Les événements de Moldavie rappellent, par leur forme, une "révolution de couleur" classique. Mais, en réalité, tel n'est pas le cas, car un élément clé leur fait défaut: le facteur extérieur et l'intérêt porté par les acteurs internationaux influents au développement des événements.
La Moldavie ne figure pas au nombre des Etats faisant prioritairement l'objet d'une concurrence géopolitique. Dans le contexte de la crise économique mondiale, l'intérêt pour ce qui s'y produit est proche de zéro, ce dont témoigne la réaction plus que molle tant de l'Union européenne que des Etats-Unis. Si les troubles avaient eu lieu il y a un an, au plus fort des frictions entre la Russie et l'Occident, et en premier lieu Washington, au sujet de l'espace postsoviétique, la résonance aurait été, bien entendu, plus forte.
La précédente administration américaine voyait partout des atteintes à la démocratie et élevait immédiatement la voix en faveur des "défenseurs de la liberté". Mais Barack Obama a d'autres priorités. Il attache davantage d'importance au règlement des problèmes réels de la politique étrangère des Etats-Unis, parmi lesquels ne figurent ni la Moldavie, ni la Transnistrie.
L'Union européenne s'efforce de régler ses propres problèmes, le principal étant d'essayer de rétablir l'équilibre intérieur entre les pays donateurs et les Etats qui ont un besoin urgent d'être soutenus. La Roumanie en est un. Voilà pourquoi, même si Bucarest est intéressé aux événements de Chisinau (ce qui n'est pas évident), la possibilité de mobiliser l'Europe en sa faveur est mince.
La Russie n'a pas d'enjeux évidents dans le conflit intérieur moldave. La position fondamentale de Moscou est la suivante: les actions violentes ayant pour but de changer le pouvoir en place ne sont pas acceptables, quel que soit le pays postsoviétique où se produisent ces évènements. Pour autant, on ne peut pas dire que les communistes moldaves soient des alliés fidèles de la Russie.
Les rapports entre le Kremlin et le président moldave Vladimir Voronine n'ont pas été faciles. Après que Chisinau, en 2003, obéissant aux Occidentaux, eut torpillé le plan Kozak (proposant de faire de la Moldavie une fédération, ndlr.) alors même que ce plan avait été déjà concerté, un refroidissement prolongé s'en est suivi. Et bien que la Moldavie ait envoyé l'an dernier des signaux positifs à la Russie, aucun progrès réel n'a été enregistré dans les rapports bilatéraux.
Le problème principal de la Moldavie réside dans l'absence de l'ordre du jour clair. La perspective du "choix européen" est éphémère, car l'UE n'est nullement encline à faire davantage que de porter à cette question un intérêt symbolique, du type "Partenariat oriental". Il n'y a ni argent, ni engagements européens précis envers les pays participant à ce projet. Les troubles survenus à Chisinau assombrissent du reste quelque peu l'atmosphère du premier sommet du "Partenariat oriental", prévu pour le mois de mai à Prague, car ils diminuent la portée symbolique même de cet événement.
L'espoir que les Etats-Unis accordent de l'attention à la Moldavie pour empêcher la Russie d'y régler avec succès le conflit territorial ne repose désormais plus sur grand-chose. Pour que leur attention soit effectivement attirée, il faudrait que la situation y soit sérieusement déstabilisée. Ce n'est pas à exclure. Mais, pour l'instant, heureusement, on n'assiste pas à un tel scénario.
L'évolution des événements en Moldavie peut avoir des incidences diverses sur le destin de la Transnistrie. Mais il se peut très bien aussi qu'ils n'en aient aucune. On a l'impression que la génération politique de Vladimir Voronine sera la dernière au pouvoir en Moldavie à se fixer comme objectif de récupérer Tiraspol. Pour la nouvelle opposition, pro-européenne, la Transnistrie est davantage un fardeau entravant le rapprochement avec l'Europe qu'une opportunité. Le récent exemple de la Géorgie est éloquent: les conflits gelés y sont devenus un obstacle insurmontable barrant tout développement.
Autre chose est que les hommes politiques moldaves ont du mal à changer radicalement de discours et à cesser d'exiger la réunification, car tel a été le sens de leur activité durant toute la période postsoviétique. Le gros problème, pour eux, est qu'ils n'arrivent pas à remplacer cet objectif par un autre, car l'adhésion à l'Union européenne est une réalité virtuelle, et appeler à renoncer à l'Etat moldave pour se rattacher à la Roumanie serait un comportement trop radical. Il est du reste peu probable que ce genre d'élargissement de l'UE intéresse qui que ce soit en Europe: l'histoire contemporaine n'a jamais vu la disparition d'un Etat européen.
Le scénario le plus négatif est lié à l'aspiration du pouvoir actuel à transformer le conflit présent en conflit interétatique. Même si Chisinau a des raisons valables d'estimer que le facteur roumain a été présent dans les troubles, des mesures ostensibles contre Bucarest ne pourraient que contraindre l'Union européenne, pour l'instant neutre, à intervenir, mais pas aux côtés de Chisinau. Dans ce cas, la Russie non plus ne resterait pas à l'écart.
Par conséquent, Vladimir Voronine doit faire tout son possible pour régler la situation au niveau local et essayer ensuite de voir quels objectifs stratégiques doit poursuivre son pays qui, déjà bien pauvre sans cela, ne fait que commencer à ressentir les conséquences réelles de la crise mondiale.
Fedor Loukianov est rédacteur en chef de la revue Rossiïa v globalnoï politike (La Russie dans la politique globale).
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