Une rencontre entre les dirigeants du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine se tiendra les 15 et 16 avril à Brasilia. Ce sera leur deuxième sommet après celui de la mi-juin 2009 dans la ville russe d’Ekaterinbourg.
L’histoire de ce « club à quatre » est peu ordinaire : c’est dans le rapport des économistes de la société d’investissement américaine Goldman Sachs en 2003 qu’on trouve la première mention de ce sigle, mais ensuite ce quatuor s’invente de lui-même.
Le rapport susmentionné, qui fut le sujet principal du forum de Davos de janvier 2004, ne se bornait pas à citer les pays du BRIC comme des économies caractérisées par les produits intérieurs bruts (PIB) et les capitalisations des marchés de valeurs les plus dynamiques. Il expliquait également ce qui se produirait si cette tendance continuait, à savoir que la Chine et l’Inde seraient les premières économies du monde dès le milieu du siècle, - en réalité, bien plus tôt - et quant au statut du Brésil et de la Russie, il serait autre.
Pratiquant ce jeu aujourd’hui à la mode, les experts additionnent les PIB des quatre pays, ou leurs ressources financières, et s’étonnent, découvrant alors qu’ils sont immenses.
En fait, l’addition automatique des statistiques en tant que telle ne donne rien. On peut, par exemple, additionner les potentiels des États-Unis et de la Chine et on obtiendra une somme encore plus impressionnante. Or, la Chine n’a pas accepté l’idée américaine de diriger le monde à deux, énoncée, en l’occurrence, l’année dernière, le plus souvent par Henry Kissinger, mais pas seulement. L’opposition républicaine a aussi considéré ce refus chinois comme un échec du président Barack Obama.
Il en est autrement avec les pays du BRIC. Certes, le célèbre rapport a obligé les quatre leaders à s’examiner plus attentivement les uns les autres. Depuis 2006, année de la première rencontre des quatre ministres des Affaires étrangères à l’ONU, les ministres se sont rencontrés déjà six fois. Les coordinateurs du BRIC dans les ministères des Affaires étrangères entretiennent des contacts permanents. Les ministres des Finances et les présidents des Banques centrales, ainsi que de celles de développement, se sont rencontrés quatre fois. Les secrétaires des Conseils de sécurité ou leurs homologues de même rang sont également en contact, de même que les chefs des structures antimonopoles. Les quatre ministres de l’Agriculture ont eu une rencontre le mois dernier à Moscou. Les directeurs des services statistiques se sont rencontrés en février. Un forum réservé aux milieux d’affaires précédera le sommet du BRIC.
On remarque que les représentants du BRIC votent toujours de façon presque identique à l’ONU et à d’autres forums, ils proposent même des résolutions en commun. Il convient d’ailleurs de signaler qu’il en serait également ainsi sans rencontres dans le cadre du BRIC, tout simplement, les quatre pays ont des points de vue semblables sans avoir besoin de s’entendre.
En ce qui concerne le mécanisme des sommets, il rappelle beaucoup le G8 : pas de décisions contraignantes, de simples consultations, sortes de « recalage des montres », surtout sur les problèmes clés.
En ce moment, les discussions portent surtout sur les problèmes financiers, surtout ceux qui sont débattus au G20. La plupart de ces problèmes seront examinés au sommet de Brasilia. L’ordre du jour sera simple : la stabilité des monnaies mondiales et la possibilité des paiements directs entre les pays partenaires, les dangers propres à la sortie de la crise globale et la future rencontre du G20 au Canada.
Chacun des pays du BRIC, qui sont très différents, a ses propres considérations concernant leur rapprochement. La Russie se distingue par ses réflexions traditionnelles sur son caractère bicéphale : à quel club appartient-elle vraiment ? Au G8 ou au BRIC?
Bien entendu, aux deux, et pas seulement à eux en général. Et c’est normal. De même que le Brésil appartient au monde portugais, aux fragments de l’ancien empire, monde qui a beaucoup à dire, à la famille des peuples sud-américains, etc. La Russie se donne beaucoup de peine pour choisir, depuis quatre siècles, entre sa culture, semble-t-il, européenne, - ce que les Européens reconnaissent en paroles, mais réfutent strictement dans les actes - et son statut réel de pays émergeant sur la voie des changements, comme le Brésil, l’Inde ou la Chine. Autrement dit, la Russie ne s’inscrit pas entièrement dans le système économique "occidental" qui s’est formé approximativement dans les années 60-70 et qui se compose d’un grand nombre d’organisations et de mécanismes.
Il convient de rappeler dans cet ordre d’idées l’histoire amusante de l’ASEM, l’organisation destinée à renforcer le dialogue entre les pays de l’ASEAN, ceux du Sud-Est asiatique, et les pays d’Europe. La Russie a tenté d’adhérer à cette organisation en tant que pays européen, mais il lui a été répondu poliment : l’Europe, ce ne sont que les membres de l’UE, vous n’y figurez pas. Alors, la diplomatie russe a trouvé une tactique géniale : elle a déposé la demande d’admission à l’ASEM comme pays asiatique, ce qui est irréfutable du point de vue géographique. Mais les pays de l’ASEAN, plus précisément, ceux qui avaient aidé George W. Bush à "isoler" la Russie (et à museler l’ASEAN même) il y a quelques années, ont donné la même réponse : « vous n’êtes pas de notre bord ». En fin de compte, la Russie a été classée – après tout, cette fois-ci, cela contribuera peut-être à son admission – à la catégorie particulière des « Européens du Pacifique », avec l’Australie.
Pour d’aucuns, y compris à Moscou, la situation ambiguë de la Russie dans le monde est un malheur. Pour d’autres, au contraire, une joie. Comme on le voit aujourd’hui, c’est plutôt la joie.
Effectivement, le monde change fondamentalement depuis deux décennies. La division entre Est et Ouest, ou entre Nord développé et Sud en voie de développement disparaît, si elle n’a pas déjà disparu, et il serait difficile d’envier un collègue qui chercherait à évaluer ce qui se produit à l’aune de la bipolarité, de fait, volatilisée. Quelle structure du monde la remplacera?
Quoi qu’il en soit, les mécanismes intérieurs de l’économie mondiale empêcheront la réapparition de deux blocs, même avec d’autres membres. L’existence du BRIC ne vise pas à restreindre, à évincer, à effrayer et à s’opposer aux États-Unis, à l’UE et à l’Occident dans son ensemble. Elle ne vise pas à « changer de leader mondial ». Tout se tient. Les États-Unis sont le premier partenaire commercial de la Chine et un partenaire très précieux de l’Inde, par exemple, dans le domaine du nucléaire civil, de même que, mais dans une moindre mesure, du Brésil et de la Russie. Par contre, ces deux pays attachent une très grande importance à l’Union européenne.
L’étude attentive des deux documents finaux du sommet d’Ekaterinbourg et du programme du sommet de Brasilia montre que les quatre pays du BRIC ont besoin de stabilité économique globale, y compris de celle du dollar. Les quatre pays du BRIC poursuivent deux objectifs stratégiques, le premier étant d’exclure toute discrimination envers les nouveaux pays émergents de la part des "anciens" maîtres du monde et le deuxième – c’est l’objectif politique – est tout simplement de se rapprocher. Il faut trouver les moyens de mieux se comprendre et exclure que quelqu’un puisse provoquer une querelle entre nous, car cela ralentirait le développement économique qui a fait de ces pays différents un groupe d’États proches et semblables.
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.