Par Vlad Grinkevitch, RIA Novosti
L'accident survenu à la plus grande centrale hydroélectrique russe, Saïano-Chouchenskaïa, en Sibérire, est une des catastrophophes technologiques les plus terribles dans l'histoire de la Russie contemporaine. Par l'énergie qui s'en est échappée instantanément, par l'envergure des destructions, cet accident a surpassé celui de la centrale nucléaire de Tchérnobyl.
Les causes de cette catastrophe sont encore inconnues, il faut encore y mettre le jour, mais le fait même d'un accident aussi terrible s'abbattant sur une aussi grosse centrale a inévitablement suscité une nouvelle vague de propos et d'insinuations sur l'usure physique de l'infrastructure russe et, par conséquent, la menace de nouvelles catastrophes technologiques.
La nouvelle de l'accident aussitot répandue, les médias britanniques et américains influents ont publié les articles des éminents experts à ce sujet. Pour ces derniers, tout se résume à une seule cause : l' infrastructure russe datant de l'ère soviétique est désuète, au bord de l'effrondrement et sujette à des accidents. La preuve en est ce qui s'est passé à la centrale Saïano-Chouchenskaïa, véritable signal d'alarme pour l'avalanche de catastrophes technologiques qui peuvent s'ensuivre.
Les dirigeants russes, eux, par contre, ont réagi très nerveusement à ces conclusions. Le président russe Dmitri Medvedev a qualifié les propos sur un collapsus technologique en Russie de balivernes et déclaré: "Je vois déja se frotter les mains ceux qui ne trouvent pas à leur goût la Russie dans ses frontières actuelles et son rôle dans l'arène internationale".
Les experts étrangers prédisent à la Russie depuis le milieu des années 90 du siècle dernier de terribles catastrophes technologiques, mais, heureusement, pour l'instant, les prévisions apocalyptiques restent du domaine de la fiction. Au moment d'une crise qui a éclaté au seuil du XXIe siècle, les journalistes et les économistes ont de nouveau déclaré que les acquis technologiques datant de l'époque de l'URSS viendraient à s'épuiser et que la Russie subirait, à partir des années 2003-2005, une série de catastrophes technologiques. On a scandé même "problème 2003!", année où tout cela devait commencer. Mais, une fois de plus, ils ont eu tort.
Faut-il en déduire que le problème de l'usure du secteur technologique n'existe pas en tant que tel, ou bien que le problème existe, mais son envergure est très exagérée? Les auteurs des prévisions ont probablement sous-estimé la qualité des technologies soviétiques.
Au début des années 2000, un groupe de scientifiques de l'Institut de mathématiques appliquées Keldych a publié un article, dans lequel ils ont prévu et démontré par une analyse mathématique d'éventuels phénomènes de crise que notre pays pourrait subir. Déjà la première ligne du rapport est alarmante. "La Russie est entrée dans une phase de crise systémique durant laquelle les tendances négatives de ces 15 dernières années dans les sphères économique, sociale et technologique commencent à engendrer de nouveaux types de catastrophes, de calamités et d'instabilités". Les scientifiques ont souligné que l'état de l'infrastructure était extrêmement dangereux: le parc technologique de pratiquement tous les secteurs de l'industrie, les barrages, les gazoducs et les pipelines, les routes, les lignes de transmission d'énergie électrique, les équipements publics (l'usure de nombreux systèmes y dépasse 75%) sont incapables d'assurer non seulement le développement de notre économie, mais aussi son fonctionnement stable et sans danger. Le mot "systémique" employé pour caractériser la crise signifiait que cette crise ne pourrait être surmontée qu'en traitant l'ensemble des problèmes, et non pas en prenant des mesures par ci, par là.
Les fonctionnaires russes reconnaissent que l'infrastructure est vraiment dans un état déplorable. Selon le chef de Rostekhnadzor (Service fédéral de contrôle écologique, technologique et nucléaire) Nikolaï Koutyine, au cours d'environ une vingtaine d'années - du milieu des années 80 du siècle dernier à la fin de 2005 - aucun travail de modernisation de l'infrastructuré n'a été effectué. Mais, depuis 2006, l'affaire a bougé du point mort et des "résultats fantastiques" dans la reconstruction et les grosses réparations ont été enregistrés en trois ans. "Nous avons supervisé en même temps 11000 ouvrages en voie de reconstruction, se souvient le chef de Rostekhnadzor, mais, au début de la crise, cet indice s'est réduit fortement puisque nous contrôlons actuellement seulement 3500 ouvrages. C'est un peu inquiétant". Mais Nikolaï Koutyine est certain que, si l'économie russe surmonte prochainement la crise financière, l'année prochaine ,on observera déjà une plus grande ampleur dans la modernisation des ouvrages techniques et de l'infrastructure .
Mais la modernisation peut être différente. Ce n'est pas par hasard que les scientifiques ont attiré l'attention sur le fait que la crise était systémique, par conséquent, le pays doit moderniser, ni plus ni moins, tout le secteur technologique, autrement dit, une modernisation d'ensemble, et non fragmentée. Dans le cas contraire, les modernisations accomplies peuvent être à l' origine de nouveaux accidents. Citons l'exemple de l'explosion dans la mine Oulianovskaïa en 2007. En se fondant sur les résultats de l'enquête, Rostekhnadzor en a tiré la conclusion que l'accident s'était produit à cause de la modernisation accélérée: la vieille mine et les équipements de haute technologie se sont avérés incompatibles. La modernisation était également en cours à la centrale Saïano-Chouchenskaïa où a été installé un nouveau système automatique qui est devenu en fin de compte défectueux.
La catastrophe en Khakassie est un signal pour les autorités russes qu'il est nécessaire de se préoccuper d'urgence de l'état des constructions techniques les plus importantes.
Même le président russe a reconnu, en répondant fermement aux critiques des médias étrangers au sujet de l'infrastructure russe, qu'un "retard technologique du pays est effectivement sérieux" et que l'infrastructure est souvent inefficace et a besoin d'être modernisée d'urgence.
Mais l'Etat et les compagnies, auront-ils suffisamment de volonté politique et de ressources pour assurer la réforme de l'ensemble du secteur technologique? En effet, rien que la liquidation des conséquences de l'accident a la centrale hydroélectrique Saïano-Chouchenskaïa reviendra à environ 40 milliards de roubles (885,5 millions d'euros) et les travaux prendront à peu près 4 ans.
Mais si le problème n'est pas réglé dans son ensemble, on risque de plonger dans un cercle vicieux, car il faudra allouer de plus en plus d'argent pour remédier aux conséquences des catastrophes technologiques, ce qui amènera à investir moins dans la rénovation de l'infrastructure, et nous voilà repartis de plus belle pour de nouvelles catastrophes.
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