Durant la 53e session de la Commission des stupéfiants de l’ONU qui s’achève le 12 mars, la Russie s’efforce d’attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur le problème de la drogue afghane.
Selon un rapport rédigé par les experts de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la Russie est le deuxième marché, après l’Europe dans son ensemble, pour la consommation des stupéfiants à base d’opium, y compris l’héroïne, et le premier marché de ce genre parmi certains pays.
Rappelons la promesse faite par Oussama ben Laden alors encore en Afghanistan: « Ils seront noyés dans nos stupéfiants ». « Ils », c’est nous. A l’époque, la Russie avait d’ailleurs soutenu le commandant Ahmad Shah Massoud, ennemi juré d’Oussama et du mollah Omar.
Ben Laden a tenu sa promesse. Sa déclaration date de 1999. Dans les 10 ou 11 ans qui ont suivi, le nombre de toxicomanes a été multiplié par 10 en Russie. Notre pays consomme entre 75 et 80 tonnes d’héroïne afghane par an: ces chiffres cités dans le rapport avaient déjà été répétés maintes fois. Mais il y en a d’autres, moins connus. Par exemple, celui du nombre de décès dus à la drogue enregistrés en Russie est bien supérieur à celui des soldats soviétiques tués durant les dix années de notre présence militaire en Afghanistan: de 30000 à 40000, contre 15000.
La situation en Europe est meilleure. L’Europe dans son ensemble, à l’exception de la Russie et de la Turquie, consomme 19% de la drogue afghane, contre 15% en Russie. Citons, à titre de comparaison, la Chine et l’Inde qui, bien que leur population atteigne un milliard d’habitants, consomment, respectivement, 12% et 7% de la drogue afghane. Une question vient involontairement à l’esprit: en quoi sommes-nous fautifs ? Pourquoi l’arme afghane de destruction massive vise-t-elle la Russie?
Revenons au rapport de l’ONUDC. Même les experts de l’ONU ne cachent pas leur étonnement. Il s’avère que « la demande d’héroïne afghane s’est accrue en Russie à des cadences stupéfiantes et que ce pays est devenu davantage le point final des livraisons qu’une zone de transit ». Puisque l’héroïne parvient de Russie en Europe en quantités très limitées, dans ces conditions, selon les conclusions des experts de l’ONU, les efforts anti-drogue déployés par les autorités russes restent peu efficaces. La Fédération de Russie, bien qu’elle soit le plus grand marché national d’héroïne au monde, ne saisit que 4% de la drogue qui arrive sur son territoire, souligne ce rapport. D’ailleurs, les services secrets afghans ne saisissent que 2% de la drogue.
Certes, la logique des services secrets afghans est compréhensible. A quoi bon saisir ce qui aurait pu être détruit dans les plantations mais qui n’a pas été détruit?
En ce qui concerne les mesures prises par la communauté internationale contre la menace que constitue la drogue afghane, il faut dire qu’elles ne signifient rien de concret. Les États-Unis renoncent, pour la énième fois, au programme de destruction des plantations de pavot à opium en le qualifiant, cette fois-ci, d’inefficace. L’ISAF (la Force internationale d’assistance et de sécurité) qui combat en Afghanistan conjointement avec le contingent américain n’a et n’aura pas de conception clairement définie. Quant à l’OTAN, elle ne se trouve pas juridiquement en Afghanistan et il est difficile d’attendre des parlements des pays européens dont les citoyens consomment beaucoup moins d’opium afghan que les Russes, qu’ils soient tout à coup préoccupés par les problèmes rencontrés par la Russie. Il suffit qu’un seul de leurs soldats périsse en détruisant des plantations d’opium pour que les parlements de ces pays exigent de rappeler leurs contingents nationaux d’Afghanistan. L’exemple néerlandais, en ce sens, est éloquent.
Enfin, en ce qui concerne l’ONUDC et la Commission des stupéfiants de l’ONU qui sont, en fait, les seules institutions officielles chargées de lutter contre la drogue, leurs rapports ne manifestent que leur impuissance face à l’opium afghan. Voici un exemple significatif: le récent rapport da la Commission souligne que, si les plantations de pavot à opium ont diminué à peu près d’un quart, la production d’opium ne s’est réduite que de 10% et l’Afghanistan en a produit en 2009 près de 7000 tonnes, battant traditionnellement son propre record.
Les 2% saisis en Afghanistan même représenteront 140 tonnes sur les 7000 tonnes de drogue déjà produite. Où iront les autres 6860 tonnes?
Selon Antonio Maria Costa, le directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, un « véritable typhon », combinaison idéale de stupéfiants, de criminalité et d’extrémisme, qui s’est déchaîné jadis autour de la frontière afghano-pakistanaise se dirige aujourd’hui vers l’Asie centrale. Si des mesures urgentes ne sont pas prises, cette immense région de l’Eurasie pourra être perdue avec ses immenses ressources. Costa affirme qu’on ne peut venir à bout du problème de la menace transnationale que représente l’opium afghan qu’en prenant des mesures internationales « authentiquement globales».
Nous entendons parler depuis des années de ces mesures « authentiquement globales », mais les quantités d’opium afghan n’ont pas diminué d’un pouce. Reste à fonder un espoir sur la 53e session de la Commission des stupéfiants de l’ONU. Mais que pourra-t-elle donner, outre un nouveau rapport ?
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.