Le 17 avril 2010
Le Figaro
Deux jours de funérailles grandioses en Pologne et l'esquisse d'une réconciliation avec le peuple russe
Des funérailles grandioses telles que la Pologne n'en avait pas connu depuis la mort de Jean-Paul II. Et un casse-tête inouï pour l'ambassadeur de Pologne à Paris, Tomasz Orlowski, chargé de remplacer au pied levé le chef du protocole, Mariusz Kazana, victime du crash de Smolensk.
Quatre-vingts délégations étrangères, de nombreux rois et chefs d'État, l'élite de l'État polonais, les plus hauts dignitaires de l'Église sont attendus demain à Cracovie pour les obsèques du président Lech Kaczynski et de son épouse, Maria. Si toutefois le nuage de cendres islandaises, qui a entraîné hier la fermeture de l'aéroport, daigne s'éloigner du ciel polonais. Un défi de plus en plus cauchemardesque pour l'ambassadeur Orlowski. Dans quel ordre placer les délégations ? Passe encore pour les têtes couronnées, Juan Carlos d'Espagne, le prince Charles ou Harald de Norvège. Mais pour les présidents ? La règle donne la priorité à l'ancienneté. Mais alors, quel affront pour Barack Obama ! À moins de se retrancher sur l'ordre alphabétique. Mais comment imaginer que le représentant de la Russie, Dmitri Medvedev, soit précédé par celui de la Géorgie, Mikhaïl Saakachvili ? D'autant, souligne un diplomate, que « depuis une semaine, les Russes se comportent de manière exemplaire ».
Car en filigrane de ce débat protocolaire, les funérailles du président polonais ont pris une signification politique inattendue. Elles devraient sceller la réconciliation polono-Russe symboliquement amorcée le 7 avril dernier à Katyn par Vladimir Poutine et son homologue polonais, Donald Tusk. En l'espace de dix jours, des gestes et des mots « sans précédent » font croire à Adam Michnik, conscience morale de la Pologne, que les deux pays sont en train de tourner la page. Dans un vibrant éditorial publié hier en polonais et en Russe, l'ancienne figure de proue de Solidarité salue une « douleur commune » qui pourrait mettre fin à des siècles de « haine et d'incompréhension ».
La condamnation par le président Medvedev des crimes de Staline et notamment du massacre de milliers d'officiers polonais à Katyn, l'accolade de Poutine, visiblement ému, à Tusk après la catastrophe de Smolensk, les gerbes de fleurs déposées devant l'ambassade de Pologne à Moscou ont bouleversé les Polonais. Bien sûr, beaucoup se disent sceptiques. N'empêche, « la compassion et la solidarité des Moskale » (des Russes), écrit Adam Michnik, laissent penser qu'« à Katyn et Smolensk, les deux pays se sont trouvé un destin commun ».
Le paradoxe veut que le très russophobe Lech Kaczynski soit l'artisan involontaire de ce rapprochement. En réalité, le président avait mis un peu d'eau dans son vin jusqu'ici plutôt aigre. Le discours qu'il projetait de prononcer le 10 avril à Katyn a été publié cette semaine. Lech Kaczynski y exhortait Russes et Polonais « à faire en sorte que la blessure de Katyn puisse enfin cicatriser » et soulignait que les deux pays « s'étaient déjà engagés sur cette voie ».
Dimanche, si le ciel le permet, Dmitri Medvedev aura donc droit à des égards particuliers. Pour d'autres raisons, Barack Obama bénéficiera lui aussi d'un traitement privilégié. Ce sera sa première visite en Pologne. Il a déçu Varsovie en renonçant à implanter sur le sol polonais un bouclier antimissile. L'Europe centrale le perçoit comme un bel indifférent. En marge de l'accord Start signé récemment à Prague, le président américain avait organisé un dîner avec les dirigeants de la « Nouvelle Europe » pour les rassurer. Obama, dit-on, veut se faire pardonner.
Les cérémonies commencent ce matin à Varsovie. Plus d'un demi-million de personnes doivent assister à une messe sur la place Pilsudski en hommage aux 96 victimes du crash. Elles se poursuivront demain à la basilique Notre-Dame de Cracovie, qui accueillera les cercueils des époux Kaczynski en présence, normalement, des chefs d'État étrangers et du cardinal Sodano, l'émissaire du Pape. Lech et Maria Kaczynski seront ensuite inhumés au château du Wawel. Les services de sécurité, sur le pied de guerre, attendent un million de personnes.
