la Russie avait fermé le robinet gazier vers l'Ukraine, par laquelle transite 80 % des volumes destinés à l'Europe. Les clients européens, alors privés d'énergie au cœur de l'hiver, ont de bonnes raisons de se réjouir de cet accord.
Economiquement exsangue, l'Ukraine, en quête de liquidités, est prête aux concessions. A terme, la Russie pourrait être associée à la modernisation du réseau de gazoducs, et plus encore.
Toutefois, cette propension au compromis n'est pas du goût de l'opposition. Selon elle, la prolongation du bail de la flotte russe à Sébastopol est une entrave à la Constitution, qui stipule qu'aucune base militaire étrangère ne peut être installée sur le territoire national.
D'autres se consolent en remarquant que M. Ianoukovitch ne restera pas éternellement au pouvoir, son mandat s'achevant en 2015, soit deux ans avant la fin du bail actuel de la base.
L'accord signé à Kharkov est critiqué pour le flou entretenu au sujet du loyer payé par la Russie. M. Medvedev n'a fait qu'accentuer cette impression en indiquant que la réduction du prix du gaz serait "considérée comme une partie du loyer de notre base militaire".
Mais il en faudrait plus pour gâcher les retrouvailles. Le 9 mai, 1 400 militaires russes et ukrainiens défileront ensemble à Sébastopol à l'occasion du 65e anniversaire de la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie.
Le Parisien
Russie: 140 ans après sa naissance, Lénine tombe peu à peu dans l'oubli
Fondateur de l'URSS pour les plus cultivés ou simple "statue" pour les plus jeunes, Lénine, dont le 140e anniversaire est célébré jeudi, tombe dans l'oubli et cède la place à Staline, symbole de l'autorité de l'Etat, un thème en vogue depuis une dizaine d'années en Russie.
En moins de vingt ans, le nombre de Russes désignant Lénine comme la "personnalité la plus remarquable au monde" a été réduit de plus de moitié, passant de 72% à 34%, selon le Centre russe indépendant Levada.
Parallèlement, trois fois plus de Russes (36% contre 12%) décernent ce titre au successeur de Lénine, Joseph Staline.
"Staline symbolise les conquêtes de l'empire soviétique et pour cela il séduit les Russes plus que Lénine" dont plus 16.500 statues restent toujours érigées en Russie, explique Denis Volkov, sociologue du Centre Levada.
C'est en 2000, avec l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine --qui cherchait à asseoir son autorité après les tumultueuses années 1990 -- que la cote de popularité de Staline a bondi, au détriment de Lénine, dont la momie est toujours conservée dans un mausolée au pied du Kremlin.
"La propagande d'Etat a laissé tomber Lénine, lui préférant Staline, présenté comme un leader plus fort et auteur de la victoire des Soviétiques sur les nazis, événement positif de loin le plus important du siècle dernier pour les Russes", ajoute le sociologue.
Mais "l'opposition entre les deux tyrans est artificielle", estime l'analyste Valéri Khomiakov, directeur général de l'ONG Conseil de la stratégie nationale, pour qui "Lénine est l'auteur de la terreur rouge ayant ordonné des exécutions de masse et qui a préparé les crimes staliniens".
Pourtant, jusqu'à l'éclatement de l'URSS en 1991, la réputation du père de la révolution bolchévique est restée inébranlable, à la différence de Staline, dont le culte a été dénoncé à plusieurs reprises après sa mort en 1953.
A l'école primaire, les petits Soviétiques apprenaient par coeur des poèmes sur "grand-père Lénine", exemple de sobriété et d'altruisme, sous des portraits le représentant bébé, au visage radieux entouré de boucles dorées.
Puis à l'université, ils se cassaient la tête sur l'éternelle énigme du régime affirmant que Lénine, décédé en 1924, était "plus vivant que tous les vivants", ou apprenaient que l'examen de son cerveau, soigneusement conservé, avait permis d'expliquer d'où venait son génie.
"C'est la perestroïka qui a renversé Lénine de son piédestal", note le politologue Gleb Pavlovski.
"La nouvelle Russie ne voulait plus que ses origines remontent à la Révolution de 1917 et voulait oublier Lénine", ajoute-t-il.
