Le premier dans l'espace et dans nos coeurs

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Par Alexandre Pesliak, RIA Novosti
(A l'occasion du 75e anniversaire de la naissance de Youri Gagarine)

Par Alexandre Pesliak, RIA Novosti

Il était parti pour le cosmodrome en laissant sa femme et leurs deux filles. La cadette n'avait qu'un mois. Une photo faite dans la demeure du premier cosmonaute par le correspondant du journal Komsomolskaïa pravda, l'écrivain Vassili Peskov, représente son épouse Valentina, esquissant un faible sourire en essuyant ses larmes : elle vient d'apprendre où se trouve son mari âgé de 27 ans.

Il aurait 75 ans aujourd'hui. Cet anniversaire est une occasion de se souvenir de lui et de réfléchir, avant tout, à la différence de la Journée de la cosmonautique, qui sera célébrée dans un mois, non pas aux succès de la science et de l'ingénierie, mais à la vie, au caractère de cet homme, à l'influence de sa famille (il avait deux frères et une soeur), à ses instituteurs. Il avait montré dès son enfance un esprit curieux, mais non dénué de discernement. Il avait voulu développer ses capacités et faire ses preuves dans divers domaines : sport, danses, culture physique, musique (dans un orchestre de cuivres) �

Ce garçon, né à la campagne, qui avait connu les épreuves de la guerre et de l'occupation nazie, choisit lui-même de gagner sa vie : il travaille comme fondeur et fait ses études dans un collège technique, à la suite de quoi il est admis dans l'école de pilotes militaires de Tchkalov (auj.Orenbourg). Puis il sert dans un régiment d'aviation de chasse au-delà du cercle polaire, au sein duquel il effectue près de 600 vols.

Le général Nikolaï Kamanine, chargé de la formation des cosmonautes, notait quels étaient les penchants de chacun : "Titov a demandé à ne pas aller avec nous (au cinéma - ndlr.), pour lire Pouchkine : il aime la poésie et lit beaucoup. Popovitch, Nikolaïev, Bykovski et Nélioubov jouent bien aux échecs et, parfois, à la préférence. Youri Gagarine est indifférent aux cartes et aux échecs, il s'adonne au sport, il apprécie les anecdotes et les plaisanteries spirituelles".

Il fut mis en orbite par tout le pays et accueilli, à son retour, par le monde entier. Le pilote soviétique Youri Gagarine devint une carte de visite de la civilisation, un messager de la paix, une idole des actrices de cinéma, des maréchaux et des présidents. Ce gars originaire de la région de Smolensk gagna à l'URSS des millions de sympathisants. Il effectua ainsi une visite au Liberia, un pays d'Afrique où aucun représentant de notre gouvernement ne mit les pieds ni avant, ni après lui. Suscitant une jubilation générale et faisant l'objet d'une sincère vénération, il fut élu� chef honorifique de la tribu des Kpellé. Il reçut dans ce pays un ordre, un insigne et le grand ruban de l'Etoile d'Afrique de l'ordre de la "Lumière des ténèbres". Une appellation qui convient on ne peut mieux pour l'homme qui perça les ténèbres de l'isolement et de l'ignorance, de la grisaille et de l'arbitraire.

Selon John Gridounov, chargé des essais du matériel spatial, la joie de vivre était le trait dominant de Youri Gagarine : "Son sourire n'était pas artificiel comme celui des stars de cinéma ou des diplomates. Il n'était ni ennuyeux ni orgueilleux dans ses contacts avec les gens les plus divers. Mais au Centre de formation des cosmonautes, il était attentif, sérieux, et même sévère lorsqu'il lui fallait faire preuve de son autorité de commandant". Tel est l'avis d'un vétéran grâce à qui furent étudiées les ressources de l'organisme humain dans des conditions extrêmes : pendant les grands froids, en l'absence de régénération de l'air, lors des effets de l'onde de choc provenant d'une explosion nucléaire. "Mais Youri, malgré l'attention accrue qu'on lui portait, restait un homme ordinaire, avec ses sympathies, et même ses faiblesses".