Le 18 avril 2010
Le Midi Libre
Toute une nation se recueille après le crash
Pologne LES FAITS Les cérémonies ont commencé à l'heure exacte de l'accident Cent mille Polonais se sont recueillis hier sur une immense place de Varsovie à la mémoire du président Lech Kaczynski et des 95 autres victimes de l'accident de l'avion présidentiel qui s'est écrasé il y a une semaine en Russie. Les sirènes ont retenti et les cloches des églises ont sonné à travers toute la Pologne pour marquer le début des cérémonies, tout comme plus tôt, à 8 h 56 locales à l'heure exacte de la catastrophe aérienne à Smolensk dans l'ouest de la Russie. « C'est la plus grande tragédie dans l'histoire de la Pologne après la Seconde guerre mondiale » a lancé le Premier ministre Donald Tusk.
« En ces jours difficiles pour notre patrie, nous ne nous sommes pas retrouvés seuls. Nous sommes pour cela reconnaissants aux citoyens de Russie qui ont spontanément apporté à la Pologne et aux Polonais leur compassion » , a déclaré pour sa part le président en exercice Bronislaw Komorowski. « Le Saint-Père m'a confié l'honneur de le représenter devant vous en ces circonstances douloureuses, afin de vous exprimer toute sa solidarité et son sentiment paternel » , a dit l'archevêque Jozef Kowalczyk avant la messe de requiem. La paralysie du trafic aérien européen et la fermeture jusqu'à nouvel ordre de l'espace aérien polonais rendait très incertaine la venue de dirigeants étrangers, dont le président russe, Dmitri Medvedev, et rendu impossible celle de l'Américain Barack Obama et de la chancelière allemande Angela Merkel, à Cracovie. Hier, la cérémonie a commencé à midi sur la place. Un autel avait été dressé à l'endroit où le pape Jean Paul II avait célébré sa messe mémorable, lors de son premier pèlerinage en Pologne communiste en 1979. Une simple croix blanche y a été érigée, sur fond d'un immense panneau noir avec les photos de toutes les victimes. Outre M. Tusk, le ministre des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski, l'ex-président et père du mouvement anticommuniste Solidarité Lech Walesa et l'ex-président Alexander Kwasniewski étaient présents, ainsi que les proches des victimes. Le frère jumeau de Lech Kaczynski, Jaroslaw, a été applaudi à son arrivée avec la fille du couple présidentiel, Marta. Un acteur a lu les noms de chacun des passagers qui se rendaient dans la forêt de Katyn pour un hommage à la mémoire de 22 000 officiers polonais assassinés sur ordre de Staline en 1940. Celui du président, de son épouse Maria, de tous les chefs d'état-major de l'armée, de figures de la résistance et de la lutte contre le communisme, de députés et vice-ministres, d'ecclésiastiques ; du chef du comité olympique également, du président de la banque centrale et de bien d'autres personnalités mais aussi des interprètes, des jeunes agents de sécurité et des hôtesses de l'air. Derrière l'autel, les 96 portraits des victimes du drame de Smolensk.
Le 19 avril 2010
Libération
Nikita Mikhalkov, "on ne l'aime pas"
L'Union des cinéastes russes pétitionne en masse contre son président, sélectionné à Cannes.
Depuis plus de dix ans qu'il dirige l'Union des cinéastes russes, puissante institution qui participe notamment à la distribution des subventions d'Etat, les méthodes de Nikita Mikhalkov ont été souvent sujettes à contestation. Entre autres, ses réélections successives "à l'unanimité" à la présidence de ladite Union au prix de manœuvres pour le moins soviétiques (procurations truquées et autres invitations somptuaires des membres votants).
L'œuvre respectable du cinéaste (Cinq soirées, Urga, Soleil trompeur) est plus qu'en porte-à-faux avec le comportement du personnage qui, comme son père, Sergueï (mort en 2009, à 96 ans), auteur de l'hymne soviétique sous Staline puis de l'hymne de la Russie indépendante, a toujours surfé sur la vague du régime en place.
Orage. Proche de Boris Eltsine au temps du dégel de l'URSS, Nikita Mikhalkov est devenu un fervent défenseur de Poutine (l'ex-président russe devenu Premier ministre) et de l'actuel chef de l'Etat, Dmitri Medvedev. Mikhalkov ne cache pas en public qu'il est nostalgique d'une certaine Russie "éternelle", voire du tsarisme. Surtout, il fustige les jeunes cinéastes russes qui œuvrent à des fins "antipatriotiques".
