Barack Obama: les 144.000 premières minutes de présidence

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti
Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti

C'est un fait suffisamment rare pour être noté: les Américains et les Européens ont commencé à célébrer les 100 jours du 44e président américain Barack Obama une semaine auparavant. Et même un peu plus tôt, dès le 90e jour. Le Washington Post a publié une vingtaine de commentaires et ouvert une rubrique vidéo spéciale. Le Financial Times européen se passe de vidéo, mais son site lui consacre lui aussi une rubrique. Les déclarations et les réalisations de Barack Obama ont été comparées à ce que les autres présidents américains ont fait pendant le même laps de temps� Bref, on a l'impression qu'arrivé à la date du 30 avril, qui marque réellement ces 100 jours, il n'y a plus rien à dire. Mais on continue tout de même à évoquer le sujet.

Tout cela témoigne du symptôme d'impatience mêlé de désespoir qui caractérise la civilisation américano-européenne, bien consciente de la gravité de la crise qui s'est abattue sur elle et de la nécessité de changements. Voyant que le président américain désire sincèrement apporter ces changements, les gens deviennent de plus en plus impatients. Rappelons ce qui s'est produit avec Mikhaïl Gorbatchev après 1985. Au début, les gens guettaient la moindre nuance dans chacun de ses discours. Puis, lorsque les changements ont effectivement commencé, l'impatience a grandi, devançant d'abord les changements eux-mêmes avant de contribuer au renversement de Mikhaïl Gorbatchev.

N'oublions pas toutefois qu'une autre partie de la population de l'URSS attendait elle aussi des changements, mais différents de ceux amorcés par Mikhaïl Gorbatchev. Ces personnes étaient-elles nombreuses ? On l'ignore, puisque l'on ne les a pas comptées. Mais les Américains, qui ne pensent pourtant nullement, pour l'instant, à comparer Obama et Gorbatchev, calculent tout, et ils sont parfaitement au courant de ce qui se produit dans leur société.

Et voici ce qui s'y produit: la profonde division de cette société en deux parties égales, les républicains et les démocrates, qui durait depuis plus de dix ans, a pris fin. Il convient de rappeler que lors des deux présidentielles, George W. Bush n'avait pas recueilli la majorité des voix, et qu'il avait même fallu procéder à un "décompte manuel" des voix en Floride, où le destin du pays fut décidé pour les quatre années qui suivirent.

Ces quatre années et leurs résultats catastrophiques ont fini par faire bouger l'opinion publique, qui a abandonné un équilibre qui n'avait que trop duré, pour pencher en faveur des démocrates. Mais elles n'ont pas mis fin à la division de la société américaine qui s'observe toujours, sinon sur tout, du moins sur de nombreux points.

A en juger par les médias américains, l'action la plus éclatante d'Obama a été sa récente décision de rendre publics les documents de l'ancienne administration sur les tortures infligées aux personnes suspectées de terrorisme. (Les parallèles avec Gorbatchev et Khrouchtchev sont ici évidents). Selon un sondage du Washington Post et de la chaîne ABC, 53% des Américains ont soutenu cette mesure, mais 44% y étaient opposés. Cela contraste fortement avec l'approbation par 70% des 100 premiers jours du nouveau président au pouvoir (les estimations diffèrent, mais toutes dépassent 70%, ce qui est beaucoup pour les Etats-Unis, sans atteindre 80%).

Un détail encore plus intéressant: parmi ceux qui votent pour les démocrates, 55% soutiennent activement la décision sur les tortures et, parmi l'électorat républicain, 61% y sont opposés. 69% des républicains estiment que les tortures sont justifiées dans certains cas, 65% des démocrates affirment qu'elles sont toujours inadmissibles.

Une Amérique (ou tout autre pays) divisée, c'est une chose à la fois mauvaise et dangereuse, y compris pour Obama. Car il ne s'agit pas que des tortures. La société américaine va s'exprimer également, par exemple, sur la politique étrangère d'Obama. Une politique étrangère qui vise à atteindre certains objectifs au-delà des Etats-Unis. Mais, à en juger par de nombreux commentaires qui nous viennent d'outre-Atlantique, les "deux Amériques" fixent au président deux types d'objectifs différents, et les deux parties vont lui demander bientôt de rendre compte de son activité, chacune à partir de ses points de vue.

Ainsi, l'Amérique "républicaine" voudrait, parfois instinctivement, que la Russie s'associe aux tentatives américaines de faire changer l'Iran, que l'Europe envoie ses soldats en Afghanistan, que la Géorgie adhère à l'OTAN. Mais elle voudrait le faire en recourant à des méthodes plus souples que celles employées par l'administration Bush. Cette partie des électeurs a du mal à croire jusqu'à présent qu'Obama puisse changer, en fin de compte, non seulement la tonalité de ses contacts avec les partenaires extérieurs, mais aussi l'essence de sa politique étrangère, autrement dit ses objectifs.

En fait, pour l'instant, il n'y a pas de nouvelle politique étrangère des Etats-Unis. Les membres de l'équipe d'Obama chargée de la politique étrangère (le vice-président Joe Biden, la secrétaire d'Etat Hillary Clinton, pour ne citer qu'eux) n'ont fait que manifester leur volonté de repartir à zéro dans leurs rapports avec les Européens, les Nord-Coréens, les Cubains, les Russes et les Palestiniens, de changer de ton, de commencer à écouter. Mais personne n'a déclaré clairement, à ce jour, que les objectifs de ce dialogue seraient différents de ceux de Bush. Les véritables changements sont encore à venir.

Rappelons que l'arrivée au pouvoir d'Obama n'est pas seulement un problème américain mais aussi, à tout le moins, un problème américano-européen. Le "projet Europe" n'a pas donné de bons résultats sous George W. Bush. Les Européens étaient et restent des partisans des démocrates, et non des républicains. D'autant plus qu'ils savent aujourd'hui que les républicains ont conduit la situation dans une impasse, qu'un tel allié stratégique ne fait que mettre en danger l'avenir de l'Europe. Mais quelle Amérique voudraient voir concrètement les Européens - et les Etats-Unis peuvent-ils devenir une telle Amérique ? L'avenir nous le dira.

Pour l'heure, de nombreux commentateurs énumèrent les principales réalisations de Barack Obama: il sait choisir les gens et faire fonctionner l'appareil (une chose que Bill Clinton, par exemple, ne savait pas faire). Il a annoncé une nouvelle politique, ou tout au moins un changement de ton, dans des domaines si nombreux qu'il y aurait là de quoi occuper une dizaine de présidents (ce qui signifie, au moins, qu'il veut opérer des changements). Enfin, dans la lutte contre la crise économique, Obama a fait une chose très importante, qui n'est pas d'avoir octroyé des centaines de milliards de dollars aux banques. Il a montré qu'il avait deux priorités dans la lutte anticrise: l'éducation et la santé. Les économistes disent que, si tel est le cas, l'Amérique se portera bien après la crise et que cela vaut la peine d'entretenir des rapports d'amitié avec elle.

Comme on le voit, pour quelqu'un qui n'est au pouvoir que depuis 100 jours, soit 144.000 minutes, les indicateurs ne sont globalement pas mauvais.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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