Enfin, de nouveau un peu d’agitation à Bruxelles, c’est-à-dire dans l’Union européenne. Elle semble sortir de la routine accablante et entre, après l’adoption du traité de Lisbonne, ou, plus précisément, après sa réforme, dans sa première période de querelles et de scandales.
Cela devait arriver tôt ou tard. Il ne peut pas en être autrement dans une organisation qui obéit depuis le 1er décembre 2009 à de nouveaux statuts et qui a subi une réorganisation structurelle fondamentale, un changement dans ses organes de direction et une nouvelle répartition des pouvoirs. A présent, on assiste à des frictions dont les origines sont toutes simples : qui est le chef dans l’UE, pourquoi lui ? Peut-il se conduire de la manière dont il se conduit actuellement ? Ou bien : pourquoi se conduit-il de cette manière, et pas autrement ?
Le plus curieux est que les motifs d’« incompréhension », très sérieux, résident dans les récentes visites effectuées par Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne, à Moscou (reçue le 24 février par le président Dmitri Medvedev) et à Kiev (le 25 février, représentant l’UE à l’investiture du président Viktor Ianoukovitch).
Au même moment (les 24-25 février), une rencontre de deux jours entre les ministres de la Défense de l’UE se tenait à Palma de Majorque. Rien d’exceptionnel à l’ordre du jour, mais de nombreux ministres ont été offensés par le fait que Lady Ashton se soit rendue en Russie et en Ukraine, et non pas aux Baléares, en Méditerranée. Le pire pour la baronne d’Upholland est que les « gros bonnets Européens » se sont sentis piqués au vif par son absence. Le ministre français de la Défense Hervé Morin a déclaré au sujet de cet affront : « Il est tout de même savoureux de savoir que, ce matin pour la première réunion depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, pour évoquer les relations entre l’OTAN et l’UE, il y ait eu le secrétaire général de l’OTAN (Anders Fogh Rasmussen) et pas la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ».
D’autres ministres ont manifesté leur mécontentement à la suite du Français. Certains d’entre eux ont déclaré en privé que le nouveau président de l’UE Herman Van Rompuy, ou bien le président de la Commission européenne (le premier ministre de l’UE) José Manuel Barroso auraient pu se rendre à Kiev (et Moscou) et que jamais Javier Solana, le prédécesseur de Catherine Ashton à ce poste, n’avait manqué une seule des réunions des ministres de la Défense. On s’est alors souvenu que ce n’était pas la première fois que Catherine Ashton était absente aux rencontres importantes sur la défense.
Il est toujours bon de savoir d’où vient l’attaque et on peut alors savoir qui, dans l’UE, est mécontent de qui, et à quoi on peut s’attendre à l’avenir.
Les Français affirment n’y être pour rien. Cependant, à lire attentivement les journaux parisiens, on peut en douter. Ils font allusion à une mauvaise hérédité de la travailliste Catherine Ashton membre dans les années 1970 de l’organisation Greenham Common Women qui avait protesté contre le déploiement des missiles de croisière américains en Grande-Bretagne et qui avait été considérée comme « achetée par les Soviets ». Pierre Lellouche, Secrétaire d’État aux Affaires européennes, a rappelé qu’après le séisme de Haïti Madame Ashton n’avait pas eu le temps de s’y rendre et d’y brandir le drapeau de l’UE, important donateur d’Haïti. « Mais tout le monde n’est pas Nicolas Sarkozy », déclare Pierre Lellouche, ardent partisan du président. Les Français avaient eux-mêmes élu Catherine Ashton mais, à présent, ils n’apprécient pas qu’elle s’occupe tant de politique étrangère. Or, selon Paris, cette politique de l’UE, c’est Nicolas Sarkozy qui doit la déterminer.