Depuis quelques jours, les relations entre Mikhalkov et ses collègues cinéastes ont viré à l'orage. Un appel a été signé par 90 personnalités, et non des moindres : entre autres, parmi les cinéastes, Alexeï Guerman père et fils, Alexandre Sokourov, Youri Norstein, Eldar Ryazanov, Boris Khlebnikov, Alexeï Popogrebsky, Nicolas Khomeriki, mais aussi Naum Kleiman, directeur du musée du Cinéma, ou Andreï Plakhov, critique de cinéma.
Dans ce texte intitulé On ne l'aime pas !, les signataires dénoncent le despotisme de Mikhalkov. Nous en reproduisons l'essentiel ci-dessous : "On n'aime pas la verticalité du pouvoir monarchique au sein de notre union professionnelle. On n'aime pas le style totalitaire de la gestion de notre union, où une seule personne met aux postes importants des gens qui l'arrangent, et avec qui il prend les décisions cruciales pendant des réunions qui ont lieu dans les lieux secrets, à huis clos, auxquelles on n'a pas le droit de participer et où l'on ne s'intéresse pas à notre opinion. On n'aime pas les congrès au Kremlin ou dans l'énorme salle chic du Gostinyj Dvor, pendant que notre siège originaire, le Dom Kino (la maison du Cinéma), reste abandonné et dévasté. On n'aime pas le projet du nouveau statut, qui prévoit l'abolition des guildes professionnelles, qui ont bien prouvé leur nécessité pendant leurs deux dizaines d'années d'existence.
"Anticonstitutionnel". On n'aime pas la recherche obsédée de l'ennemi intérieur et la mise à pied des insoumis. Et surtout, on n'aime pas le fait que la discussion libre, la diversité des opinions, l'esprit de la liberté et de la démocratie aient quitté les murs de notre union depuis longtemps, pour céder la place à la mentalité unitariste, au faux patriotisme et à la servilité qui y sont imposés.
Nous sommes persuadés que l'installation d'une telle ambiance dans l'union artistique, présidée par une personne "qui a beaucoup de pouvoir", risque d'accroître des tendances anticonstitutionnelles, antidémocratiques et immorales présentes dans notre société. On ne veut pas participer à ce processus dangereux. Voilà pourquoi on a pris cette décision qui est pénible pour nous tous : sortir de l'Union des cinéastes."
Le dernier film de Nikita Mikhalkov, Utomlyonnye Solntsem 2 (la suite deSoleil trompeur), venant d'être retenu par le prochain Festival de Cannes pour représenter la Russie dans la sélection officielle 2010, cette démission collective et fracassante ne devrait pas manquer de provoquer un certain émoi sur la Croisette.
Libération
Les tragédies souvent rapprochent
L'enterrement de Lech et Maria Kaczynski, hier à Cracovie, a scellé la réconciliation russo-polonaise.
Ironie du destin, les funérailles du président Lech Kaczynski, hier à Cracovie, ont été placées sous le signe du rapprochement russo-polonais. Suite au désistement de nombreuses délégations étrangères en raison de la paralysie aérienne, le président russe Dmitri Medvedev était le dignitaire le plus important à avoir fait le déplacement. Or Lech Kaczynski nourrissait une méfiance profonde à l'encontre des Russes, accusés d'avoir asservi le pays au fil des siècles. Sur les 98 délégations annoncées, une vingtaine étaient présentes : outre le chef de l'Etat russe, son homologue ukrainien Viktor Ianoukovitch ou le Géorgien Mikhaïl Saakachvili. Mais de nombreux Occidentaux s'étaient désistés : le président Barack Obama, la chancelière allemande Angela Merkel, Nicolas Sarkozy...
La messe des funérailles dans la basilique Notre-Dame a été marquée par le drame de Katyn et le poids de l'histoire entre la Russie et la Pologne. Le président Kaczynski et les 95 autres victimes du crash du 10 avril au-dessus de Smolensk, en Russie, se rendaient au 70e anniversaire du massacre de Katyn - 22 000 officiers polonais assassinés en 1940 sur ordre de Staline - dont les Soviétiques avaient pendant cinquante ans rejeté la responsabilité sur les nazis.
