Vivre ensemble et en amitié

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Les tentatives du président tchèque Vaclav Klaus pour freiner la locomotive de l'intégration européenne ont, semble-t-il, été un échec total. Le chef de « Prazsky Hrad » hait l'Union européenne de toutes les fibres de son âme

Les tentatives du président tchèque Vaclav Klaus pour freiner la locomotive de l'intégration européenne ont, semble-t-il, été un échec total. Le chef de « Prazsky Hrad » hait l'Union européenne de toutes les fibres de son âme. Il a même déclaré un jour que l'UE était aussi néfaste que l'Union Soviétique (il n’existe pas de pire insulte pour un tchèque qui a vécu le  printemps 1968).

Mais Vaclav Klaus n'a plus de prétextes pour continuer à refuser d’apposer sa signature à la nouvelle loi fondamentale de l'Union européenne qu’est le traité de Lisbonne. Lors du récent sommet de l'UE à Bruxelles, le premier ministre intérimaire tchèque Jan Fischer  a juré à ses collègues que, dès que la Cour constitutionnelle de son pays cesserait  de bloquer le traité de Lisbonne, Vaclav Klaus changerait de refrain et accepterait l'"eurooccupation".

Par contre, le train blindé de l'amitié entre la Russie et l'Union européenne se trouve sur une voie de garage. Dmitri Medvedev a accepté à  contrecoeur  de se rendre au sommet Russie-UE prévu pour le 18 novembre à Stockholm. "Pour la Russie, c'était un choix difficile. Moscou n'était pas certain que ce sommet serait constructif", a déclaré ces jours-ci sans ambages Sergueï Prikhodko, l'assistant du président russe.

Le maître du Kremlin a expliqué que son scepticisme au sujet du sommet était dû à des propos indélicats tenus par le chef de la diplomatie suédoise à l'adresse de la Russie. Mais il semble qu’il ne s’agisse là que du sommet de l'iceberg. Pour nommer les choses par leurs noms, il faut admettre que la Russie et l'UE n'ont rien à se dire.

Cinquante ans s'écouleront en novembre prochain depuis le jour où le président français Charles de Gaulle a prononcé son célèbre discours sur "l'Europe de l'Atlantique à l'Oural". En 1959, les chances même du plus riche habitant de l'Oural de passer un week-end à Paris étaient pratiquement nulles. En 2009, cela n'étonne plus personne. Mais, du point de vue politique, la Russie et l'Europe unie sont toujours des planètes différentes.

Dans les années 90, les hommes politiques de la Russie et de l'UE se consolaient avec des illusions. Ils pensaient qu’ils pourraient vivre dans une parfaite harmonie basée sur les mêmes valeurs. Ca n’a pas marché. En dépit de discours similaires, il s’est avéré que leurs valeurs n’étaient pas seulement différentes mais antithétiques.

Bien sûr que la "racine du mal" ne tient pas uniquement dans le fait que nous refusions ou soyons incapables de vivre selon les normes du monde occidental. Les pays membres de l'Union européenne ont peut-être pu trouver un langage commun quant à la nouvelle organisation de l'UE. Mais en ce qui concerne leur politique à l'égard de la Russie, les pays de  l'Europe unie restent comme auparavant désespérément divisés.

Prenant la parole en juin 2009 lors d'une table ronde à Berlin, le coordinateur de la coopération germano-américaine au ministère des Affaires étrangères de RFA, Karsten Voigt, a cité des chiffres curieux. Selon les sondages, 87% de l'élite allemande évaluaient négativement la politique du Kremlin, mais 61% considéraient Moscou comme un partenaire très important, et 71% étaient certains que le futur gazoduc Nord Stream assurerait la sécurité des livraisons énergétiques.

Pour les hommes politiques de certains Etats d'Europe de l'Est, ces chiffres sont comme un chiffon rouge pour un taureau. Il semblerait que le souvenir de leur appartenance commune au "camp socialiste" doive s'effacer et progressivement disparaître avec le temps. Mais, pour des raisons plus psychologiques que politiques, c'est le contraire qui se produit. Pour les élites politiques des pays à l'instar de la Pologne, la confrontation avec la Russie est devenue en quelque sorte le vecteur d’une raison d'être nationale.

Pour trouver un langage commun avec un diplomate ou un homme politique allemand, il suffit de lui dire que les Polonais sont insupportables. Mon expérience le prouve : cela suffit pour faire fondre la glace. Les ambitions et les exigences de Varsovie sont depuis longtemps insupportables non seulement pour nous, mais aussi pour plusieurs de ses alliés en Europe occidentale.

Mais alors que nous préférons régler publiquement nos désaccords avec nos partenaires au sein de la CEI (Communauté des Etats indépendants), les dirigeants des "vieux" pays de l'UE bougonnent dans leurs barbes, tout en recherchant un compromis. Si insupportables que soient les Polonais, ils seront, malgré tout, plus proches des autres membres de l'Union européennes que nous le sommes.

