La position de la Russie est aujourd'hui beaucoup moins solide que celle des Etats-Unis en ce qui concerne les négociations sur la réduction des armements stratégiques nucléaires. Les forces stratégiques russes diminuent rapidement, car les vecteurs (missiles balistiques intercontinentaux, missiles balistiques embarqués sur sous-marins, bombardiers stratégiques) ayant fait leur temps sont mis hors service beaucoup plus rapidement que de nouveaux vecteurs ne sont construits.
Même si le missile balistique intercontinental RS-24 à têtes multiples est mis en dotation, cela ne changera guère la donne, et la perspective qu'a le missile Boulava d'équiper des sous-marins apparaît comme très douteuse. Les essais ratés de ce missile sont là pour le rappeler.
Le retard de la Russie apparaît comme catastrophique, étant donné la suprématie absolue des Etats-Unis dans le domaine des armes de haute précision (en particulier, des missiles de croisière embarqués). Dans ce contexte, Washington pourrait se refuser à toute négociation et attendre que "tout se règle tout seul". Le fait que les Etats-Unis ont malgré tout initié des négociations s'explique, premièrement, par leur souci de promouvoir l'image de Barack Obama en tant qu'homme de paix et, en second lieu, par la volonté de l'administration américaine de conférer au processus de désarmement un caractère contraignant et de le rendre contrôlable. Le fait d'avoir la suprématie dans le secteur des armes de haute précision permet aux Etats-Unis de sacrifier sans peine une grande partie de leurs forces stratégiques nucléaires.
Le développement par les Etats-Unis de leur système antimissile constitue un facteur supplémentaire qui influe sur le processus des négociations. En raison de la faiblesse de ses positions, Moscou ne dispose d'aucun levier d'influence réel dans ce domaine.
En outre, la focalisation outrancière de la Russie sur le déploiement du bouclier antimissile en Europe de l'Est paraît tout à fait étonnante. Ce système (qui ne pourra pas, au demeurant, être opérationnel avant cinq ans) ne représente aucune menace sérieuse, même pour des forces stratégiques nucléaires affaiblies, comme le sont celles de la Russie. Washington dispose, en fait, avec le système "Aegis", d'un système antimissile embarqué bien plus dangereux. Cependant, Moscou, pour des raisons inconnues, ne semble pas s'en préoccuper.
A la différence de ses prédécesseurs, l'administration d'Obama semble avoir compris que le bouclier antimissile en Europe orientale est un projet quasiment inutile du point de vue militaire, des plus coûteux (surtout en temps de crise), et très nuisible sur le plan politique. C'est pourquoi l'Amérique pourrait facilement y renoncer, tout en présentant cet abandon comme une concession majeure faite à Moscou. Et réclamer en échange des concessions (par exemple, sur le problème iranien ou le "potentiel récupérable", autrement dit les charges nucléaires qu'il serait possible, si besoin était, d'installer rapidement sur les vecteurs existants).
Les problèmes du bouclier antimissile et du potentiel récupérable compliqueront la signature d'un nouvel accord sur la réduction des armements stratégiques offensifs. Il est possible que ce document ne soit pas signé avant décembre, date de l'expiration du traité START. Mais la situation ne devrait pas changer de façon dramatique par la suite.
En effet, il est évident que ni les Etats-Unis, ni la Russie ne se livreront à une course aux armements effrénée au lendemain de la venue à expiration du traité START. La situation dans le monde ne changera donc pas en l'absence d'un nouvel accord russo-américain.
(*) Alexandre Khramtchikhine est chef du département d'analyse de l'Institut d'analyse politique et militaire.
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