Le 24 novembre 2009, 280 ans se sont écoulés depuis la naissance du grand capitaine russe Alexandre Souvorov, qui n'a perdu aucune bataille durant toute sa carrière.
Le futur généralissime, comte de Russie et du Saint Empire de Rome, prince de l'empire de Russie, cavalier de tous les ordres russes et de nombreux ordres étrangers, est né dans la famille d'un militaire. Son père, Vassili Souvorov, était le filleul de l'empereur Pierre le Grand. Bien instruit, le père d’Alexandre Souvorov a également traduit des ouvrages étrangers sur l'art militaire. Ils disposaient chez eux d’une riche bibliothèque d'ouvrages militaires en russe et en langues étrangères.
Souvorov père voulait d'abord que son fils Alexandre se consacre à une carrière civile en raison de sa constitution frêle et de sa santé précaire, ce qui ne permettait pas d'espérer qu'il puisse faire une brillante carrière militaire. Cependant, son penchant pour l'art et l'histoire militaires s'avéra le plus fort, en même temps que les exercices physiques amélioraient sa santé. Un ami de son père qui avait remarqué l'engouement sérieux d'Alexandre pour l'art et l'histoire militaires, Abraham Hannibal, le célèbre "arap (nègre, en turc) de Pierre le Grand", joua un rôle décisif dans le choix de la carrière militaire du futur généralissime en persuadant Vassili de choisir cette voie pour son fils.
En 1748, Alexandre Souvorov commence son service militaire au grade de caporal. Durant six ans, il poursuit son éducation militaire, aussi bien à domicile que dans le corps terrestre des nobles, où il étudie l'art militaire et les langues étrangères (il avait hérité de son père son talent pour les langues: en plus de nombreuses langues européennes - le français, l'allemand, l'italien, le polonais et le moldave – il apprendra aussi le turc).
"Pour se battre, et non pas pour compter"
Sa première guerre est celle de Sept Ans (1756-63), pendant laquelle, selon lui, il voit pour la première fois la mort en face sous Kunersdorf, et qui se termine par la défaite des Prussiens. Il se distingue par la suite en s'emparant, avec une centaine de cosaques, de la ville fortifiée de Landsberg, défendue par un grand détachement d'hussards prussiens. C'est dans les environs de cette ville qu'il prononce l'une de ses célèbres sentences devenue proverbe: à un officier qui lui dit « attendez, apprenons d'abord leur nombre », il répond: "Nous sommes venus pour nous battre, et non pas pour compter!" et envoie tout de suite les cosaques à l'attaque, qui se solde par un succès total grâce à l'effet de surprise qui stupéfie l'adversaire.
Cette phrase et cette manière de combattre illustrent toute la future carrière de Souvorov, maître de la manoeuvre vertigineuse et inattendue « à longue distance », de l'attaque foudroyante soudaine, comme un "coup de tonnerre". Mais Souvorov n'agissait pas de façon irréfléchie: il donnait ses ordres en se fondant sur une profonde compréhension de la situation tant sur le champ de bataille que dans le théâtre global des opérations, ce qui lui assurait la victoire même dans les cas où sa décision semblait irréfléchie.
En 1765, Souvorov écrit un manuel contenant les principales thèses et règles sur la formation des soldats, le service intérieur et la préparation des troupes pour le combat. Lors des exercices de la garnison de la capitale en 1765, l’ouvrage de Souvorov prouve son efficacité et est introduite dans la formation de toute l'armée. "Il ne faut pas penser que la bravoure aveugle est un gage de victoire sur l'ennemi, il faut la compléter par l'art militaire … Il faut non seulement garder en mémoire les connaissances reçues, mais aussi y ajouter ce que l’on apprend de l'expérience quotidienne": cette citation puisée dans le manuel caractérise au mieux le capitaine qu’était Souvorov.
Guerre éclair
Souvorov remporte dans la guerre russo-turque de 1787-1792 ses victoires les plus brillantes, qui lui valent une gloire mondiale. Parmi elles, la bataille de Rimnik du 22 septembre 1789 où, commandant un corps russo-autrichien de 25000 hommes, Souvorov disperse une armée turque de 100000 hommes. Cette bataille presque uniquement composée de manœuvres vertigineuses et de brèves attaques lancées par surprise met en évidence le talent de Souvorov, qui devance son époque d'un siècle et demi. Le gage de la victoire résidait à nouveau dans des manœuvres imprévisibles pour l'ennemi, une habile reconnaissance tactique, des déplacements peu ordinaires et inattendus des troupes sur le champ de bataille, selon un plan général visant à battre l'adversaire par étapes, tant qu'il n'a pas eu le temps de comprendre l'envergure de la menace, de regrouper ses forces et d'infliger une riposte.
