Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
La Grande Europe a enfin reçu un nouveau certificat de naissance : le traité de Lisbonne approuvé sur la réforme de l'UE. Ce document a 27 parents qui devaient d'abord approuver les "couches". Ce traité est né dans les douleurs particulières à cause des Irlandais qui ont tenu deux référendums à ce sujet : ils l'avaient rejeté l'année dernière et l'ont approuvé à la majorité convaincante (67% contre 37%) le 2 octobre. Cette fois-ci, il a fallu expliquer en détail aux Irlandais ce qu'ils recevraient grâce au traité de Lisbonne et ce qu'ils perdraient, s'ils le rejetaient.
Il convient de rappeler que la nécessité de la réforme a été surtout ressentie après 2004. Depuis ce moment et jusqu'à 2007, le nombre de membres de l'UE est passé de 15 à 27. Les "jeunes", pour l'essentiel, les pays de l'ancien camp socialiste, y ont apporté les rudiments du grand mécontentement envers l'ancienne métropole socialiste (aujourd'hui, la Russie), le désir de goûter le plus vite possible au "bien-être européen", une main-d'oeuvre nombreuse, la compréhension inadéquate de la façon dont vit la partie occidentale de l'UE, l'orgueil exagéré d'avoir la possibilité de voter et de bloquer n'importe quelles décisions au sein de l'UE. Puisque toutes les décisions importantes sont adoptées à Bruxelles par consensus, les "vieux" - en premier lieu, la France et l'Allemagne, ainsi que l'Italie et l'Espagne - ont senti qu'ils n'étaient déjà pas perçus comme les plus anciens Européens ayant le droit d'être "plus égaux que les égaux". Le fait que, dans la communauté comptant déjà plus de 500 millions d'habitants, un pays de 4 millions d'habitants puisse bloquer n'importe quelle décision a commencé à être considéré comme absurde. Il fallait remédier à ce "défaut" de la bureaucratie européenne.
Et cela a été fait de façon très élégante. L'essentiel est que le traité de Lisbonne introduit un nouveau système de vote d'après la formule de la majorité qualifiée ou "double", c'est-à-dire qu'il prive les pays rétifs d'Europe de l'Est du droit d'opposer leur veto à n'importe quelles décisions. Ce système entrera en vigueur en 2014. Selon lui, une décision est considérée comme adoptée, si elle a recueilli les voix des représentants de 55% des Etats de l'UE totalisant au moins 65% de la population de l'UE. En outre, le traité introduit le poste de président de l'UE non pas par rotation, mais en permanence (pour un mandant de deux ans et demi).
Par ailleurs, les douleurs de l'officialisation du traité de Lisbonne signifient que l'UE devra également freiner l'admission de nouveaux membres à l'UE. La Croatie et l'Islande y seront admises. Mais l'Ukraine et la Turquie n'auront probablement pas cet honneur, en tout cas, dans les prochaines 15 à 20 années. D'ailleurs, le traité de Lisbonne restera en vigueur pendant ce temps.
La lutte pour deux postes les plus importants a déjà commencé dans l'UE : celui de président de l'UE et celui de Haut représentant pour la politique étrangère, ainsi que pour la distribution des portefeuilles des commissaires (membres du gouvernement).
Avant le référendum irlandais, l'ancien premier ministre britannique Tony Blair a été considéré comme le candidat presque incontestable au poste de président. Il occupe toujours une place en vue parmi les prétendants. Mais son avènement à Bruxelles n'est nullement garanti à 100%. A présent, beaucoup dépendra du soutien apporté à Tony Blair par le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel : dans l'UE, pour accéder à tel ou tel poste important, il faut toujours être "homologué" à Paris ou à Berlin. A en croire les experts français et allemands, ni Sarkozy, ni Merkel n'ont encore pris la décision définitive d'approuver Blair ou non. Il a une hérédité britannique d'euroscepticisme trop méchante. En outre, Tony Blair n'est pas très apprécié au Parlement européen à cause de son soutien total à la guerre en Irak et, pour l'instant, c'est encore l'Europarlement qui doit donner son accord pour les candidatures.
La renommée mondiale de Tony Blair témoigne aussi bien en sa faveur que contre lui. D'une part, Bruxelles estime que le président de l'UE doit être une figure mondiale en vue qui parlera sur un pied d'égalité avec Washington, Moscou et Pékin. D'autre part, d'aucuns, en Europe, ne veulent pas que ce président vienne "ombrer" certains premiers ministres, chanceliers et présidents européens. Pour le moment, les fonctions du président ne sont pas précisées et, d'ailleurs, n'importe quelle nouvelle personnalité accédant à ce poste peut les "adapter" plus ou moins à elle-même. Tout dépend de son expérience et de sa fougue politique.
En plus de Tony Blair, plusieurs autres dirigeants européens actuels et anciens sont proposés au poste de président : ce sont les premiers ministres actuels François Fillon (France), Jan Peter Balkenende (Pays-Bas) et Jean-Claude Juncker (Luxembourg). On cite également les noms de l'ancien premier ministre espagnol Felipe Gonzales, du premier ministre autrichien Wolfgang Schüssel, de la présidente irlandaise Mary Robinson et du premier ministre finlandais Paavo Lipponen.
En même temps, Paris et Bonn ont déjà commencé à choisir un candidat à un autre poste important, celui de Haut représentant de l'UE pour la politique étrangère qui sera également vice-président de l'UE. Bruxelles estime déjà que ce poste peut même devenir plus important que celui de président. Angela Merkel voudrait que ce poste soit occupé par son ministre de l'Intérieur Wolfgang Schauble. Il s'agit de celui qui avait produit un choc en Europe en 1994 en rendant public pour la première fois le principe d'une "Europe à deux vitesses" sous la direction de l'Allemagne et de la France. Les autres pays de l'UE pouvaient ou bien rester derrière les "leaders" de l'intégration, ou bien les rejoindre, mais déjà à leurs conditions. Cette idée a connu "un second souffle" sous Sarkozy et Merkel.
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