A peine les Européens ont-ils réussi à réconcilier la Suisse et la Libye qu’ils se trouvent entraînés dans une nouvelle querelle, cette fois-ci entre Dubaï et Israël.
Un puissant facteur politique, à savoir les hydrocarbures, a permis de mettre un terme au premier conflit. Sans lui, le contentieux entre la Libye et la Suisse, dans lequel cette dernière a entraîné toute l’UE, aurait pu muer sinon en une « guerre des civilisations » que les efforts même de la Suisse et de la Libye auraient été insuffisants à provoquer, en tout cas, en quelque chose de très douloureux et d’économiquement désagréable pour la Grande Europe.
L’UE a mis presque deux semaines pour expliquer à Berne sa vision des choses qui se réduit, en quelques mots cyniques, à ceci : la Suisse s’est conduite de façon inadéquate à l’égard d’un pays si riche en pétrole et en gaz qu’il est irréfléchi de plaisanter avec lui en période pénible du point de vue énergétique et financier.
Il semble maintenant qu’on peut estimer que l’incident diplomatique prolongé provoqué par l’arrestation du fils de Mouammar Kadhafi, Hannibal, à Genève, puis sa libération, l’arrestation et le procès de deux hommes d’affaires suisses à Tripoli, va petit à petit toucher à sa fin. Il en sera de même pour la fermeture de toute la Libye pour l’Union européenne, le boycott des produits suisses et le djihad contre la Suisse.
Le conflit est pour ainsi dire clos. Fin février, une des figures participant à cette guérilla, le businessman suisse Max Göldi, s’est rendu « de son propre gré » de l’ambassade de Suisse où il était resté réfugié pendant près de 16 mois à la prison de Tripoli. Début mars, une autre figure, Hannibal Kadhafi, a rendu visite à ce dernier et a exprimé son espoir de voir l’enquête s’achever vite. Lorsque des « espoirs » sont formulés par les membres du clan Kadhafi, ils s’avèrent toujours justifiés.
Tout avait commencé à l’été 2008 par l’arrestation dans un hôtel de Genève d’un des fils de Mouammar Kadhafi (Hannibal), dont les domestiques s’étaient plaints de mauvais traitements. L’affaire s’est réglée à l’amiable après dépôt d’une caution, mais les journaux suisses ont publié une photo représentant Hannibal sous les verrous.
Deux hommes d’affaires suisses avaient immédiatement été arrêtés et condamnés, l’un a été acquitté, mais l’autre, Max Göldi, a été condamné à quatre ans de prison « pour séjour illégal » (sans visa) mais s’est réfugié à l’ambassade de Suisse à Tripoli. En réponse, les Suisses ont inscrit 180 Libyens, y compris toute la famille Kadhafi, sur une « liste noire ». Puisque la Suisse fait partie de l’espace de libre circulation de Schengen (22 pays de l’UE et trois associés, dont la Suisse), l’entrée des Kadhafi s’est trouvée automatiquement interdite également dans d’autres pays de l’espace Schengen.
En réplique, Mouammar, furieux, a rappelé aux Suisses leur référendum de novembre interdisant la construction de nouveaux minarets dans le pays et retiré près de 7 milliards de dollars des banques suisses, il a interdit la vente de pétrole aux « gnomes bancaires » et invité les frères musulmans à lancer le djihad contre tout ce qui est suisse et, par la même occasion, contre « le sionisme et l’agression étrangère ». Intervenant à l’automne 2009 à l’ONU, il a même appelé à supprimer l’État helvétique en tant que tel et à partager ses terres entre la France, l’Allemagne et l’Italie. Comme diraient les médecins, « il est dans un état de pathologie aggravée ».
