La dernière interview d'Egor Gaïdar, père de la "thérapie de choc"

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Egor Gaïdar, homme politique russe, est décédé le 16 décembre 2009. La veille, il s’était entretenu avec l'économiste Irina Iassina sur la situation économique mondiale

Egor Gaïdar, économiste, homme politique et homme d'Etat russe, est décédé le 16 décembre 2009. La veille, il s’était entretenu avec l'économiste Irina Iassina, fille de l'ancien ministre russe de l'Economie, du bilan économique de l'année qui touche à sa fin.

IASSINA. Cette année n'a pas été facile. J'ai invité Egor Gaïdar en vue de dresser son bilan et de prévoir, ou plus précisément de faire un pronostic, autant que possible, sur ce qui se produira dans notre pays en 2010. Monsieur Gaïdar, 2009 a effectivement été une année difficile. Néanmoins, tout le monde estime que la crise est finie, ou bien qu'elle est sur le point de s'achever. Est-ce vrai, qu'en pensez-vous ?

GAIDAR. Pour l'instant, ce n'est pas encore clair. Il y a un grand débat qui a cours parmi les grands économistes du monde pour savoir si cette crise évolue en forme de lettre U, W ou L. Bref, une crise qui a été très dure (tout le monde reconnaît qu'elle a été la plus grave depuis la Grande Dépression), mais qui s'achève rapidement. Cette crise peut se produire en deux vagues, la deuxième pouvant survenir dans le premier semestre de 2010. Ou bien c'est une crise en forme de L, marquée par une brusque récession qui ne sera pas suivie d'un redressement sérieux. Mais tant pour la première, que pour la seconde, et aussi la troisième, ce ne sont que des hypothèses. J'ai pu discuter de ce sujet avec plusieurs éminents économistes du monde qui sont aussi des gestionnaires. Notre position commune se résume à ceci : nous ne connaissons pas sa nature. Cette crise est extraordinaire, très profonde, et grave. Il y a de nombreux problèmes bancaires liés au système bancaire européen et qui dépendent de l’éventualité qu’a une crise du type bulle de savon de se produire en Chine. D'autres problèmes sont liés aux engagements des grandes corporations vis-à-vis des titres à revenus fixes. Pour le moment, il n'ya aucune réponse définitive à toutes ces questions. Certes, il y a des indices évidents d'amélioration de la situation. D'ailleurs, il était absolument évident qu'ils apparaîtraient au cours du deuxième semestre de cette année après la prise de mesures sans précédent en vue de stimuler la demande aux Etats-Unis, en Europe et en Chine. Mais, malheureusement, c'est ce qu'on appelle la « dernière cartouche ». Il est impossible de répéter ces programmes d’une année sur l’autre, au risque de saper les fondements de la stabilité du système financier national et, par conséquent, le rôle de la monnaie nationale en tant que monnaie de réserve.

IASSINA. Faut-il attendre les résultats?

GAIDAR. Attendez les résultats. Des résultats ont déjà été obtenus. C’est avec le temps qu’on verra dans quelle mesure ils sont durables.

IASSINA. Autrement dit, la question est de savoir si ce moteur fonctionnera sans injections supplémentaires, n'est-ce pas?

GAIDAR. C'est exactement ça.

IASSIINA. Quand pourrons-nous répondre à cette question ?

GAIDAR. A mon avis, vers le milieu de 2010.

IASSINA. En ce qui concerne l'économie russe, est-ce que sa crise est aussi profonde que nous l'avions prévu à la fin de 2008, plus précisément, que nous le craignions à la fin de 2008 ? Est-ce que nous pouvons déjà toucher du doigt une sortie de crise?

GAIDAR. La crise s'est avérée plus profonde que nous ne le supposions, au moins, au milieu de 2008. Je suis de ceux qui avaient prévu que le ralentissement de la croissance économique mondiale exercerait une très forte influence sur l'économie russe. De nombreux experts n'ont pas partagé mon avis. En réalité, l'influence s'est avérée encore plus forte que prévu.