Compassion. Trois jours plus tôt, une cérémonie conjointe avait eu lieu où, pour la première fois, un officiel russe, le Premier ministre Vladimir Poutine, était venu s'incliner devant le mémorial aux victimes au côté de son homologue polonais, Donald Tusk. "Il y a soixante-dix ans, Katyn a éloigné nos deux nations, a déclaré le président polonais par intérim, Bronislaw Komorowski, durant la messe. Des preuves de compassion et d'aide de nos frères russes [après le crash, ndlr] ravivent l'espoir d'un rapprochement et de réconciliation de nos deux nations slaves. Ces mots, je les adresse particulièrement au président de la Russie."Depuis le drame, les Russes ont multiplié les gestes. Inimaginable il y a quelques semaines, le film Katyn du Polonais Andrzej Wajda a été diffusé sur la première chaîne russe. Des monceaux de fleurs s'entassent devant l'ambassade de Pologne à Moscou. Hier, Dmitri Medvedev a confirmé cette inflexion de la diplomatie russe : "Les tragédies très souvent rapprochent, je pense justement que cela est nécessaire aux habitants de notre pays et aux Polonais." Varsovie attend encore des documents russes pour connaître le sort de 7 000 des 22 000 morts de Katyn dont on ne sait rien.
Drapeaux. La messe terminée, les cercueils de Lech Kaczynski et de son épouse ont suivi l'itinéraire des rois de Pologne après leur couronnement pour monter au château du Wawel. Des drapeaux nationaux ou des tulipes et des œillets blancs et rouges à la main, les Polonais étaient massés sur le parcours, moins nombreux que prévu : 150 000 contre un million annoncé. Puis les cercueils ont été descendus dans une crypte de la cathédrale où reposent les souverains et les grands personnages du pays. La polémique s'est tue sur l'opportunité de les y enterrer. Les autorités ont voulu donner un sens plus large : la crypte portera le nom de Katyn, et les noms des 96 victimes y seront inscrits avec le rappel de la tragédie de 1940.
Le Figaro Économie
Un orphelin Russe bouscule la diplomatie américaine
Le sort d'un garçon russe de huit ans, adopté puis abandonné par sa mère américaine, est devenu la source d'intenses frictions diplomatiques entre Moscou et Washington. Début avril, Artiom Saveliev était arrivé seul à l'aéroport moscovite de Domodedovo en provenance du Tennessee, expédié tel un colis postal, par une infirmière américaine qui, six mois après l'avoir adopté, avait souhaité s'en débarrasser. L'affaire a suscité la colère de l'opinion publique russe et abouti, de facto, au gel des procédures d'adoption bilatérales. Une délégation américaine est attendue mardi à Moscou pour régler le différend.Dans une lettre adressée aux autorités russes, la mère indélicate, Torry Hanssen, s'était plainte d'avoir été « trompée par les travailleurs de l'orphelinat russe au sujet de la stabilité mentale » du garçon, qui avait été abandonné après sa naissance par sa génitrice, alcoolique. Le garçon présenterait un « syndrome d'alcoolisation foetale », selon Joyce Sterkel, une spécialiste américaine citée par l'AFP, qui le rendrait « violent ». Autant de troubles qui, selon elle, figurent rarement dans les dossiers médicaux transmis par les orphelinats du pays. Pour sa part, le chauffeur de taxi moscovite qui avait été recruté 200 dollars pour accueillir l'enfant à l'aéroport n'avait noté aucun « trouble mental » chez son petit passager, qu'il avait finalement conduit dans un commissariat de police. Cette affaire « est la goutte d'eau qui fait déborder le vase », a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
La Russie est le troisième pays d'adoption pour les États-Unis, derrière la Chine et l'Éthiopie, et les autorités du pays ne manquent jamais de signaler les cas de mauvais traitements. Depuis 2006, date à laquelle la législation russe avait déjà été durcie, trois enfants ont été tués par leurs parents américains (douze auparavant). Moscou va tenter de mettre de l'ordre dans un système où les pratiques discrétionnaires - alimentées à la fois par les dirigeants des orphelinats et les agences privées américaines - ont toujours dominé. Le médiateur des droits de l'enfant auprès du Kremlin, Pavel Astakhov, souhaite renforcer le rôle de l'État, en particulier à travers le ministère de la Justice.En pleine lune de miel russo-américaine après la signature de l'accord de désarmement Start, l'affaire du petit Artiom fait désordre. Ce week-end, un diplomate de l'ambassade américaine s'est rendu à l'hôpital moscovite où séjourne l'enfant, lui offrant un cadeau d'anniversaire. 16 000 familles américaines se sont déclarées prêtes à adopter le garçonnet qui, néanmoins, restera dans son pays.