La déclaration de Boris Kolesnikov, vice-président du Parti ukrainien des régions, selon laquelle l’Ukraine « a toutes les chances » de devenir le « principal pays de transit » du projet South Stream témoigne de l’instabilité de la politique ukrainienne.
En réalité, la Russie avait officiellement présenté depuis longtemps l’itinéraire du gazoduc South Stream, dont la construction pourrait débuter, comme l’a récemment déclaré le premier vice-premier ministre russe Viktor Zoubkov, dès l’automne prochain. Ce gazoduc joindra le port russe de Novorossiïsk à Varna en Bulgarie par le fond de la mer Noire en contournant le territoire ukrainien. Ce projet est coûteux et difficile, mais les autorités ukrainiennes ont "mérité" cette attitude à leur égard par leur comportement durant près de vingt ans. Le problème du transit et du pompage non autorisé (plus précisément, du pillage) de gaz russe avait été révélé simultanément à la désintégration de l’Union Soviétique en 1991. Ces problèmes se sont maintenus et aggravés périodiquement sous la présidence de Kravtchouk, le « père de la puissance ukrainienne », sous Koutchma avec sa politique « tous azimuts » et surtout sous le nationaliste « transparent » Iouchtchenko. Rien ne permet d’espérer une amélioration de la situation comme par enchantement après l’arrivée de Viktor Ianoukovitch à la résidence présidentielle.
Certes, ces derniers temps la politique en matière de gaz menée par l’Ukraine s’est montrée un peu plus claire et réaliste. Le prix du transit du gaz russe par le territoire ukrainien a fait l’objet d’une concertation: 2,7 dollars pour le transport de 1000 m3 de gaz sur 100 km, soit un dollar de plus que l’année dernière (1,7 dollar), mais les analystes qualifient ce prix de conforme au marché, et c’est justement ce que demande la Russie à l’Ukraine. Aussi bien Moscou que Kiev admettent que les rapports économiques doivent reposer sur les avantages et sur l’intérêt, et non pas sur l’amitié. Avec l’arrivée de Viktor Ianoukovitch, on peut espérer la fin du lien établi entre d’une part les rapports gaziers entre les deux pays et d’autre part des sujets n’ayant rien à voir avec le gaz comme la souveraineté ukrainienne, l’Holodomor (famine des années 1930), etc., ce que pratiquait l’ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères M. Tarassiouk.
Mais tout cela ne constitue pas une garantie. Or celle-ci pourrait être fournie par la création d’un consortium dédié au transport de gaz entre l’Ukraine, la Russie et l’UE, ce que Viktor Ianoukovitch ne fait que mentionner pour l’instant. Pour la première fois, ce consortium avait été crée dès 2003, mais cette idée avait été enterrée de façon éhontée par Kiev dès la présidence de Koutchma, lorsque Ianoukovitch avait été nommé premier ministre pour la première fois. Sous le président « orange » Viktor Iouchtchenko, il était inopportun d’énoncer cette idée, y compris durant la période où Ianoukovitch était premier ministre. A présent, devons-nous croire, pour la énième fois, que Kiev commencerait à appliquer une politique lucide ?
La déclaration sur la participation au gazoduc South Stream a été faite par Boris Kolesnikov, compagnon de longue date de Viktor Ianoukovitch. Dans les premières années du pouvoir « orange », il avait maintes fois subi des persécutions frisant la chasse à l’homme. Cet homme peut et doit être respecté pour ce qu’il a dû supporter. Mais l’une des tristes conséquences de la révolution orange est la mode de faire des généralisations et des promesses hâtives et populistes dont relève aussi la phrase de Boris Kolesnikov. « L’Ukraine entre dans l’Europe ! », « L’Ukraine revient en Asie ! », « L’Ukraine adhère à l’UE et à l’OTAN ! », « Si, l’Ukraine a déjà été achetée par les oligarques du Kremlin ! » Nous avons entendu tant de déclarations de ce genre depuis cinq ans qu’il serait temps de savoir rester sage. Les auteurs de toutes les généralisations "analytiques" de ce genre les exploitent en vue d’obtenir en douce de l’argent de la Russie et de l’UE : tantôt pour adhérer à l’Espace économique unique (EEU), comme c’était le cas en 2003, tantôt pour intégrer l’UE, comme en 2005-2010. Tous ces écarts d’un pôle à l’autre sont présentés aux spectateurs et aux lecteurs de l’Ouest et de l’Est comme une démocratie pluraliste. Malheureusement, les médias occidentaux participent souvent volontiers à ce jeu.
