Notre observateur Anton Nikolski propose à votre attention son commentaire "Derive ou non-derive?"
Il y a quelque temps, l'humoriste Stéphane Guillon dressait à l'antenne de France Inter le portrait d'Eric Besson. L'humoriste a présenté le ministre de l'Immigration comme « une taupe du Front national », envoyé pour « infiltrer le gouvernement ». Connu déjà pour son humour corrosif et sans tabou, Stéphane Guillon a dépeint le ministre comme antipathique avec « des yeux de fouine, un menton fuyant ».
Le héros du portrait a dénoncé « la dérive » de Stéphane Guillon, en accusant l'humoriste de défendre des thèses politiques. L'intervention du ministre a été immédiatement qualifiée par un syndicat de journalistes de «menace proférée contre le droit à la caricature, contre le droit d'expression et de critique ».
Voilà un conflit vieux comme le monde et qui se reproduit encore et encore : jusqu'où peut aller la critique ? où sont les limites de la méchanceté ? Il semble que l'opinion de Jean-Luc Hees, président de Radio France, publié par « le Monde », permet de trouver des repères dans cette histoire concrète mais également dans d'autres situations analogues. Choqué par les propos de l'humoriste sur une station dont il est responsable et immédiatement traité de liberticide par les partisans de la critique sans limites, Jean-Luc Hees a rappelé à ses opposants que s'élever contre les attaques « au faciès » ne constitue ni une posture de droite ni une posture de gauche et que tout individu a droit à la protection de sa liberté.
En Russie, les journalistes de deux médias, «Moskovski Komsomoletz» et «Vedomosti» ont émis des doutes sur les capacités analytiques du président de la Douma Boris Gryzlov suite à son attaque contre leurs publications couvrant les récentes explosions dans le métro de Moscou. Le chef de la chambre basse du parlement avait dénoncé les deux journaux en déclarant que leurs publications et les actions des terroristes étaient liés entre elles. Selon le parlementaire, les propos des journalistes et la déclaration de Dokou Oumarov, ayant revendiqué le double attentat, avaient les mêmes origines. Les journalistes sont stupéfaits. Pour eux, l'unique lien existant entre leurs textes et la déclaration du chef des combattants tchétchènes est le fait même d'acte terroriste, d'où leur perplexité devant l'analyse de Gryzlov et la mise en doute des relations qu'il établit. Cependant le parti « Russie Unie », auquel appartient le président de la Douma, parle d'irrespect et d'offense à l'égard d'un homme d'Etat et n'exclut pas un procès contre les médias concernés. Voilà deux histoires. Une question que nous pouvons nous poser maintenant : faire un portrait en décrivant les yeux de fouine et émettre des doutes sur les capacités analytiques d'un homme du pouvoir suite à son interprétation des publications, serait-ce le même type d'atteinte à la liberté de l'individu ?