Les actions rapides de Souvorov privaient l'adversaire de la possibilité et de la volonté de résister, en semant la panique dans ses rangs et en l'obligeant à fuir. En fait, sa manière de combattre s’est avérée le précurseur de ce que l’on a appelé «guerre éclair» au XXe siècle.
Au début de l’année 1795, Souvorov est nommé commandant de toutes les troupes russes en Pologne, ensuite commandant en chef d'une armée de 80000 hommes stationnée dans les provinces de Bratslav, Voznessensk, Kharkov et Ekaterinoslav, dont le quartier général se trouve à Toultchine. A cette époque-là, il écrit "La Science de la victoire". Cette œuvre rassemble les méthodes de Souvorov, qui lui ont valu sa gloire de capitaine invincible. Cet ouvrage a deux parties: la première partie, intitulée la "Wacht-parade" est consacrée à la formation des soldats; la deuxième, l’"Education verbale des soldats", expose d'une manière simple et accessible aux paysans d'hier les principes de l'art stratégique de Souvorov: "L'adversaire ne nous attend pas et croit nos effectifs à cent lieues et plus loin, à deux-trois cent lieues, même plus. Attaque à l'improviste ! Il est pris de vertige ! On tombe sur lui avec ce qu’on a, que dieu nous aide ! Cavaliers, à l’attaque! Tranchez, piquez, chassez, coupez, ne lâchez rien!"
L'art de la retraite
Après la mort de l'impératrice Catherine II, Souvorov tombe en disgrâce en raison de ses divergences avec le nouvel empereur Paul Ier sur l'organisation de l'armée. Il sort de disgrâce pendant les campagnes militaires en Italie et en Autriche où la Russie se bat contre la France au sein de la deuxième coalition antifrançaise. Souvorov est nommé commandant de l'armée alliée à la demande instante des cours britannique et autrichienne.
Le capitaine âgé déjà de 70 ans confirme sa réputation. Les troupes de Souvorov s'emparent de Brescia, détruisent l'armée du général Moreau, l'un des meilleurs chefs militaires de l'armée de Napoléon, sur l'Adda, elles entrent à Milan, mettent en déroute l'armée de Macdonald à Trebbia, ensuite celle de Joubert à Novi, libérant littéralement l'Italie du Nord de l’occupant français. La bataille de Novi est le dernier combat de grande envergure de la campagne d'Italie.
Par la suite, Souvorov prévoit de diriger ses troupes en France, mais les alliés insistent sur le retrait des troupes russes d'Italie du Nord en Autriche, craignant un renforcement extraordinaire de la présence russe dans la région. L'itinéraire menant en Autriche passe par des sentiers dans les montagnes suisses où rodent les troupes françaises. De plus, les Autrichiens fournissent à leurs alliés russes de faux renseignements sur l'adversaire et ne tiennent pas leur promesse de fournir des mules pour transférer les bagages et l'artillerie.
Finalement, l'armée russe effectue une manœuvre extrêmement difficile dans l’encerclement de l'adversaire, en menant des combats pratiquement sans bagages et sans armements lourds. Cependant, cette manœuvre est couronnée de succès. En deux semaines, l'armée russe franchit une voie très difficile à travers les cols enneigés et les sentiers étroits, en gagnant tous les combats sur sa route. Les pertes essuyées par l'armée russe, qui a épuisé ses réserves de nourriture et de munitions, mais qui a mis en échec toutes les troupes qui se trouvaient sur sa voie, s’élèvent à 5000 morts (environ un quart de l'armée), parmi lesquels de nombreux soldats qui sont tombés dans des précipices. Cependant, les pertes des troupes françaises, bien supérieures en nombre, dépassent celles des troupes russes de 3 à 4 fois. La moitié des 2778 soldats et officiers français faits prisonniers sont ramenés des Alpes par Souvorov comme témoins de cet exploit sans précédent.
Cette dure campagne incroyable, qui a valu à Souvorov le grade suprême de généralissime, a abîmé la santé de Souvorov, qui décède le 18 mai 1800. Il est inhumé au monastère Alexandre Nevski à Saint-Pétersbourg. Sur sa pierre tombale, on peut lire: "Ci-gît Souvorov".
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