L'attitude envers la crise qui a éclaté dans le Caucase et envers la Russie dans son ensemble fait partie des thèmes de premier plan dans la campagne électorale aux Etats-Unis. John McCain, candidat républicain à la présidence, qui s'était prononcé depuis le début de la campagne en faveur d'une politique rigide à l'égard de la Russie, proposant de l'exclure du G8, et ne voyait dans les yeux de Vladimir Poutine que les trois lettres KGB, a semble-t-il reçu ainsi une preuve opportune allant dans le sens de ses affirmations sur "l'agressivité" de la Russie, et l'aspiration de celle-ci à étendre son influence en dehors de ses frontières et à rétablir "l'empire soviétique". L'accent mis sur le facteur russe lui a même permis, à un certain moment, de devancer temporairement son concurrent démocrate Barack Obama dans les sondages.
En réalité, cette crise s'explique par le fait qu'après la désintégration de l'URSS, les Etats-Unis ont agi selon les doctrines de la guerre froide de l'époque de Truman et d'Eisenhower en visant à remplir rapidement le vide qui s'était formé, en encourageant la politique antirusse des nouveaux alliés et en méprisant tous les intérêts de la Russie. Ce faisant, les personnalités officielles de Washington répétaient régulièrement que les actions des Etats-Unis n'avaient aucun caractère antirusse. Cette politique ne pouvait manquer de se retrouver dans l'impasse.
L'agression de grande envergure lancée dans la nuit du 7 au 8 août par l'armée géorgienne contre l'Ossétie du Sud en vue de rétablir le contrôle sur elle, la mort de civils et de soldats de la paix russes, et la destruction de Tskhinvali ont provoqué une réaction de la Russie inattendue pour la Géorgie et les Etats-Unis: Moscou a lancé une large opération militaire en vue d'imposer la paix à Mikhaïl Saakachvili. Tous les moyens d'information de masse, hommes politiques en vue, experts et journalistes mondiaux ont participé à la campagne antirusse qui a suivi. Un front antirusse s'est formé en Occident.
Les événements dans le Caucase ont apparemment provoqué le passage des rapports russo-américains d'un stade de partenariat stratégique précaire à un stade de confrontation ouverte et, par conséquent, dangereuse. Cette confrontation n'a certainement rien d'utile pour la Russie. Mais elle ne sera pas une répétition de la guerre froide, dont les facteurs géopolitiques et idéologiques (bipolarité, idéologisation de la politique internationale, course aux armements nucléaires) ont disparu aujourd'hui. La confrontation américano-russe au XXIe siècle sera fondée sur autre chose: l'aspiration de la Russie à appliquer sa propre politique mondiale et régionale, qui se heurtera inévitablement aux intérêts globaux des Etats-Unis. D'ailleurs, des périodes d'aggravation de la tension pourraient alterner avec des phases de normalisation des relations.
On peut prévoir que les rapports américano-russes se dérouleront dans un large diapason comportant aussi bien des éléments de rivalité que de coopération: il ira de la confrontation et l'hostilité non dissimulée à la coopération sélective sur des problèmes d'intérêt commun. C'est ce qu'on appelle la "coopération sélective", caractérisée par la capacité à trouver des domaines d'action réciproque, à définir les sphères d'intérêt mutuel, et par l'intention d'entraîner la Russie dans la vie internationale de manière sélective en vue de régler les problèmes d'intérêt commun (épidémies globales, changement climatique, lutte contre le terrorisme, nucléaire civil, non-prolifération des armes de destruction massive, armes nucléaires, énergie, commerce et OMC, écologie). Mais la politique consistant à faire participer la Russie à la vie politique occidentale est entravée par l'absence de confiance mutuelle et par l'utilisation par les Etats-Unis de la lutte contre le terrorisme international au profit de leurs propres intérêts géopolitiques.
Les variantes dont dispose aujourd'hui la Maison Blanche pour influer directement sur Moscou sont très limitées. Les contacts économiques bilatéraux peu développés et l'absence de dépendance un tant soit peu importante de l'économie russe vis-à-vis des Etats-Unis réduisent leurs possibilités d'employer des sanctions économiques ou d'autres moyens de faire pression sur la Russie.
Qui plus est, la stratégie visant à détériorer les rapports avec la Russie ne trouvera pas le soutien requis en Europe occidentale. La cohésion des pays occidentaux sur une base antirusse et la reprise d'une confrontation semblable à celle de la guerre froide sont actuellement peu probables. Les intérêts économiques, avant tout énergétiques, de la Russie et de l'Europe, ainsi que la proximité de leurs positions sur toute une série de problèmes de la politique mondiale rendent cette variante pratiquement impossible.
Le retour à une politique de dissuasion contre la Russie appliquée par les Etats-Unis pendant la guerre froide est possible en cas de victoire de John McCain. Dans des conditions où la Russie a perdu certains éléments caractéristiques d'une superpuissance propres à l'URSS, où son économie et son armée sont faibles et retardataires, ainsi qu'en l'absence d'alliés fidèles, on estime que l'Occident sortira inévitablement vainqueur d'un tel schéma. John McCain pourra bien commencer la réalisation de son idée de créer une Ligue des démocraties réunissant les Etats démocratiques développés et en développement, cela ne fera qu'accroître la confrontation globale, donnant une nouvelle impulsion à la coopération entre la Russie et la Chine.
Du point de vue des intérêts de la Russie, la victoire de Barack Obama est préférable. Dans l'ensemble, l'attitude du candidat démocrate à l'égard de la Russie est moins négative que celle de John McCain. Sous l'administration démocrate, la Russie peut faire l'objet d'une plus grande pression sur les questions de la démocratie et du développement d'un modèle efficace de gestion de l'Etat de type occidental. On rattache également à la victoire d'Obama l'espoir d'adapter les Etats-Unis aux réalités du monde multipolaire, l'abandon de la politique des actions unilatérales, et la mise en oeuvre, dans l'ensemble, d'une politique étrangère plus mesurée et réfléchie. Une extension de la coopération avec la Russie sur les problèmes de l'Iran, de l'Afghanistan, de la réduction des armements nucléaires, etc. est également probable.
La politique d'élargissement de l'OTAN par l'admission de la Géorgie et de l'Ukraine devrait se poursuivre indépendamment de la victoire de tel ou tel candidat.
Cependant, les deux prétendants reconnaissent la nécessité de coopérer avec la Russie en se prononçant pour la révision de la politique de George W. Bush et l'élaboration d'une politique plus réaliste et efficace.
Valeri Garbouzov est vice-directeur de l'Institut des Etats-Unis et du Canada de l'Académie des sciences de Russie.
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