De nombreux observateurs internationaux qui ont suivi attentivement les élections parlementaires au Liban ont poussé un soupir de soulagement : la coalition d'opposition du 8 mars formée autour du mouvement chiite Hezbollah s'est avérée incapable de remporter la victoire. L'alliance du 14 mars dirigée par Saad Hariri a triomphé, tout comme lors des législatives de 2005, en obtenant plus de 70 des 128 sièges du parlement.
Peut-on pour autant considérer ce résultat comme une défaite de l'opposition, compte tenu du fait que les 11 candidats du Hezbollah ont été élus ? Ce sont ses alliés qui ont joué un mauvais tour au Hezbollah, mais le mouvement, lui, n'a pas perdu la face et il a conservé ses partisans.
Les élections libanaises ont constitué un grand jeu géopolitique, opposant l'Iran à une coalition réunissant les Etats-Unis, la France et l'Arabie saoudite. La mise était la stabilité régionale. L'enjeu était si important que certains acteurs internationaux, notamment les Etats-Unis, n'ont pas su garder leur sang-froid, malgré les principes universellement reconnus de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un pays, surtout à la veille d'élections. La victoire du bloc dirigé par le Hezbollah était parfaitement possible, tout comme le scénario d'un résultat égal entre les deux alliances.
Le vice-président américain Joseph Biden, qui s'était rendu à Beyrouth deux semaines avant les élections, avait annoncé que Washington "reverrait les conditions de l'octroi de l'aide financière au Liban", au cas où le programme du futur cabinet ne conviendrait pas à l'administration américaine. Une allusion qui concernait en premier lieu une victoire du Hezbollah, ce mouvement figurant sur la liste américaine des organisations terroristes.
La perspective de devenir une nouvelle bande de Gaza, laquelle s'est trouvée isolée, au plan international, après le triomphe du mouvement palestinien du Hamas lors d'élections législatives, ne pouvait tenter de nombreux Libanais. Une telle situation aurait été une véritable catastrophe pour un pays dont les revenus proviennent du tourisme et de l'intermédiation financière. Un blocus international en lieu et place de l'aide promise des donateurs serait bien sûr à l'opposé de ce que les Libanais souhaiteraient obtenir.
Il ne serait pourtant pas juste d'affirmer que leur choix a été dicté de l'étranger. Le Liban est un des pays les plus politisés de la région : il est difficile d'y trouver des citoyens ne sachant pour qui voter, et aucune force extérieure n'est en mesure d'influer sur leur choix.
La bataille électorale a eu lieu pour gagner les voix de la partie de la population déçue par la politique de la coalition du 14 mars et l'instabilité, mais qui se méfiait du Hezbollah. Il était donc important pour l'alliance du 14 mars de persuader ces citoyens de se déplacer pour aller voter. Et ils ont répondu à cet appel : la participation électorale a été supérieure de près de 10% à celle des législatives de 2005.
Bien que la victoire de l'alliance du 14 mars soit incontestable, les résultats des élections font que l'on doit tenir compte de la voix de l'opposition.
Il convient notamment de prêter attention aux propos du député Hassan Fadlallah, membre du mouvement Hezbollah. Ce dernier estime, a-t-il dit, que le Liban sera fondé sur la diversité et le pluralisme et non sur les principes de la majorité et de la minorité. "Aucune des parties n'est en mesure d'obtenir la majorité dans tous les secteurs", a-t-il déclaré dans une interview à l'agence France-Presse.
Nombreux sont ceux à qui la victoire du bloc du 14 mars facilitera les choses : ainsi, les Occidentaux ne seront pas obligés de tourner le dos au Liban ni, aussi étonnant que ce soit, à la coalition perdante. Cette dernière est du reste toujours prête à coopérer avec ses adversaires politiques (alors que si le résultat avait été inverse, l'alliance du 14 mars serait devenue un groupe d'opposition radical, qui aurait ruiné l'espoir d'une réconciliation politique dans le pays). Il ne faudrait cependant pas verser dans l'euphorie : le Liban demeure un pays profondément divisé, dans lequel la situation politique requiert toujours une grande prudence.
Cela vaut en premier lieu pour ceux qui l'observent de l'étranger. Ce sont eux qui doivent faire en sorte que les hommes politiques libanais poursuivent le dialogue et ne construisent pas de barricades. Le résultat des élections ne facilitera la réconciliation et la recherche d'un compromis que si les Occidentaux, et avant tout les Etats-Unis, ne donnent pas à pas croire aux vainqueurs qu'ils sont invulnérables et parés de toutes les vertus. Bref : les vainqueurs doivent faire preuve de sagesse.
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