Révolutionnaire, anti-monarchiste, athée farouche et internationaliste, Lénine ne remue plus les foules en Russie, contrairement à Staline, effigie d'un Etat national fort, note ce politologue proche du Kremlin.
"A l'approche de la présidentielle (prévue en 2012, ndlr), les partisans de Poutine (Premier ministre) cultiveront encore plus l'image de Staline, et celle de Lénine tombera dans l'oubli", estime M. Khomiakov.
Si le retrait de sa dépouille de la place Rouge et son inhumation suscitent encore des discussions passionnées, Lénine semble avoir déjà été définitivement enterré par les jeunes.
"Lénine est une statue près de notre magasin", écrit Dacha, en CP, lors d'une interrogation écrite organisée récemment dans une école moscovite et publiée sur le site pour les enfants openok.ru. Pour sa copine Tania, c'est "un homme à casquette", et pour le petit Alexandre, "un cosmonaute".
Le Monde
Moscou-Kiev-Varsovie, le ciel s'éclaircit à l'Est
Base contre gaz : en langage clair, cela s'appelle un échange de bons procédés. Moscou et Kiev ont annoncé, mercredi 21 avril, un double accord : l'Ukraine prolonge d'au moins vingt-cinq ans le bail de la flotte russe stationnée à Sébastopol, en Crimée, bail qui devait expirer en 2017 ; de son côté, la Russie réduit d'environ un tiers le prix du gaz qu'elle livre à l'Ukraine.
Moscou engrange là tout le bénéfice de l'arrivée au pouvoir, en février à Kiev, du nouveau président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, un homme soucieux de mettre fin aux relations tumultueuses avec Moscou qui avaient marqué la présidence de son prédécesseur Viktor Iouchtchenko, considéré comme un ami de l'Occident. Par ce nouvel accord, la Russie est assurée de conserver son ancrage stratégique en mer Noire, et garde une influence durable dans la plus importante des anciennes républiques soviétiques, l'Ukraine, aux portes de l'Union européenne. Le nouveau président ukrainien, lui, trouve dans la réduction du prix du gaz le moyen de boucler son budget et de reprendre langue avec les banquiers du Fonds monétaire international.
Il y a là, paradoxalement, une bonne nouvelle pour les Européens. L'apaisement des tensions entre la Russie et l'Ukraine est un signe de détente à l'Est, et traduit la volonté de Moscou d'améliorer ses relations avec plusieurs de ses voisins. L'embellie la plus spectaculaire concerne la Pologne. Les signes de rapprochement se sont multipliés depuis deux semaines, d'abord à l'occasion des commémorations du massacre de Katyn, symbole hautement émotionnel de l'antagonisme soviéto-polonais, puis après la mort du président polonais Lech Kaczynski dans la catastrophe aérienne de Smolensk. Ni le président russe, Dmitri Medvedev, ni le premier ministre, Vladimir Poutine, n'ont ménagé leurs efforts, pendant ces événements, pour exprimer leur compassion et la solidarité slave au peuple polonais endeuillé. Entre Varsovie et Moscou, le changement de ton est notable, après des années d'acrimonie et de tensions liées au passé soviétique et à la volonté russe de reconquérir une sphère d'influence.
Tournant ou embellie de circonstance ? Ces évolutions s'inscrivent en tout cas dans un contexte diplomatique nouveau. Les relations entre Moscou et Washington sont devenues plus amènes. En adoptant une attitude plus constructive, la Russie cherche à désamorcer la méfiance occidentale, au moment où l'OTAN élabore un nouveau "concept stratégique" qui pourrait renforcer les mécanismes de solidarité entre les alliés.
De son côté, la Pologne s'est affirmée comme une puissance régionale au sein de l'Union européenne (UE). Elle est incontournable dans la poursuite des difficiles discussions sur un nouvel accord de partenariat entre l'UE et Moscou. C'est là un enjeu majeur. Et l'Europe, seule partenaire solide pour assurer à la Russie les investissements nécessaires à son redressement économique, doit formuler enfin un message cohérent en direction du grand voisin de l'Est.