La première édition de la World Policy Conference s'est ouverte le 6 octobre à Evian (France). Ce forum international est consacré aux problèmes globaux du devenir de la planète et au rôle des Etats dans la solution des problèmes mondiaux. Cette conférence, qui doit accueillir de nombreux chefs d'Etat et de gouvernement ainsi que des hommes politiques de haut niveau, de même que de grands experts de différents pays, sera clôturée le 8 octobre par les présidents de la Russie et de la France, Dmitri Medvedev et Nicolas Sarkozy. Voici le portrait de l'auteur de ce projet ambitieux, le directeur de l'Institut Français des Relations Internationales Thierry de Montbrial.
De beaux cheveux ombrés d'une touche de gris, la raie sur le côté, le regard noble et sûr de soi, des manières élégantes mais sans affectation, une silhouette de belle prestance à peine voûtée, à 65 ans, le président de l'Institut Français des Relations Internationales Thierry de Montbrial sait qu'il paraît moins que son âge. Fondateur et directeur immuable d'un des principaux think-thank européens, il sait qu'il fait des envieux. Mais qu'il s'agisse de jalousie, de malveillance, de simple inimitié ou, au contraire, d'un enthousiasme débordant, Thierry de Montbrial réussit à ne pas prêter attention au regard et à l'opinion des autres. "J'ai toujours été ambitieux, reconnaît-il, mais dans un sens tout à fait respectable, j'ai voulu réaliser des choses allant dans le sens de mon destin".
"En un certain sens, je suis aussi un entrepreneur"
Jeune, il se voyait aussi bien professeur de physique ou de mathématique découvrant des choses formidables qu'homme d'Etat faisant de grandes choses pour le monde. Finalement, Thierry de Montbrial dit avoir "essayé de trouver une espèce de compromis entre la tendance intellectuelle qui a toujours été très profonde chez moi et une certaine forme d'action". A trente ans, cet ancien Polytechnicien titulaire d'une thèse en économie soutenue à l'Université de Berkeley crée, en 1973, le Centre d'analyse et de prévision au ministère des Affaires étrangères, tout en commençant à enseigner à l'Ecole Polytechnique dont il dirigera le département des sciences économiques pendant près de vingt ans. En 1979, il fonde l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), centre indépendant de recherches sur l'ensemble des questions internationales contemporaines. "Mon ambition, dit-il en parlant de l'IFRI, c'est de laisser derrière moi une grande institution qui existe encore dans cinquante ou cent ans." En 1989 l'IFRI emménage dans ses propres locaux sur la rive gauche, dans le 15e arrondissement de Paris. Thierry de Montbrial, qui était à l'époque un des plus jeunes académiciens de toute l'histoire de France, avait réussi à collecter auprès de sponsors 67 millions de francs pour la construction de ce siège. A l'époque, rappelle-t-il, "nombreux étaient ceux qui pensaient que je n'y arriverai pas, qui me jugeaient aventuriste". Mais il a toujours su trouver un langage commun avec les hommes d'affaires : "Il est vrai, dit-il, que moi aussi, en un certain sens, je suis un entrepreneur."
D'aucuns diront que l'Institut se trouve dans une situation privilégiée du fait qu'il est subventionné par l'Etat (le budget lui consacre une ligne individualisée). "Pour la France, note un expert de ce pays, cet institut est, pour une large part, une vitrine". Le financement public est pourtant en régression constante et ne constitue plus que le tiers du budget de l'Institut. "Je me bats constamment pour trouver des fonds", reconnaît Thierry de Montbrial. En 2005, des bruits ont couru sur une crise au sein de l'Institut : un rapport confidentiel rédigé à la demande du Premier ministre et mentionné par l'Express constatait "(des) méthodes de gestion autoritaires, (une) atmosphère déliquescente", des secteurs en friche dans la recherche, une perte de prestige. Thierry de Montbrial avait alors répliqué : "si je m'en vais, l'IFRI s'écroule". La polémique est restée sans suite. "J'ai gagné", dira-t-il alors. La chance lui aurait-elle souvent souri ? "Oui, bien sûr, répond-il sans hésiter, j'ai eu de la chance mais je crois qu'il faut aller la chercher et qu'il faut aussi savoir la reconnaître lorsqu'elle se présente. La chance, oui, mais il ne faut jamais prendre la chance d'une manière entièrement passive, la chance c'est aussi une action."
"Thierry de Montbrial, c'est le roi du monde !"
En septembre 2004, il se rend un peu par hasard à Novgorod-le-Grand (nord-ouest) pour la première réunion du club de discussion Valdaï, créé à l'initiative de RIA Novosti. Il y avait eu, se souvient-il, "les invitations anonymes par courrier électronique" au dernier moment qui plus est "ce n'est pas ainsi que l'on procède!". A cette époque, justement, le soutien financier d'un gros homme d'affaires russe lui avait permis d'ouvrir, à l'Institut, un programme à part pour l'étude de la Russie. "Ca m'a intéressé", dit-il. Après Novgorod, ce fut Tver, puis Khanty-Mansiisk, Kazan, Rostov-sur-le-Don, sans oublier les deux séjours qu'il fit à Krasnoïarsk et à Vladivostok entre deux sessions du club Valdaï, et sans compter les deux capitales russes. Depuis 2003, Thierry de Montbrial est membre étranger de l'Académie des sciences de Russie. Son premier voyage en URSS remonte aux années 70. "Je suis un homme curieux, explique-t-il. Avoir la possibilité de beaucoup voyager est vraiment un privilège, j'aime voir les gens chez eux."
