QUESTION: Qu’en pensez-vous, cette élection, témoigne-t-elle de la victoire ou de l’échec de la révolution orange?
REPONSE: A mon avis, cette élection témoigne de la défaite des leaders de la révolution orange. En premier lieu de Viktor Iouchtchenko qui a recueilli à peine un peu plus de 5% des voix au premier tour. Pour Ioulia Timochenko qui a été l’un des leaders de la révolution orange, c’est aussi une défaite cinglante. Il faut dire qu’ils n’ont pas justifié les attentes et les espoirs que le peuple ukrainien fondait sur les leaders de la révolution orange. Cette attente était grande. Non seulement en ce qui concerne la démocratie et l’intégration dans l’Union européenne, mais en premier lieu en ce qui concerne les progrès dans le domaine social et économique, l’amélioration de la qualité de la vie et la baisse de la corruption. Ces objectifs n’ont pas été atteints, bien au contraire, la situation a empiré sur le plan de la corruption politique, de la qualité de la vie et des critères sociaux et économiques. Bien entendu, la crise économique globale a une grande part de responsabilité, mais la politique du gouvernement Timochenko n’a pas contribué à surmonter ces phénomènes de crise, au contraire, elle n’a fait que les aggraver.
QUESTION: Mais cette élection démocratique, en tant que telle, peut être tout de même considérée comme l’un des acquis de la révolution orange, n’est-ce pas?
REPONSE: Bien entendu. La classe politique ukrainienne a réussi à assurer la pérennité de la liberté du processus politique, de la liberté de vote, de la liberté de la presse.
QUESTION: L’une des raisons pour lesquelles les élections ukrainiennes suscitent un si vif intérêt dans le monde est le fait que ce pays est considéré, à tort ou à raison, comme un champ de bataille pour l’influence entre la Russie et l’Occident. Les facteurs que constituent la Russie, les États-Unis et l’Union européennes ont-ils joué un rôle dans la présidentielle? Si oui, lequel?
REPONSE: Bien évidemment, l’Ukraine est un pays qui a une grande importance. C’est un pays de plus de 50 millions d’habitants, un pays potentiellement très riche, dont la population est bien instruite et civilisée. Mais je voudrais exprimer ici l’espoir que, sous le président Ianoukovitch, nous ne parlerons plus de l’Ukraine comme d’un champ de bataille entre l’Est et l’Ouest, entre la Russie, d’une part, et les États-Unis et l’Union européenne, d’autre part. En ce qui concerne le facteur russe dans l’élection ukrainienne, on peut dire qu’il a été employé cette fois-ci de façon très habile, très intelligente et qu’il a consisté en ce que la Russie a fait savoir connaître clairement dès le début quelles positions nous souhaitions tenir. Nous avons soutenu des positions, et non pas des candidats.
Cela s’est manifesté dans la déclaration faite par le président Medvedev en août 2009, lorsqu’il a âprement critiqué la politique appliquée par le président Iouchtchenko à l’égard de la Russie et a nettement déclaré que la Russie espérait engager un dialogue constructif, travailler de façon constructive avec les nouveaux dirigeants ukrainiens qui coopéreraient avec respect, intérêt et franchise avec la Russie sur toute une série de points. Ce sont notamment le statut de la langue russe, le statut de l’Ukraine en dehors des blocs et la coopération en matière de transport du gaz. Certes, nous avons toujours supposé que Viktor Ianoukovitch serait plus ouvert au dialogue avec la Russie sur ces questions et ces points. Mais en assumant ses fonctions de première ministre, Ioulia Timochenko a également manifesté son intérêt à établir des relations foncièrement nouvelles avec la Fédération de Russie. C’est pourquoi la Russie s’est comportée en ce sens de façon très judicieuse, très précise, sans miser sur la victoire de tel ou tel candidat.
QUESTION: Et les États-Unis dans tout cela ?
REPONSE: Le comportement des États-Unis a été à peu près le même. En tout cas, après le changement d’administration à la Maison Blanche en 2009, l’administration Obama a déclaré soutenir également certaines positions, et que l’essentiel était le processus démocratique, une élection démocratique. Ils ont exprimé leur certitude que Viktor Ianoukovitch et Ioulia Timochenko conduiraient l’Ukraine sur la voie démocratique, tout en conservant sa souveraineté, qu’ils édifieraient l’État ukrainien selon le modèle démocratique européen. Bien plus, ils ont exprimé l’espoir que le nouveau pouvoir et le nouveau président de l’Ukraine établiraient des rapports constructifs avec la Russie. C’était un signal positif de la part de l’administration Obama. En ce sens, on peut dire que, bien que la Russie et les États-Unis n’aient pas été, pour ainsi dire, du même bord, leurs intérêts à voir apparaître un pouvoir hors de toute emprise idéologique à Kiev et fonctionnant de façon pragmatique ont coïncidé.
Les propos recueillis par Andreï Zolotov