IASSINA. Que pouvez-vous dire des indices mentionnés par nos dirigeants, selon lesquels la crise s'achève et tout se déroule positivement…

GAIDAR. Nous verrons bien. Le bilan définitif de l'année n'est pas encore dressé. Cela ne sera probablement fait qu'à la mi-janvier. Mais, en général, la récession s'est avérée très dure. Le passage d’un régime économique où le PIB progressait d'environ 7% par an durant 10 ans (ou à un taux un peu moindre: de 6,7%) à un régime où il baisse d'environ 10% serait considéré en Amérique comme une catastrophe totale.

IASSINA. Monsieur Gaïdar, le PIB a chuté de 10% et il a continué à baisser durant toute l'année. Mais nombreux sont ceux qui affirment néanmoins: « Il n'y a aucune crise! Tout va bien ! » Est-ce la création d’un « matelas de sécurité » nous a permis de ne pas ressentir la crise?

GAIDAR. Effectivement, nous avons créé un « matelas de sécurité ». Il s'appelle le Fonds de stabilisation qui a été transformé ensuite en Fonds de réserve du bien-être social qui nous a assuré une souplesse d’adaptation aux conditions de la crise. Heureusement, nous avons renoncé aux expériences  dangereuses sur les impôts qui dépendent peu des prix du pétrole, tels que la TVA ou les impôts sur les revenus des personnes physiques.

IASSINA. Autrement dit, nous n'avons pas annulé la TVA?

GAIDAR. Nous n'avons pas annulé la TVA, nous n'avons pas réduit considérablement la TVA et nous n'avons pas réformé le système de l'impôt sur les revenus des personnes physiques.

IASSINA. Un taux d'inflation peu élevé dans les conditions actuelles est-il un signe que la crise touche effectivement à sa fin ?

GAIDAR. La baisse du taux d'inflation est un fait positif, car (et c'est l’autre côté de la médaille dans la crise) la direction des flux de capitaux a changé chez nous: le capital d'entrée a cessé d'affluer. Cela a permis aux autorités financières d'assurer le retour à la tendance à la baisse de l'inflation qui avait été observée chez nous avant 2007. Certes, le fait de la baisse de l'inflation est, en soi, un facteur positif important, mais il n'annule pas les facteurs négatifs, par exemple, la diminution radicale des investissements. En 2008, les investissements ont augmenté d'environ 20%. Cette année, ils diminueront de 20%. En 2008, nous n'avions pratiquement pas de problèmes graves de chômage. A présent, la situation sur le marché du travail a radicalement changé et elle continue à se détériorer. Elle continuera probablement à se détériorer en 2010, car le chômage est l'indice le plus inertiel.

IASSINA. C'est clair. Et qu'en est-il de la production industrielle ? Les chiffres publiés pour le mois de novembre sont mauvais, mais la base de novembre 2008 était déjà mauvaise. Quelle appréciation donnez-vous de ce fait ?

GAIDAR. Dans l'ensemble, la production industrielle baissera d'environ 15%.

IASSINA. Par an?

GAIDAR. Oui.

IASSINA. Les prix du pétrole restent très élevés: en effet, 70 à 80 dollars le baril. En 2007, ce prix semblait très élevé. Quel niveau du prix du pétrole peut-il être considéré comme réaliste pour notre budget pour qu'il ne le contraigne pas à se rétrécir comme une peau de chagrin ? Quel niveau du prix du pétrole notre budget peut-il supporter ?

GAIDAR. En 2000, notre budget a supporté parfaitement le niveau de prix d'à peu près 20 dollars le baril. Mais il est très difficile de ne pas élever les engagements budgétaires, lorsque les prix du pétrole sont très élevés et tout le monde comprend que le pays a beaucoup d'argent. Ces dernières années, malgré la résistance du bloc économique du gouvernement, de sa majeure partie, nous avons certainement élevé ces engagements.

IASSINA. C'est-à-dire les dépenses ?

GAIDAR. Oui, Les dépenses. A présent, toute cote en-dessous de 40 dollars le baril supposera certainement une adaptation très dure.

IASSINA. Néanmoins, les réserves de la Banque centrale augmentent. Peut-on affirmer pour cette raison que la crise s'est achevée ? Ou bien ces réserves dépendent-elles tellement des prix du pétrole, qui sont imprévisibles comme vous l'avez maintes fois déclaré, qu'il est impossible de prévoir quoi que ce soit ?

