L'un des documents les plus contestables de l'histoire russe - le Traité de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne, plus connu sous le nom de Pacte Molotov-Ribbentrop - a été signé il y a 70 ans, le 23 août 1939. Un protocole secret additionnel au pacte délimitait les sphères d'influence soviétique et allemande en Europe de l'Est en cas de "remaniement territorial". Malgré la signature du traité, le 22 juin 1941, les troupes allemandes agressèrent l'Union Soviétique. Est-ce que le Pacte était vraiment indispensable, ou aurait-on pu trouver une alternative, a-t-il permis de retarder le déclenchement de la guerre, sur quoi se guidait le pouvoir soviétique, et comment le Pacte a-t-il été évalué par le ministre des Affaires étrangères de l'Union Soviétique Viatcheslav Molotov?
- Le Pacte était-il un subterfuge destiné à gagner du temps pour se préparer à la guerre ou bien une manifestation du désir du Reich et de l'Union Soviétique de délimiter leurs sphères d'intérêts?
- Les deux à la fois. Fin août, une question simple se posait aux dirigeants soviétiques. L'Allemagne déclenche la guerre contre la Pologne, ce qui fut annoncé presque officiellement. La question principale était de savoir où s'arrêteraient les troupes allemandes : à Varsovie, ou bien progresseraient-elles vers Minsk ou vers Moscou? Dans ces conditions, la délimitation des zones d'intérêts signifiait la définition de la ligne où les troupes allemandes s'arrêteraient. Autrement dit, c'était une question de vie ou de mort. De quoi s'agissait-il: du désir de gagner du temps ou de délimiter les intérêts? Tout était interdépendant.
- Est-ce qu'il y avait une alternative au Pacte? Sa signature, a-t-elle rapproché ou éloigné la guerre contre l'Allemagne hitlérienne?
- Théoriquement, il y avait une alternative au Pacte. Cette alternative fut proposée par les dirigeants soviétiques dès avril 1939 : il s'agissait de la création d'un système de sécurité européenne sur la base des accords entre l'Union Soviétique, la Grande-Bretagne et la France prévoyant des garanties de sécurité pour la Pologne et la Roumanie. En principe, la création d'un tel système de sécurité aurait pu diminuer les risques de déclenchement par l'Allemagne de la guerre contre la Pologne. Malheureusement, cette alternative n'a pas été exploitée. Il y eut des tentatives infructueuses pour la réaliser. Tout d'abord, parce que la France et la Grande-Bretagne n'étaient pas prêtes à contracter des engagements sérieux. D'autre part, la Pologne et la Roumanie ne voulaient pas de garanties de sécurité de la part de l'Union Soviétique. Bref, il existait une alternative, mais elle ne put être matérialisée. D'autant plus que la guerre contre la Pologne semblait imminente, il fallait conclure des accords concrets. Malheureusement, les délégations militaires qui ont travaillé en août à Moscou, aussi bien française que britannique, n'étaient pas habilitées à signer des accords. C'est pourquoi le choix était très mince. De quelle autre alternative pouvait-il être question dans le contexte de l'échec des pourparlers avec la France et la Grande-Bretagne? A vrai dire, il n'y avait pas d'autre alternative.
En ce qui concerne le moment de l'attaque allemande contre la Pologne, le Pacte était neutre. Ce moment avait été fixé bien avant le Pacte, par conséquent, Hitler aurait attaqué la Pologne avec ou sans le Pacte. Pour lui, il n'y avait aucune différence, car il avait déjà des chances et, peut-être, l'intention de déclencher une guerre contre l'Union Soviétique.
- L'attaque des Allemands fut-elle vraiment une surprise pour les dirigeants soviétiques?
Chaque jour, on s'attendait à une attaque. Ce qui est arrivé le 22 juin 1941 ne constituait pas une grande surprise.
- Autrement dit, malgré la signature du Pacte, on s'attendait à la guerre?
Certainement. Les dirigeants avaient la certitude absolue que la guerre aurait lieu. En 1939, il était possible d'en ajourner le début. Mon grand-père m'a dit qu'on pensait qu'elle serait repoussée d'un an, ensuite, on a réussi à l'éloigner encore plus. On espérait même le 21 juin que la guerre pourrait encore être retardée.
- Y a-t-il une différence de principe entre le Pacte et les accords de Munich?
Les accords de Munich ne prévoyaient pas de zones d'intérêts. Aucun pacte de non-agression ne fut signé à Munich. La rencontre de Munich entre les dirigeants des pays occidentaux et l'Allemagne portait sur les revendications territoriales de l'Allemagne sur la Tchécoslovaquie. A Munich, ces revendications territoriales ont été reconnues, c'est-à-dire qu'une partie de la Tchécoslovaquie fut cédée aux Allemands. Puis, on ferma les yeux sur l'annexion de la Bohème. Il s'agit d'événements différents, mais l'encouragement de l'agresseur par les pays occidentaux a duré plusieurs années et concernait non seulement l'Allemagne, mais aussi l'Italie.
- Est-ce que Molotov a fait part de ses impressions de la rencontre avec la délégation allemande?
- Oui. C'étaient des personnes importantes, a-t-il dit. Mais, puisqu'il avait des rencontres avec des ministres et des chefs d'Etat pratiquement chaque jour, parfois, plusieurs fois par jour, je ne crois pas que cela l'ait fortement impressionné, bien que ce fût un événement important.
- Qu'est-ce que le Pacte signifiait-il pour Molotov? Quelle était son évaluation?
Il l'a évalué positivement. Selon lui, c'était ce qui nous a permis de nous préparer à la guerre et, en fin de compte, de remporter la victoire. Il n'a jamais regretté de l'avoir signé.
- Y avait-il des pactes analogues signés par l'Allemagne avec d'autres pays?
- Il y avait des traités de non-agression signés par l'Allemagne avec d'autres pays, entre autres, la Pologne. Il est vrai, ce traité fut dénoncé en avril 1939. Certes, les pays avaient conclu des pactes de non-agression.
- Le Pacte est un des principaux arguments pour ceux qui essaient de falsifier les résultats de la Seconde Guerre mondiale. Que peut faire la Russie pour s'opposer à la mise du nazisme et du communisme sur le même plan?
- Les tentatives faites pour mettre le nazisme et le communisme sur le même plan relèvent de l'idéologie et il est peu probable qu'on puisse faire quoi que ce soit en ce sens. Les réponses à ces questions ont été fournies par le procès de Nuremberg où a été défini, en fait, le degré de culpabilité des parties. Que peut-on recommander aux adeptes du nazisme? Rien. Si d'aucuns veulent exploiter des faits historiques à des fins politiques, il est impossible de leur interdire de le faire, ils le feront.
- Quelles peuvent être les conséquences de la révision de l'histoire?
J'espère que cela n'aura pas aucune conséquence pour la Russie. Il est souhaitable que cela n'entraîne pas dans le monde entier la réhabilitation du nazisme, processus très actif dans certains pays et qui jouit d'un soutien important, notamment au niveau des structures européennes. En tout cas, lors du démantèlement du Soldat de bronze à Tallin, toute l'Union européenne était aux côtés de l'Estonie et non pas de la Russie. Dans n'importe quel conflit entre la Russie et son voisin, l'Union européenne soutiendra le voisin de Moscou, quoi qu'il fasse. Aujourd'hui, même si ce voisin réhabilite le nazisme, il sera tout de même soutenu.
Propos recueillis par Maria Frolova, RIA Novosti.