Gibraltar, pomme de discorde entre Londres et Madrid

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

Pour la première fois depuis 305 ans, une personnalité officielle espagnole a mis le pied à Gibraltar. Les discussions tripartites qui ont eu lieu sur le "Rocher", comme l'appellent les Britanniques, ont réuni le ministre espagnol des Relations extérieures, Miguel Angel Moratinos, son homologue britannique, David Miliband, et le Ministre principal (premier ministre) de Gibraltar, Peter Caruana. A la veille de la rencontre, les journaux britanniques avaient appris à leurs lecteurs que le ministre espagnol avait été autorisé à se rendre sur le "Rocher" à la condition expresse que la question de la souveraineté ne soit pas soulevée au cours des entretiens. Le 22 juillet, ils ont pu leur annoncer que ces entretiens se sont bien passés, la question de la souveraineté n'ayant pas été soulevée.

Le ministre espagnol, pour sa part, a regagné Madrid et s'est félicité, lui aussi, du tour positif des discussions, soulignant que l'Espagne n'abandonnerait jamais sa revendication de souveraineté sur Gibraltar. Cet embrouillamini est la marque de ce "processus tripartite" depuis déjà plus d'une vingtaine d'années. Il convient de mettre le mot "tripartite" entre guillemets car le ministre de Gibraltar ne participe que d'une manière purement formelle à ces entretiens hispano-britanniques.

Lors du dernier round de négociations, il a été décidé d'élargir la coopération en matière de services financiers, de sécurité maritime et dans le domaine juridique. Il est cependant difficile de prévoir comment les choses vont évoluer pour ce qui est de la coopération maritime. A la veille des pourparlers, l'Espagne avait déclaré que les eaux baignant Gibraltar constituaient un lieu d'une importance écologique particulière et renforcé ses patrouilles maritimes. Gibraltar (Londres) l'a perçu comme une nouvelle revendication sur ses eaux territoriales et a annoncé qu'il porterait plainte contre Madrid devant la Cour européenne.

Cela fait trois siècles que le partage des eaux territoriales constitue un sujet de tension entre l'Espagne et Gibraltar. Depuis que les Anglais se sont emparés de Gibraltar, le 4 août 1704, durant la guerre de Succession d'Espagne (une opération des plus calmes, menée sans effusion de sang), les personnalités officielles espagnoles étaient interdites d'accès sur ce territoire. Madrid a tenté de temps à autre de récupérer Gibraltar, les flottes espagnole et française l'ayant même assiégé pendant la Guerre d'indépendance américaine, au XVIIIe siècle. Mais les Anglais ont toujours conservé le dessus. Ils ont organisé régulièrement des manifestations censées démontrer l'attachement des Gibraltariens au Royaume-Uni : ils ont notamment régulièrement organisé des référendums sur une éventuelle co-souveraineté hispano-anglaise. La population a toujours rejeté cette proposition, montrant ainsi son attachement à la couronne britannique. Ce qui n'a rien d'étonnant, la quasi-totalité des 28.875 Gibraltariens étant originaires des îles Britanniques ou descendant de personnes originaires de ces îles.

Le Gibraltar d'aujourd'hui est un énorme anachronisme, un paradoxe dans l'Europe moderne. On ne peut pas dire qu'il empoisonne gravement les relations entre la Grande-Bretagne et l'Espagne. Mais il est difficile d'imaginer qu'un Etat européen, membre de l'ONU (et, notamment, de son comité de décolonisation), de l'Union européenne et de l'OTAN, puisse posséder - au XXIe siècle - une colonie située sur le territoire d'un autre Etat européen, membre de l'ONU (et, notamment, de son comité de décolonisation), et qui est son partenaire au sein de l'Union européenne et de l'OTAN. Mais c'est un fait.

Officiellement, Gibraltar est considéré comme un territoire d'outre-mer de la Couronne. Londres lui a même donné une Constitution en 1969, affirmant que le "Rocher" n'est pas une colonie mais une entité autonome, dotée d'une gestion indépendante, réunissant des hommes libres sous la souveraineté britannique. Mais lorsqu'on demande aux diplomates britanniques pourquoi Gibraltar figure sur la liste officielle de l'ONU des territoires à décoloniser - autrement dit, pourquoi il est considéré comme une colonie -, ils ne trouvent rien à répondre.

Dans ce contexte, il est curieux de comparer les positions de la Grande-Bretagne sur Gibraltar et sur le Kosovo. Londres insiste pour que chaque problème relatif à la souveraineté et l'indépendance soit examiné comme un sujet à part, dans son contexte particulier. Avant la guerre géorgienne, la Russie avait insisté pour que le cas du Kosovo soit examiné selon les normes universelles. Elle a perdu. En revanche, en optant pour une "approche particulière", après l'initiative de Saakachvili, en août 2008, elle a gagné, en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Moscou doit donc suivre de près ce qui se passe autour de Gibraltar : les méthodes utilisées sur le "Rocher" pourraient lui être très utiles à l'avenir.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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