GAIDAR. Non, ce qui a été fait par la Banque centrale à l'automne de l'année dernière a effectivement permis de changer la situation concernant les réserves. Un accroissement a certainement été enregistré…

IASSINA. Vous pensez aux dépenses ?

GAIDAR… Il s'agit, bien entendu, de la majoration du taux d'intérêt. D’une manière générale, ce fut dur pour l'économie.

IASSINA. Pourtant, il a baissé partout.

GAIDAR. Là où il y avait des monnaies de réserve, il a été réduit. C'était juste, parce que celui qui possède la monnaie mondiale de réserve est responsable de la demande globale. Mais s'il n'y a pas de monnaie mondiale de réserve, on est responsable de la stabilité de son propre système monétaire. A mon avis, le choix qui a été fait d’une baisse graduelle du cours du rouble est parfaitement juste. Une discussion intérieure a eu lieu. Il faut le faire à titre exceptionnel, c'est-à-dire du jour au lendemain. Dans ce cas, nous n'aurions probablement pas perdu 200 milliards de dollars de réserves. Ou bien il faut le faire graduellement, sur plusieurs mois.

IASSINA. Faut-il en déduire qu’il a été décidé de le faire graduellement ?

GAIDAR. Oui, graduellement, Certes, cela nous a fait effectivement perdre 200 milliards de dollars de réserves, mais, ensuite, nous avons redressé la situation et nous avons de nouveau accumulé jusqu’à environ 50 par rapport au minimum.

IASSINA. Faisons des pronostics. Qu'en pensez-vous, est-ce qu'il sera possible de continuer à réduire l'inflation en 2010 ?

GAIDAR. A mon avis, oui.

IASSINA. Quel sera le cours du dollar?

GAIDAR. Il dépendra du prix du pétrole. C’est impossible à prévoir.

IASSINA. Vous avez dit que le chômage augmenterait et que la situation se détériorait.

GAIDAR. Malheureusement, pas seulement chez nous. Même si nous réussissons à obtenir des progrès dans des indices comme l’évolution du PIB, le chômage s'accroîtra certainement jusqu'à la fin de 2010.

IASSINA. Quel sera son taux ?

GAIDAR. Comme vous le savez, c'est une question des statistiques. Le chômage est mesuré selon des méthodes différentes. Je crois plutôt aux indices des chômeurs officiellement enregistrés. Parce que, si quelqu'un n'est pas enregistré officiellement et ne demande pas l'allocation, cela veut dire probablement qu'il ne veut pas travailler ou qu'il travaille déjà.

IASSINA. Dans le secteur informel, c’est ça ?

GAIDAR. Oui. Une ménagère préfère rester chez soi, etc. C'est pourquoi je ne crois pas beaucoup aux statistiques de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) concernant la Russie. L'indice des chômeurs officiellement enregistrés est très bas chez nous. En fait, nous n'avons pas eu de problèmes sérieux en ce sens. Chez nous, le problème traditionnel consistait en ce que nous prévoyons une ligne budgétaire pour les allocations-chômage, mais nous ne pouvons pas la dépenser, car nous n'avons pas suffisamment de demandes d'allocations. A présent, d'après toutes les normes internationales, ce nombre est très bas, en revanche, il augmente très vite.

IASSINA. En ce qui concerne le domaine social, faut-il attendre à défaut de réductions, ne serait-ce qu'un accroissement des dépenses pour compenser l'inflation ? Je pense à du concret, et non pas à ce qui est prévu.

GAIDAR. En ce sens, il y a une tendance déjà mentionnée qui se développera inévitablement plus rapidement que l'inflation: ce sont les dépenses en allocations-chômage. C'est certain. Si nous réussissons à conserver le niveau de dépenses pour le domaine social dans les limites des dépenses réelles de 2009, ce sera un grand progrès.

IASSINA. La crise en Russie s'achèvera-t-elle en Russie en 2010 ? Je ne parle là que de notre pays. Ou bien sera-t-elle si longue et omniprésente que nous n'en sortirons pas ?

GAIDAR. Cela dépend, pour beaucoup, de l'économie mondiale. La majorité écrasante des experts renommés estiment cependant que les taux de croissance de l'économie mondiale seront dans les prochaines années bien plus bas que ceux des années 2004-2008.                                                                                                               

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