Aujourd'hui encore, Thierry de Montbrial est quelqu'un qui ne tient pas en place, habitué à travailler et à dormir en avion. Il s'adapte facilement au décalage horaire, très certainement parce qu'il s'en tient à une règle d'or : ne jamais sauter un repas et le prendre à l'heure locale. "Thierry de Montbrial demande de vérifier que les billets d'avion soient bien en première classe", s'inquiète son assistante. "Quand on voyage aussi souvent que moi, fait-il remarquer, c'est réellement important". Ses collaborateurs demandent toujours s'il sera accueilli dans le salon VIP de l'aéroport "comme à l'habitude". "Thierry de Montbrial, c'est le roi du monde !" s'amuse un expert français qui n'est pas le seul à lui reprocher une "immense suffisance".
Un désordre soigné règne dans son bureau parisien qu'envahissent les livres. Au mur, des photographies le représentant en compagnie d'hommes politiques connus, de personnalités importantes. Il y a dix ans, pour les vingt ans de l'institut, quarante-cinq chefs d'Etat étrangers s'étaient rendus à Paris. "J'ai été amené à rencontrer les hommes d'Etat les plus divers, explique-t-il, mais ce ne sont pas forcément eux qui m'ont fait le plus impressionné parce que les grandeurs d'établissement ne sont pas forcément les personnes les plus importantes." Depuis maintenant de nombreuses années, le politologue français tient le journal de sa vie, tellement riche en rencontres et en événements extraordinaires. Des notes qui représentent aujourd'hui quelque 8 000 pages dactylographiées. Thierry de Montbrial réserve pour une publication posthume l'essentiel de ce journal, qui n'est pas sans rappeler la série soviétique à succès "La vie des hommes remarquables", mais le récit est à la première personne et concerne moins le sujet qu'autrui. "J'y parle en toute sincérité et avec une grande impartialité de nombreuses personnes très connues, explique-t-il." Il prévoit d'en publier prochainement une petite partie : 600 pages concernant la période 2001-2004.
Le projet le plus important de sa vie
Qu'est-ce qui, dans sa vie, le rend particulièrement fier ? "Je pense que dans toutes les actions importantes de ma vie, déclare-t-il, j'ai été mobilisé par des motifs respectables et conformes à mon idéal fondamental qui est de contribuer à ma manière à rendre la vie meilleure." L'enseignement, la publication d'ouvrages, la création de l'Institut des relations internationales et, maintenant, un nouveau projet ambitieux, "le plus important" de sa vie, la Word Policy Conference qui se réunit pour la première fois à Evian, du 6 au 8 octobre, autour de plusieurs dizaines de "leaders mondiaux" et d'experts de renom venus débattre de "l'état du monde" et trouver des solutions pour l'améliorer. "Je prends de gros risques, tout peut s'écrouler", admettait il y a encore six mois celui qui semble ne jamais douter. "C'est faux, confie-t-il, des doutes, j'en ai tout le temps. Simplement, dans ma position, je n'ai pas le droit de le montrer".
Même si on peut penser que la conférence d'Evian est une tentative de faire concurrence au forum de Davos - et Thierry de Montbrial présentait d'ailleurs son projet, en privé, comme une "concurrence à Davos" il y a quelques mois - la logique et l'ambition de la World Policy Conference sont tout autres, selon lui. Il ne s'agit pas d'un lieu de rencontres, même à un haut niveau, mais d'une tentative de trouver des réponses constructives et acceptables aux processus en cours dans le monde. Ce n'est pas une "énorme machine", tout au plus quelque milliers de participants. Ce n'est pas une rencontre "en général" mais sur un thème précis : que faire pour améliorer le fonctionnement du monde ? "A Evian nous voulons faire surgir des solutions. Toute l'ambition de ce projet tient en un seul mot: être utile", affirme l'organisateur de la WPC.
La conférence se réunira tous les ans, a annoncé Thierry de Montbrial et, lorsqu'il aura assuré sa "relève" au poste de directeur de l'IFRI - la question le taraude depuis quelque temps - c'est sans doute elle qui deviendra la grande affaire de sa "retraite". Si tant est, bien entendu, que l'on puisse parler de retraite pour un homme à qui la notion de "passe-temps"est étrangère et qui, obsédé par son idée d'être utile, a bien l'intention de rester actif "jusqu'à l'heure de sa mort". Et si le projet imaginé ne réussissait pas ? Thierry de Montbrial pourrait sans doute répondre à cette question en reprenant une phrase de l'un de ses derniers livres : "il est nécessaire d'espérer pour entreprendre, mais il n'est pas nécessaire de réussir pour persévérer."
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