Tout cela, et surtout la perspective du retour de Mouammar Kadhafi au statut de proscrit mondial (des sanctions prises contre la Libye par les États-Unis en 1986 furent levées en 2005, celles de l’ONU et l’UE prises en 1991 furent levées en 2003) ont particulièrement préoccupé le premier ministre italien Silvio Berlusconi. Pour l’Italie, la Libye a toujours été comme l’Algérie pour la France. Rome a toujours entretenu des contacts économiques étroits avec son ancienne colonie. A l’été 2008, Mouammar Kadhafi et Silvio Berlusconi « se sont découverts de nouveau l’un l’autre ». Ils ont signé à Tripoli un accord de coopération et Rome s’est engagée à payer à la Libye 5 milliards de dollars à titre d’indemnisation pour l’« occupation militaire » avant et pendant la Seconde Guerre mondiale (entre 1911 et 1942). En échange, l’Italie a reçu un accès privilégié au gaz et au pétrole libyens et des conditions d’investissement avantageuses.
Berlusconi a ensuite exigé que l’espace Schengen mette de l’ordre chez soi, que soient expliqués clairement aux pays qui ne sont pas membres de l’UE les droits et les obligations dans cet espace et qu’il soit indiqué à Berne que son statut de membre de Schengen ne lui permettait pas d’agir comme elle l’entendait sur le plan politique et de pousser toute l’UE n’importe où. L’espace de libre circulation comporte tous les pays de l’UE sauf la Grande-Bretagne, l’Irlande, Chypre, la Bulgarie et la Roumanie, ainsi que la Suisse et deux autres pays non-membres de l’UE : la Norvège et l’Islande.
En ce qui concerne Max Göldi, on lui a demandé instamment, semble-t-il, de « purger sa peine » car ce serait mieux pour tout le monde. Autrement dit, on l’a « abandonné ».
Bref, tout s’explique par le fait que la Libye est le pays d’Afrique le plus riche en pétrole. Selon les estimations des experts occidentaux, le prix de revient de l’extraction du pétrole libyen de haute qualité est d’un dollar le baril. On estime qu’elle occupe, pour ses réserves, la première place en Afrique et la cinquième dans l’OPEP, soit environ 5,1 milliards de tonnes de réserves récupérables, mais il est fort possible que les réserves de pétrole soient bien plus grandes encore. En ce qui concerne le gaz, les perspectives sont encore plus vastes. Tous les ans la Libye exporte vers l’Europe 8 milliards de m3 de gaz par le gazoduc Green Stream. Les réserves de gaz libyen évaluées jusque-là à 1,47 trillions de m3 sont probablement deux fois plus importantes.
Il faut dire que la Russie a rejoint à temps une série de compagnies et d’États étrangers pour coopérer avec la Libye, pays de déserts riche en pétrole et en gaz, depuis la transformation miraculeuse du dirigeant de la Jamahiriya libyenne de proscrit en ce qu’il est aujourd’hui. Nous coopérons avec lui dans de nombreux domaines : l’extraction, le traitement et l’exportation du pétrole et du gaz, la construction de pipelines par le fond de la Méditerranée, la construction de voies ferrées, la vente de nos armes à Tripoli et la construction de centrales nucléaires. Les montants des contrats atteignent plusieurs milliards de dollars. Kadhafi s’est déjà rendu quatre fois à Moscou.
Les rapports entre la Libye et l’Europe semblent s’améliorer mais un autre problème ayant trait au « conflit de civilisations » se profile déjà à l’horizon. Désormais, Dubaï menace l’UE de l’entraîner dans une querelle avec Israël et les Arabes. La police de Dubaï a annoncé début mars qu’elle avait exigé du parquet de lancer un mandat d’arrestation contre le premier ministre Benjamin Nétanyahou et le chef du service de renseignements israélien Mossad, Meir Dagan, accusés d’avoir organisé l’assassinat à Dubaï d’un des leaders du Hamas et chef de la branche militaire de l’organisation, Mahmoud al-Mabhouh. L’opération s’est déroulée le 19 janvier. Dubaï affirme maintenant disposer de preuves suffisantes de l’implication du Mossad. Qu’est-ce que, pourrait-on penser, l’UE a-t-elle à voir là-dedans ? Le fait est que tous les agents israéliens avaient de fausses pièces d’identité des citoyens de l’UE.
Les autorités de l’émirat chargées de l’immigration affirment pouvoir maintenant interdire l’entrée dans le pays à tout Européen ayant la double citoyenneté, même en possession d’un visa.
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