Dans l’entourage de Catherine Ashton, on dit qu’elle aurait pu ne pas se rendre à Kiev (en ce qui concerne Moscou, elle n’aurait pas pu ne pas y aller puisqu’elle y avait été invitée par Sergueï Lavrov) si le président de l’UE Herman Van Rompuy s’y était rendu lui-même. D’autant plus qu’il n’était nullement débordé puisque le 25 février, il faisait une conférence aux étudiants d’un petit institut de Bruges (Belgique). Dans l’entourage de Van Rompuy on a tout de suite répondu que les hauts représentants de l’UE ne se rendaient pas à ce genre d’investitures. En revanche, dans celui de José Manuel Barroso, on a laissé entendre que Madame Ashton prenait peut-être un peu trop sur elle. Bref, des altercations ont déjà lieu dans l’UE entre les trois "grands" du pouvoir.
Non seulement cette querelle ne promet rien de bon pour l’UE, mais elle n’a fait que conforter les adversaires du traité de Lisbonne dans l’idée que celui-ci a été fait en dépit du bon sens et qu’il a définitivement tout embrouillé. L’UE a désormais trois chefs, en fait : le président de l’UE Herman Van Rompuy, le président de la Commission européenne (le premier ministre) José Manuel Barroso, et la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères Catherine Ashton. Il est à remarquer que chacun d’entre eux essaie manifestement de s’attribuer le plus de pouvoir possible.
Les limites de ces pouvoirs sont trop vaguement définies dans le traité de Lisbonne. Celui-ci devait, semblait-il, « remettre de l’ordre » dans l’échelle hiérarchique de Bruxelles, mais, au lieu de cela… comme on le susurre actuellement dans l’UE, l’embarras est encore plus grand qu’à l’époque de la question rhétorique de l’ancien Secrétaire d’État américain Henri Kissinger : « A qui dois-je téléphoner si je veux parler à l’Europe ? ».
L’embarras est général. A qui la Russie doit-elle « téléphoner » si elle veut faire avancer le dossier du régime sans visas avec l’UE ou celui de la signature d’un nouveau traité de coopération et de partenariat avec l’Union Européenne ? Qui est le plus habilité à débattre de ces sujets : Barroso, Van Rompuy ou Ashton?
Nigel Farige, membre du Parlement européen et député du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (parti nationaliste de droite), a pris la défense de sa compatriote victime de cette bagarre. Il a si bien mis en relief les problèmes des nouveaux dirigeants de l’UE qu’il est tout de suite devenu l’ennemi numéro un de toute la presse belge. Sa déclaration mérite d’être citée dans son intégralité. Lors d’une séance du Parlement européen il a déclaré au président de l’Union Européenne Van Rompuy, ex-premier ministre belge : « Je ne voudrais pas être impoli, mais vraiment, vous avez le charisme d’une serpillière humide et l’aspect d’un petit employé de banque ! La question que je voudrais vous poser, c’est : qui êtes-vous ? Je n’ai jamais entendu parler de vous. Personne en Europe n’a jamais entendu parler de vous ». Il a aussi qualifié la Belgique de « non-pays ». Le premier ministre belge Yves Leterme a même adressé une lettre à Jerzy Buzek, président du Parlement européen, pour se plaindre du Britannique, mais toutes les tentatives de le contraindre à présenter ses excuses n’ont fait qu’aggraver le « cas de la Belgique ». Lorsque l’eurodéputée Véronique de Keyser (représentante des socialistes belges) a tenté doucement de l’appeler à respecter les bienséances, Nigel Farige lui a répondu qu’elle était très gentille et assez sympathique, mais qu’il ne pouvait pas s’excuser pour le fait que la Belgique était une construction tout à fait artificielle et une erreur.
J’ai même un peu pitié de la Belgique. La pauvre…
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.
L’Union européenne: échauffourées au sommet au sujet de Moscou et de Kiev
22:18 01.03.2010 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
S'abonner
Enfin, de nouveau un peu d’agitation à Bruxelles, c’est-à-dire dans l’Union européenne. Elle semble sortir de la routine accablante et entre, après l’adoption du traité de Lisbonne, ou, plus précisément, après sa réforme, dans sa première période de querelles et de scandales.