Il connut la gloire et les obligations au niveau national et mondial. Il fut député du Soviet suprême (parlement) et deux fois membre du Comité central du Komsomol (Union des jeunesses communistes léninistes de l'URSS). Il se vit attribuer de multiples décorations d'un grand nombre d'Etats, d'organisations publiques et de sociétés scientifiques. Il fut également maître émérite des sports (course à pied), ainsi qu'un excellent hockeyeur et volleyeur.

Alexandre Oustenko, ancien commandant de l'escadrille, avait donné son opinion sur son élève, à qui il s'apprêtait à permettre d'effectuer à nouveau des vols seul : "Lors des contrôles des aptitudes requises pour les vols, je n'ai jamais été obligé de le corriger ou de lui donner des recommandations supplémentaires � Il se sentait à son aise dans le cockpit. Il n'était pas agité et connaissait par coeur l'endroit où se trouvaient toutes les manettes. Au cours du pilotage, il ne faisait pas de mouvements brusques. Il réagissait opportunément aux remarques faites au cours du vol, et il n'était donc pas nécessaire de les lui répéter. S'il y avait des interruptions de vols, il retrouvait rapidement sa technique de pilotage, qui se distinguait par une exécution impeccable des éléments".

Un autre vétéran, Messiatsev, ajoutait: "Les rapports entre Sergueï Korolev, qui était quasiment inconnu, et Youri Gagarine, un homme de renommée universelle, étaient, en fait, ceux d'un père et d'un fils. Je l'ai constaté maintes fois: Youri vénérait le Constructeur général comme son père. En fait, il fut son parrain, car il "bénit" Youri pour sa grande mission. Sergueï Korolev n'éprouva jamais de jalousie ni d'envie à son endroit; il ne fit que se réjouir de ses succès".

Promu avant terme à de hauts grades militaires, Youri Gagarine percevait ces honneurs comme une récompense non pas pour lui seul, mais pour tous ceux qui l'avaient mis sur orbite. Devenu colonel, il aspirait à réaliser encore d'autres choses. Après avoir supporté de nombreuses charges de travail et déployé de grands efforts, il fut admis aux entraînements sur le programme lunaire. Cependant, après la mort tragique de Vladimir Komarov (Youri Gagarine était sa doublure), le premier cosmonaute fut écarté des entraînements. Il progressait également au plan théorique et dans sa connaissance scientifique des objectifs de l'astronautique : un mois avant sa mort, il reçut son diplôme de l'Ecole supérieure militaire des ingénieurs de l'aéronautique. Il s'apprêtait à prononcer un discours sur la paix et l'espace à l'ONU.

Le premier cosmonaute était un homme ordinaire, d'un accès facile. Cependant, comme l'a fait remarquer le journaliste Andreï Arkhanguelski, nous n'avons pu, dans la Russie postsoviétique, "convertir la victoire de Youri Gagarine en nouvelle image du pays". Youri Gagarine est un symbole de professionnalisme, non pas ce professionnalisme qui règne en maître dans les bureaux, non pas celui qui consiste à rééditer habilement des gestes bien appris, mais celui d'un esprit créateur, intelligent, avec une pointe de risque et de romantisme. Pour le bien de tous. Cela permet de comprendre pourquoi nous fûmes les premiers à explorer l'espace : seul un pays très spécifique était à même de le faire.

Dans deux ans, la Russie abordera l'Année de l'Espace. Le président russe a annoncé que les festivités de 2011 se dérouleraient sous le signe du 50e anniversaire du premier vol de l'homme dans l'espace. Gageons qu'une nouvelle enquête sur le Dernier vol du Premier cosmonaute apporterait une grande contribution à l'étude de l'histoire.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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