Comme le disent les personnages de Jack London, "lorsque les capitaines se disputent, le bateau reste sur place". L'Incapacité de l'UE à élaborer une politique commune à l'égard de la Russie, est parfois à notre avantage. Ainsi, après la guerre russo-géorgienne de l'année dernière, les hommes politiques européens nous ont menacés de punitions terribles, mais, en fin de compte, il n’en a rien été.

Mais le fait que l'UE ne puisse pas punir la Russie signifie qu’elle n’a pas non plus la possibilité de lui faire du bien. Aujourd'hui, Moscou n'a pas d'autre choix que de miser sur une coopération bilatérale avec certains Etats membres de l'Union européenne. Ce n'est pas une tragédie, mais cela n'inspire pas non plus l’optimisme. On a déjà vu où ça nous mène.

A l'époque soviétique, il était la mode à Moscou de rire de l'idée de l'intégration européenne. Un des rares experts à avoir essayé de s'opposer à cette tendance était Donald Maclean, le célèbre espion soviétique, chercheur à l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales.

Maclean insistait sur l'idée de créer avec l'Europe occidentale un nouveau "centre de force", indépendant de l'"impérialisme américain". Il a déjà, au début des années 70 du siècle dernier, recommandé avec insistance aux instances dirigeantes, de prendre au sérieux le processus d'intégration politique de l'Europe occidentale, et de  renoncer aux idées périmées en continuant à régler les problèmes importants de la politique européenne de manière séparée avec Londres, Paris ou Bonn, sans tenir compte de la tendance à la concertation des politiques étrangères des pays de la CEE" : c'est ainsi que l'historien de l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales Piotr Tcherkassov a récemment commenté le "travail de Sisyphe" de Donald Maclean.

"Les "instances dirigeantes" n’ont vu dans les recommandations de Donald Maclean que le fruit de son extravagance britannique innée. Mais qui a eu raison en fin de compte? " Les "nains de l'Europe unie" ont avalé sans s'étouffer une bonne partie de nos anciens partenaires de l'organisation du Pacte de Varsovie.

Le célèbre espion est décédé en 1983. Mais ses appels demeurent étonnamment actuels. On peut disserter longtemps sur le "déclin de l'Europe" et estimer que l'UE ne s'élargira plus dans un avenir prévisible. Mais, comme on le sait, l'essentiel est de vouloir, et un moyen sera trouvé. Dans 20 à 30 ans, les frontières extérieures de l'Union européenne pourront passer dans la région de Smolensk et de Belgorod.

Ianoukovitch, Timochenko et Iouchtchenko ne s'entendent presque sur rien, mais ils réagissent tous avec enthousiasme aux mots "intégration européenne". L'élite politique biélorusse y pense également. Tôt ou tard, Alexandre Loukachenko quittera la scène politique et nous pourrons être témoins de l'orientation de Minsk vers l'UE.

Mais il ne suffit pas de souhaiter adhérer à l'Union européenne. La Turquie a fait tout ce qu’elle a pu pour d'appartenir au club européen. Mais les exigences qui lui ont été avancées étaient difficiles à satisfaire. Mais l'Ukraine et la Biélorussie ne sont pas la Turquie. Ce sont des pays qui ont une culture européenne. Le seul problème est leur retard. Mais il y a 30 à 40 ans, l'Espagne et le Portugal étaient aussi des pays arriérés.

Le dialogue entre l'Union européenne et la Russie n'est actuellement animé que dans le domaine de l'énergie. D'ailleurs, ce qui se passe ne peut être qualifié de dialogue que par politesse. C'est plutôt un conflit classique entre un acheteur monopoliste et un vendeur monopoliste. Qui plus est, dans ce conflit, nous jouons plutôt le rôle de celui qui se tient sur la défensive. Adoptant le mot d'ordre "vous êtes dangereux et indignes de confiance, nous avons peur de vous", l'UE tente d'immobiliser définitivement l'ours russe et de le priver une fois pour toutes même de la possibilité théorique de dicter ses conditions à l'Europe.

Le jeu aux tubes et aux contre-tubes est bien entendu passionnant. Pour l'élite russe, c’est devenu une sorte de répétition du "grand jeu" du XIXème    siècle, lorsque la Russie et la Grande-Bretagne rivalisaient d’influence en Asie centrale. Mais, en ne nous occupant que de tubes, nous nous condamnons au rôle de fournisseur de matières premières.

L’éternelle question russe "que faire?" n'est pas aujourd'hui très actuelle en ce qui concerne  les rapports entre la Russie et l'UE. Les intérêts stratégiques à long terme de la Russie nécessitent d'étroits rapports de partenariat avec l'Union européenne. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons continuer à habiter   une maison commune avec les Ukrainiens et les Biélorusses. C'est le seul moyen de construire une économie moderne sur des bases normales. La nouvelle question russe doit être "comment faire?" Mais, pour l'instant, la réponse n'existe ni à Moscou, ni à Bruxelles, ni nulle part ailleurs.

Ce texte n'engage que la responsabilité de l'auteur.

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