A l'occasion du 7 novembre, la fête des forces de gauche russes, le leader des communistes Guennadi Ziouganov a joué un rôle inattendu de rebelle et de radical. Son parti a désormais l'intention de lutter pour le pouvoir, au lieu de se borner au rôle d'opposition constructive.
Bien plus, le KPRF (parti communiste) tente de "mettre les bâtons dans les roues" du tandem indestructible du président Medvedev et du premier ministre Poutine. Guennadi Ziouganov considère leur travail commun comme "inefficace", par contre, l'article du président "Russie, en avant!" lui a "inspiré de l'espoir". C'est pourquoi il faut créer le Front patriotique de Russie qui "pourrait apporter son soutien au chef de l'Etat".
Le numéro un communiste a annoncé ces initiatives au cours d’une action appelée symboliquement la Réunion plénière du Conseil central du KPRF. Le respectable président du parti parlementaire ne s’était pas permis jusque-là de telles escapades, assumant clairement et ponctuellement le rôle de leader de l'opposition constructive. D'ailleurs, toutes ces déclarations grandiloquentes ne seront probablement pas efficaces.
Ainsi, l'hypothétique Front patriotique de Russie rappelle trop l'Union populaire patriotique de Russie de la deuxième moitié des années 90 du siècle dernier, qui réunissait le même parti communiste et un certain nombre d'organisations microscopiques de gauche. Et il est incroyable que le président Medvedev veuille s'appuyer sur lui et bénéficier de son soutien.
Non seulement parce que les personnalités de l'opposition non constructive se trouvant hors du système ont déjà fait il y a un an et demi de vaines tentatives pour « mettre un bâton dans les roues » du président et du premier ministre, mais aussi parce que la reprise de cette idée absurde ressemble à un déjà vu étrange et défraîchi. Il y a trop de divergences entre Medvedev et Ziouganov sur les questions de principe.
A la veille de la réunion plénière du 31 octobre, le président a adressé un message consacré à la Journée de commémoration des victimes des répressions politiques, dans lequel il a condamné Staline de façon non ambiguë. Quant au leader du KPRF, il envisage, au contraire, d’organiser en décembre une "réunion panrusse ouverte du parti" consacrée au 130ème anniversaire de l'ancien "guide des peuples".
Medvedev a déclaré : "Les répressions sont injustifiables" ; Ziouganov lui objecte : "Il ne convient pas de ne voir en Staline que le responsable des répressions". Où est le consensus? Certes, il s’agit d’un sujet d’histoire, mais il n'y a pas d'avenir sans passé et, volens, nolens, la position vis-à-vis de la figure de Staline est révélatrice de conceptions diamétralement opposées de modernisation : soit démocratique, soit violente et indissolublement liée à la mobilisation. Comme l'a dit le poète Rudyard Kipling dans son célèbre poème sur l'Ouest et l'Est, "ils n’arrivent pas à s’entendre".
Pourquoi donc Guennadi Ziouganov a-t-il fait des déclarations si radicales? Il tente ainsi probablement de tirer des leçons d'un autre événement d'octobre : les élections régionales, surtout dans la capitale, qui ont eu lieu le 11 octobre dernier.
Le leader du KPRF a probablement décidé que son parti devait s’engager dès maintenant dans la lutte pour le pouvoir. Jugez-en vous-mêmes. En 2005, lors des élections à la Douma (l’Assemblée législative) de Moscou, le parti Russie unie avait recueilli, lors du vote sur les listes des partis, 47,25% des voix. Aussi bien les communistes que les démocrates unis qui s'étaient présentés sous la bannière de Iabloko avaient obtenu des mandats. Quatre ans sont passés. Le parti Russie unie obtient déjà 66,26% des voix. A côté d’eux, trois députés communistes ont été élus au parlement.
Un progrès inouï! Mais cela relève déjà du passé. Les communistes scrutent l'avenir. Les élections à la Douma (la chambre basse du parlement russe) sont prévues pour 2011. La fois précédente, en décembre 2007, Russie unie avait recueilli 64,3% des voix, ce qui laissait des places pour trois autres fractions. Les idéologues du parti dominant jugent nécessaire d'augmenter le pourcentage des voix à chaque nouvelle élection. Par conséquent, rien ne garantit que Russie unie ne souhaite pas répéter à l'échelle nationale son progrès de 20% enregistré dans la capitale. Dans ce cas, l'espace se rétrécira pour les fractions de l'opposition. "Bolivar" n’en supportera pas trois. Il se peut qu'il n'en reste qu'une, comme c’est le cas à la Douma de Moscou.
Une lutte sans merci s'annonce pour cette place prestigieuse. Dans la Russie contemporaine, la perte du statut parlementaire, des mandats et des bureaux met un parti en marge de la politique, dans le vide. Guennadi Ziouganov et son parti ne voudraient nullement s'y retrouver, ce qui explique leur décision d'occuper la niche de la seule véritable opposition et de prendre un maximum de distance avec Russie unie.
Certes, le parti communiste a un électorat relativement nombreux et discipliné. Mais ses rangs diminuent inexorablement avec le temps. Les ambitieux concurrents du parti la Russie Juste intensifient d'une année sur l'autre leur activité sur le côté gauche de l’échiquier politique.
Dans ces conditions, il est logique de radicaliser les discours et les déclarations. En politique, on n'épargne personne, pour prononcer de belles paroles.
Auteur: Nikolaï Troïtski, RIA Novosti.
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