Medvedev en France: les Mistral et la culture

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Vive la culture! Sans penchant réciproque pour la culture entre la France et la Russie, les relations entre Moscou et Paris se refroidiraient plus régulièrement qu’on ne peut le supposer.

Vive la culture! Sans penchant réciproque pour la culture entre la France et la Russie, les relations entre Moscou et Paris se refroidiraient plus régulièrement qu’on ne peut le supposer. Le président Dmitri Medvedev, arrivé le 1er mars à Paris pour sa première visite d’État, commence aussi, en principe, par la culture, en tout cas l’ouverture de l’exposition « Sainte Russie » à Paris est l’événement le plus spectaculaire du programme de sa visite de trois jours (du 1er au 3 mars). Quels que soient les goulots étroits par lesquels doivent parfois passer les relations politiques et économiques entre le Kremlin et l’Élysée, la culture a toujours été le moyen de leur rendre un peu de lumière et de chaleur. C’est justement le cas en ce moment.

Il est toujours plus intéressant d’observer les visites d’État depuis les coulisses puisque ce qui se passe sur le devant de la scène est plus ou moins connu. D’ailleurs, avant Medvedev, Poutine avait amené avec lui en France au mois de novembre une « grande représentation commerciale ». Il avait conduit les dirigeants de presque toutes les compagnies gazières et pétrolières, électriques, métallurgiques, technologiques, spatiales, énergétiques, de constructions automobiles et aéronautiques, bancaires, financières et d’autres. Les composantes commerciale, énergétique, culturelle et scientifique de la visite de Medvedev sont donc plus ou moins déterminées.

Les tâches géopolitiques de Medvedev ne sont pas moins importantes. Un peu plus tôt, la Russie avait commencé à établir de bons rapports de partenariat avec l’Allemagne d’Angela Merkel. A présent, il faut les porter à un niveau analogue à celui de la France de Nicolas Sarkozy. Les deux principaux pays de l’UE, dont l’un joue le rôle de principale locomotive économique et l’autre, en la personne de Nicolas Sarkozy, prétend occuper la position de leader dans la définition de la politique étrangère de l’UE (et, par conséquent, de toute l’Europe), méritent un renforcement des contacts. Ou, comme ont déclaré Moscou et Paris à la veille de la visite, « un partenariat stratégique privilégié ».

Ce voyage restera dans les mémoires non pas en raison de l’exposition « Sainte Russie » à Paris ou de l’Année croisée France-Russie, mais surtout à cause du porte-hélicoptère Mistral. La Russie souhaiterait acheter des navires de type Mistral et obtenir une licence pour la construction de trois autres navires. La France est prête à les vendre. C’est la première transaction aussi importante entre un pays de l’OTAN et la Russie. Les Mistral se sont si solidement mêlés au tissu des relations Russie-France, France-OTAN, OTAN-UE-Russie-France-pays baltes-Géorgie qu’on ne pourrait les arracher qu’au prix de conséquences très douloureuses. Les pays baltes - la Pologne, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie - et la Géorgie se prononcent fermement contre la vente des Mistral (« les Russes les utiliseront comme des plates-formes pour mener des agressions sur la Baltique et la mer Noire »). Washington ne voudrait pas non plus voir les Mistral parler russe. Pour ne pas irriter les partenaires à l’OTAN, à l’UE et les États-Unis, Paris est prêt à « remettre » les Mistral sans « équipements militaires de haute technologie ».

On attache une importance militaire exagérée aux perspectives de voir le drapeau russe flotter au-dessus des Mistral. Or, ces transactions sont un cas où l’aspect militaire n’est pas le plus important. Les Mistral ont une importance purement économique pour le gouvernement Sarkozy. La signature de la transaction assurera à des milliers d’ouvriers des chantiers de Saint-Nazaire des emplois qui, sans elle, pourraient être supprimés. En temps de sortie de crise, on ne plaisante pas avec ces choses-là.

D’ailleurs, peu savent que l’Espagne et les Pays-Bas suivent attentivement le sort de la transaction. Ces pays ont des navires aux caractéristiques analogues, mais plus petits, qu’ils peuvent proposer à la Russie.

Parler de risque de débarquement russe sur des navires français sur la Baltique ou sur la Mer Noire n’est pas très judicieux, c’est le moins qu’on puisse dire.
Alors que l’OTAN s’est tant rapprochée des frontières occidentales de la Fédération de Russie, c’est justement à Moscou de s’habituer aux rigueurs de la vie. Si les aspects militaires des achats étaient vraiment sérieux, ce sont les États-Unis, le Japon ou la Chine qui auraient le plus de raisons d’être préoccupés, en tout cas, du point de vue militaire, or ils ne le sont pas. Le Secrétaire américain à la Défense Robert Gates, par exemple, qui s’est récemment rendu en France où il s’est entretenu avec son homologue français Hervé Morin, et ensuite avec Nicolas Sarkozy, au sujet des Mistral, a déclaré que « le problème était symbolique et non pas militaire » (the issue is a message issue more than a military issue).

Les Français aiment tout ce qui est russe - du ballet aux gâteaux et aux soldats (sauf ceux de l’époque de Napoléon) -, mais cet amour ne s’est jamais étendu au Kremlin, pour des raisons évidentes. Dans le même ordre d’idées, on peut évoquer le proverbe préféré de notre premier ministre sur l’attitude à l’égard de la Russie : « d’un côté, les Russes, de l’autre, le Kremlin ». Les journaux parisiens ont effectué à l’occasion de la visite de Dmitri Medvedev un curieux sondage sur le thème suivant : « Le rôle de la personnalité dans l’histoire, en général, et dans l’histoire France-Russie, en particulier ».

À l’occasion de cette visite, les journaux français sont "obsédés" par les mêmes questions et les mêmes réponses : a) Peut-on sceller une amitié avec la Russie au moyen des Mistral ? b) Avec qui vaut-il mieux se lier d’amitié : avec Medvedev ou avec Poutine ? La réponse à la première question se résume à peu près à ceci : il faut se lier d’amitié, si nous voulons un véritable partenariat, si nous ne sommes pas des hypocrites et si nous ne percevons plus la Russie comme l’Union Soviétique. Il faut l’impliquer dans la sécurité européenne, au lieu de la pousser à réanimer ses ambitions impériales. Pour éviter de répéter le « conflit caucasien ».

La deuxième question est depuis longtemps rhétorique et la réponse semble claire. Elle a été formulée à la veille de la visite de Dmitri Medvedev par Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères, qui a déclaré, dans une interview au journal Le Monde : « La génération de Medvedev, c’est autre chose que Vladimir Poutine », avec Dmitri Medvedev c’est plus facile, car il est plus ouvert aux idées occidentales, plus libéral et, en fait, Medvedev, comme s’est exprimé un expert français, « c’est un nouveau Gorbatchev ». Mikhaïl Gorbatchev serait certainement content de l’entendre.

Bref, Medvedev est, pour ainsi dire, digne des Mistral, et Poutine, non. Mais ils seront probablement vendus à l’un et à l’autre. Merci au penchant pour la culture.

Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.

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