« Ianoukovitch, homme dépourvu de tout charisme… le falsificateur de l’élection de 2004, peut devenir le nouveau président de l’Ukraine par voie démocratique. La révolution orange n’était-elle que du bluff ? L’Ukraine est-elle de nouveau perdue pour l’Europe ? » se demande le magazine allemand Der Spiegel.
C’est une logique digne d’une ménagère regardant pour la première fois des informations télévisées, et non pas d’une publication analytique. Ianoukovitch est mauvais, parce qu’il est un homme d’âge moyen au « passé soviétique » qui n’a pas honte de parler russe. La Russie est mauvaise parce qu’elle est la Russie et « l’ancienne base de l’URSS », alors que l’Ukraine est merveilleuse ne serait-ce que pour cette raison qu’elle conteste la Russie par la voix de l’élégante dame qu’est la première ministre.
Malheureusement, cette logique reste à l’honneur aussi bien dans l’Union européenne qu’aux États-Unis bien qu’elle ait déjà coûté cher à l’Union européenne dans son ensemble et à certains de ses membres. Désireuse de protéger l’indépendance énergétique ukrainienne vis-à-vis de la Russie, la Pologne, par exemple, avait interdit, bien avant la « révolution orange » la construction sur son territoire d’un tronçon qui aurait relié le secteur slovaque du vieux gazoduc soviétique passant par le territoire ukrainien au tronçon polono-biélorusse du gazoduc Iamal-Europe. La cause du refus polonais est compréhensible car ce tronçon aurait permis à la Russie d’acheminer du gaz en Europe centrale en contournant l’Ukraine. « C’était une grosse erreur des autorités polonaises, déclare aujourd’hui Andrzej Szczesniak, l’expert du centre analytique polonais de Naftagaz.pl, en commentant cette décision. A présent, tous les volumes de gaz qui pourraient transiter par la Pologne sont pris par North Stream. Bien plus, ayant refusé ainsi d’avoir affaire à Gazprom, la Pologne s’est privée également du moyen d’exercer une influence sur la Russie lors des négociations ».
Des personnes raisonnables en Ukraine, parmi lesquelles figure Boris Kolesnikov, comprennent que, dans le cas de South Stream, l’Ukraine suit la même voie que la Pologne dans celui de North Stream. On peut perdre aussi bien son argent que son influence. Il en découle de grandiloquentes promesses d’amitié et d’affection nouvelles. Mais il ne faudrait pas prendre naïvement ces promesses pour argent comptant. Les interviews très prudentes accordées par Ianoukovitch aux chaînes de télévision russes ne donnent aucune raison d’être optimistes ni en ce qui concerne l’économie, ni à propos de la politique, y compris la question du statut de la langue russe en Ukraine. « La langue russe sera employée dans tous les territoires où réside une population russophone » : en fait, cette phrase tirée de l’interview de Viktor Ianoukovitch à la Première chaîne russe ne signifie rien, car le russe est déjà employé dans ces territoires, mais, hélas, à la maison, et pas à l’école. Pourtant, lors de la récente campagne électorale, le statut de langue officielle a été promis au russe et, plus tôt encore, c’est même le statut de deuxième langue d’État qui avait été promis. La Russie est en droit d’attendre de M. Ianoukovitch qu’il tienne ses promesses avant de prendre au sérieux les projets triomphalistes de ses assistants.
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.
L’Ukraine et le gaz russe : deux conflits pour le prix d’un?
21:23 15.02.2010 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
© RIA Novosti . Grigoriy Sisoev
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La déclaration de Boris Kolesnikov, vice-président du Parti ukrainien des régions, selon laquelle l’Ukraine « a toutes les chances » de devenir le « principal pays de transit » du projet South Stream témoigne de l’instabilité de la politique ukrainienne.