La piraterie: un mal incurable?

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Par Ilia Kramnik, RIA Novosti
Par Ilia Kramnik, RIA Novosti

Le superpétrolier saoudien "Sirius Star" battant pavillon libérien et chargé de brut vient d'être détourné par des pirates somaliens au large des côtes du Kenya. Ce supertanker constitue la plus importante prise des pirates somaliens dans toute l'histoire de leur activité.

On pourrait croire que la présence de navires de guerre internationaux patrouillant dans le golfe d'Aden devrait inciter les pirates à abandonner leurs activités, mais on en est loin. Les possibilités de ces bâtiments de guerre se réduisent à escorter des navires qui traversent les zones dangereuses. Ainsi, le navire d'escorte russe Neustrashimy a déjà facilité le passage de plusieurs vaisseaux russes par le golfe d'Aden. Après le détournement du cargo danois "CEC Future", cette frégate russe a escorté, à la demande du Danemark, un autre navire danois, le "CEC Commander", avec à son bord 15 membres d'équipage russes.

Néanmoins, l'escorte de navires ne peut s'avérer très efficace. Un nombre énorme de vaisseaux traversant tous les jours le golfe d'Aden, une flotte considérable serait nécessaire afin de tous les accompagner. Qu'est-ce qui empêche donc les plus grands pays du monde, tels les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, de combattre la piraterie?

On assiste de fait à une paralysie du système international de sécurité dans cette région. Il convient de constater qu'aucun Etat ne possède de ressources permettant d'assurer la sécurité de la navigation dans l'une des zones les plus importantes de l'océan mondial.

Le titre de "Seigneur des Mers" est passé de la Grande-Bretagne aux Etats-Unis au cours de la Seconde Guerre mondiale, mais il se trouve que Washington, bien que disposant d'une flotte susceptible de raser des pays entiers, est incapable de garantir la liberté de navigation et de commerce, liberté qui constitue le fondement de la civilisation occidentale contemporaine.

La raison de ce phénomène ne réside pas tant dans le manque de capacités et de moyens que dans la logique de l'évolution du monde occidental contemporain. La liberté de navigation et de commerce était jadis nécessaire pour évincer les concurrents, à savoir les puissances coloniales qui limitaient cette liberté dans leurs colonies. La liberté de navigation et de commerce fut le principal prix payé par la Grande-Bretagne pour l'aide accordée par les Etats-Unis au cours de la Seconde Guerre mondiale, et elle constitua l'un des principaux catalyseurs de l'effondrement de l'empire colonial britannique.

Aujourd'hui, il s'agit plutôt d'exclure des régions entières de la zone de libre-échange en y maintenant un régime de chaos contrôlé. En effet, une région qui se consume (comme par exemple la Somalie) ne crée pas de problèmes globaux, d'une part, et de l'autre, personne n'assume la responsabilité du maintien de la sécurité des territoires qui l'entourent.

Une telle exclusion a pour objectif de réduire le nombre de consommateurs de ressources. Les pays déchirés par des conflits tels que la Somalie, l'Irak, l'Afghanistan et d'autres, ne sont pas en mesure de créer une économie les drainant en grande quantité. Par conséquent, ce sont les principaux acteurs qui reçoivent ces ressources, en premier lieu énergétiques. Un tel système rend peu vraisemblable la lutte contre la piraterie. Les Etats les plus puissants sur le plan militaire n'ont aucun intérêt à investir dans la stabilisation de la situation en Somalie et à y édifier une économie normale, car personne n'a besoin d'un nouveau consommateur de ressources en quantité insuffisante, consommateur certes peu riche mais en cours de développement.

D'autre part, il y a la Russie. Notre pays est aujourd'hui objectivement intéressé par un développement stable de l'économie mondiale, car celui-ci entraîne une croissance de la demande de pétrole et de gaz. En outre, les pays émergents achètent relativement volontiers des produits industriels russes, moins coûteux que ceux provenant de l'Occident. Cependant, à l'heure actuelle, notre pays ne peut pas envoyer dans les eaux "à problèmes" de puissantes unités de navires capables d'anéantir les pirates, ni aider la Somalie à mettre fin à la guerre civile et à construire une économie normale, en assurant des revenus légaux aux habitants de ce pays.

A propos, les cargos de gros tonnage appartenant aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne ne tombent pratiquement jamais entre les mains des pirates. La question se pose: pourquoi?

Ainsi, la boucle est bouclée. La civilisation anglo-saxonne - la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie et les Etats-Unis - dont les marines de guerre sont plus puissantes que toutes les autres flottes du monde et qui disposent d'immenses ressources financières, ne manifeste aucune volonté de lutter contre les racines de la piraterie, à savoir l'instabilité et la pauvreté des pays en développement. Les pays continentaux de l'UE et la Russie, auxquels la piraterie cause d'importants préjudices, n'ont pas suffisamment de ressources pour régler ce problème à eux seuls; qui plus est, ils manquent d'unité politique.

Il ne leur reste qu'à accompagner leurs navires de commerce à travers les eaux dangereuses. Ils peuvent y connaître des "succès" épisodiques en démantelant une base de pirates ou en capturant un chef pirate, mais d'autres bases et d'autres chefs viendront immédiatement prendre la relève.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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