Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti
Il serait exageré de parler de chaise vide pendant toute la série de sommets qui ont pris fin ce week-end dernier dans la région balnéaire de Hua Hin (en Thaïlande). Personne n'a mis cette chaise (pour la Russie) et le statut étrange de la Russie à l'ASEAN (Association des Nations du Sud-Est asiatique) n'y inquiète personne. C'est un statut de "partenaire aux sommets" qui ne se rend pas à ces derniers à sa propre guise. D'autres partenaires analogues ont également été présents à Hua Hin: la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l'Australie.
Le premier sommet de la Russie et des dix pays du Sud-Est asiatique s'est tenu en 2005 à Kuala Lumpur où s'est rendu Vladimir Poutine qui était alors président. Tout un programme de mesures communes destinées à développer le partenariat y a été, semble-t-il, prévu. Mais le deuxième sommet ne s'est toujours pas tenu, et cet état de choses doit être attribué à la Russie. Ce n'est qu'à la veille du sommet en Thaïlande qu'a démarré la procédure, pour beaucoup, formelle qui assurera l'arrivée du président Dmitri Medvedev dans un an à Hanoi, pour une autre "pléiade" de sommets d'ASEAN, en tout cas, il faut espérer qu'il en sera ainsi.
Il est difficile d'évaluer cette manifestation pacifique de cinq ans. Le fait est que la Russie avait l'air, tout au long de ces dernières années, d'un partenaire purement politique des dix pays de l'ASEAN, partenaire proche par l'idéologie, mais qui retardait, pour les contacts d'affaires avec ceux-ci, même par rapport à la Nouvelle-Zélande. L'une des raisons du mécontentement de Moscou face à toute cette situation était la réaction veule de l'ASEAN aux propositions faites il y a cinq ans par la Russie en vue d'accroître considérablement les échanges commerciaux avec ce groupe de 10 pays. Mais la stimulation politique des contacts d'affaires étrangers dans cette région diffère de ce à quoi est habituée la Russie dans ses rapports avec la Chine et L'Inde, avec laquelle, d'ailleurs, cette stimulation ne marche déjà pas non plus.
Il y avait la deuxième raison : grâce à la diplomatie habile de l'administration Bush, les membres de l'ASEAN avaient d'abord promis d'admettre Moscou, mais, ensuite, ils ne l'ont pas admis parmi les participants à la conférence politique qui se tient également en marge du sommet de l'ASEAN: le sommet de l'Asie de l'Est. La cause en était formelle : les faibles contacts économiques avec la région. Cette fois-ci, le sommet de l'Asie de l'Est s'est également tenu en Thaïlande en marge de celui de l'ASEAN (et d'une série d'autres), mais il est difficile de dire en quoi il est utile. Quoi qu'il en soit, la Russie est restée vexée.
A quoi s'emploient, en fait, les sommets de l'ASEAN, à la différence des réunions ministérielles de cette organisation et de leurs Forums sur la sécurité (où le ministre russe des Affaires étrangères se rend régulièrement chaque été)? Voici ce qui s'est passé cette fois-ci en Thaïlande: une discussion animée a eu lieu sur les moyens d'intensifier le commerce dans la région du Pacifique au moment actuel où les marchés traditionnels des pays de l'ASEAN - les Etats-Unis et l'UE - se sont rétrécis. Autrement dit, il s'agit de continuer d'assurer la prospérité en dépendant moins des anciens partenaires et davantage, des voisins de la région, y compris la Chine, le Japon et d'autres pays.
Il existe une notion comme le commerce interrégional, c'est-à-dire les échanges commerciaux entre les pays de la région. L'année dernière, celle d'avant la crise, le commerce entre les dix pays de l'ASEAN s'est chiffré à un montant de 480 milliards de dollars, alors que pour tout le commerce extérieur, à celui de 1700 milliards de dollars. Il faut en déduire que l'ASEAN représente les économies orientées tout de même vers le marché extérieur. La seule question est de savoir vers quelle partie de celui-ci.
Chacun des participants aux sommets en Thaïlande a proposé des mesures nouvelles visant à éliminer les barrières douanières et d'autres barrières commerciales : en principe, on peut être certain que la crise actuelle accélérera vraiment le développement de la zone commerciale asiatique. Si certains veulent savoir comment la crise actuelle a changé le monde, en y augmentant encore plus l'influence des pays d'Asie, les sommets, de Bangkok à Singapour, le montrent éloquemment.
Les partenaires de l'ASEAN au statut analogue à celui de la Russie ont été assez actifs en Thaïlande. Le Japon représenté par son nouveau premier ministre Yukio Hatoyama a proposé sa version de la "Communauté est-asiatique" et annoncé qu'il accueillerait à Tokyo un sommet avec les pays du bassin du Mékong. Ce dernier point est intéressant, car le Cambodge, le Laos, le Vietnam, la Thaïlande et la Birmanie subissent de plus en plus ces derniers temps l'influence de la Chine. D'ailleurs, cette dernière n'a pas tenté de se battre avec le Japon pour le Mékong, par contre, elle a avancé son plan de rapprochement ultérieur avec l'ASEAN.
Une question se pose : en quoi la Russie diffère-t-elle des autres pays du Pacifique? C'est sa tendance à appliquer une bonne partie de sa politique étrangère le long des gazoducs (il serait difficile de les construire à travers toute la Chine vers le Sud-Est asiatique: c'est loin). C'est aussi la classe des hommes d'affaires peu formée qui, de même que les fonctionnaires, se nourrit d'illusions sur l'appartenance de la Russie à la civilisation européenne, alors que d'autres civilisations commencent à occuper les principales positions dans le monde. C'est aussi le fait que l'économie de marché a commencé à se former en Russie très tard, même la Chine nous a devancés de dix ans.
En fait, le Sud-Est asiatique, de même que l'Amérique latine, est un test de maturité pour la politique étrangère effectivement globale de la Russie, plus précisément, pour son économie extérieure. Cela sera évident, lorsque la délégation russe conduite par le président fera son apparition au prochain sommet de Hanoi, nous l'espérons.
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