Le jeu d'échecs de Manmohan Singh

© RIA Novosti . Yevgeni BezekaLe jeu d'échecs de Manmohan Singh
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On peut sans aucun doute supposer que le Premier ministre indien Manmohan Singh était de bonne humeur en quittant Moscou mardi dernier.

On peut sans aucun doute supposer que le Premier ministre indien Manmohan Singh était de bonne humeur en quittant Moscou mardi dernier.

Il est vrai qu’il est assez difficile de discerner son humeur en regardant son visage. Il cache un demi-sourire derrière sa barbe courte et une moustache. Ses sourcils, quant à eux, sont encore plus épais que cette dernière. Cependant, derrière les verres de ses lunettes, ses yeux étaient sereins et radieux. Manmohan Singh ne contrôle pas seulement son visage en le rendant impénétrable: il faut avouer que le Premier ministre indien est dans l’ensemble peu mobile, à l'exception de ses bras qu'il peut croiser sur sa poitrine. Seules ses manchettes blanches permettent alors de deviner que sa respiration est profonde et régulière.

Tel est le portrait actuel de l'un des plus prestigieux leaders du monde, qui vient de parachever une opération diplomatique très complexe de près de cinq ans. Cette opération a survécu à deux administrations indiennes et à deux administrations américaines.

Tout avait commencé par les essais nucléaires du 11 mai 1998, lorsque l'Inde et le Pakistan étaient devenus un Etat nucléaire, essais effectué avec une élégance rare. L'Inde n'était pas alors signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, c'est pourquoi elle ne violait pas la législation internationale en créant elle-même sa propre bombe.

L'administration américaine (le président des Etats-Unis était alors Bill Clinton) avait frappé de sanctions l'Inde et le Pakistan. C'était le point culminant des illusions américaines à propos de la toute-puissance des Etats-Unis: si l'on lui avait dit alors que l'Inde non seulement survivrait aux sanctions, sans les avoir remarquées ou presque, mais qu'elle serait reconnue, dans la décennie suivante, comme l'un des futurs leaders économiques mondiaux, Bill Clinton aurait bien réfléchi avant d’agir comme il le fit.

La situation a été redressée d'abord par l'administration Bush qui a décidé de faire unilatéralement une exception pour l'Inde concernant le régime de non-prolifération et de coopérer avec elle dans le nucléaire civil. Un accord assez tiré par les cheveux a été élaboré sous le nom de la « transaction 123 ». En fait, elle a été conclue en 2005 et bien que ratifiée à l'automne de l'année dernière, on ne peut dire aujourd'hui que l'Inde soit tout à fait contente de ses acquis.

Cependant, le Premier ministre actuel a pris des risques immenses au nom de cette transaction: il a surmonté l'opposition intérieure à la politique «pro-américaine» et surmonté les doutes et les soupçons émis par beaucoup de personnes à Moscou, qui connaissait alors une période difficile dans ses relations avec les Etats-Unis (frappée par les  «révolutions de couleur» aux frontières de la Russie). Finalement, l'Inde a obtenu l'accès aux technologies et aux matières nucléaires américaines en échange de certaines garanties données à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Il est vrai que, théoriquement, ce pays aurait pu rester sans combustible nucléaire si l'Amérique avait exercé sur lui une pression sous tel ou tel prétexte.

A présent, la situation a changé. La décision prise par le groupe de fournisseurs nucléaires de faire une exception de l'Inde est la clé du marché conclu avec les Etats-Unis. Cette décision, pour laquelle les Etats-Unis (et d’autres pays) ont beaucoup travaillé, a récemment été appliquée. Et Manmohan Singh a effectué en automne-hiver de cette année deux visites, l'une après l'autre, aux Etats-Unis et en Russie. Il a signé à Moscou un accord cadre prévoyant non seulement la construction par la Russie d'au moins quatre (et, peut-être, de huit) nouveaux réacteurs nucléaires, mais aussi quelque chose qui est bien plus précieux pour l'Inde: New Delhi reçoit de Moscou des garanties de livraisons de combustible nucléaire pour ses centrales nucléaires, la possibilité de réenrichir de l'uranium russe, ainsi que des équipements et des technologies.

Pour être juste, il faut reconnaître que les technologies provenant des Etats-Unis et de Russie sont un peu différentes, mais l'Inde a besoin non pas des unes ou des autres, mais de toutes ensemble. Cependant, Washington a maintenant reçu un stimulant pour adopter un comportement prudent à l'égard de New Delhi, de sorte que la «transaction 123» sera probablement mise en œuvre.

Il est à remarquer que les accords cadres sont une chose compliquée, ils ne garantissent nullement à la Russie que les huit chantiers de construction l'attendront éternellement. L'irrespect des délais prévus ou un manquement aux engagements pris suffisent pour que l'Inde corrige ses plans et transmette son projet aux Américains ou aux Français.

On se souvient que des Russes perspicaces qui s’étaient rendu en Inde pour y donner des cours en 2006-2007 disaient que Moscou devrait être ravie par ce qui se produisait entre Bush et Singh. Les Etats-Unis ont créé alors un précédent en se frayant un chemin vers la coopération nucléaire - que Moscou pouvait aussi emprunter. Certes, ce n'était possible qu’en théorie, mais, en fin de compte, cela est devenu réalité. Quant aux craintes que l'Inde ne figure parmi les satellites américains, elles ne se sont pas justifiées.

Certes, c'est l'Inde qui a gagné le plus à ces longs exercices de haute voltige diplomatique. A présent, l'Inde est une véritable puissance nucléaire sur le plan militaire (mais qui n'a pas besoin d'entrer en compétition avec les leaders, les Etats-Unis et la Russie pour le nombre d'ogives) et, en même temps, un pays qui a trouvé une issue à son problème principal: l'absence de ses propres ressources importantes en hydrocarbures. Enfin, ce pays est devenu une forte puissance mondiale, entre autres grâce au modèle de haute diplomatie déployée sous nos yeux.

Ou bien s'agit-il non pas de diplomatie, mais d’une partie d'échecs qui, soit dit à propos, a été inventé en Inde?

Il y a un an, lorsque les marchés financiers mondiaux avaient déjà été bien secoués, nombreux étaient ceux qui commençaient à jouer aux devinettes: quel serait le pays qui «gagnerait la crise»? On soupçonna d’abord la Chine, et à raison. En Chine et chez ses plus proches partenaires économiques (par exemple, les pays du Sud-Est asiatique), la crise n'était nullement perceptible, la récession y était insignifiante.

Mais il s'avère que l'Inde y a également gagné (d'ailleurs grâce à son intégration insignifiante dans l'économie mondiale). Selon une source haut placée, le gouvernement s'attend à ce que l'année 2009 soit marquée par une croissance économique de 6,7%, ce qui y est considéré comme un recul pour l’Inde. Ensuite, dans 2 à 3 années, la croissance du pays devrait revenir à ses records antérieurs de 8 à 9% de croissance.

Par conséquent, l'économie mondiale et les géants mondiaux comme les Etats-Unis ou la Russie ne manqueront pas de futures «locomotives de croissance». Il est vrai qu’il faudra traiter ces locomotives bien plus poliment qu'avant.

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

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