Le premier des deux navires destinés à transporter les équipements pour le lancement des fusées porteuses russes Soyouz depuis le cosmodrome de Kourou est parti de Saint-Pétersbourg en direction de la Guyane. On suppose que le voyage durera environ seize jours.
Les deux premiers lanceurs, dans une version spéciale adaptée aux conditions climatiques, seront prêts à partir pour la Guyane aux alentours de janvier 2009. La poussée de leurs moteurs a été augmentée, la fusée a été dotée d'un nouveau système de commande et sa tête adaptée aux dimensions des satellites européens.
L'Europe a toujours prêté attention à cette fusée porteuse russe. Dès 1996, l'entreprise russo-française Starsem spécialement créée pour la commercialisation des services du lanceur russe Soyouz avait été chargée de l'exploitation commerciale de la fusée sur une base exclusive. Roskosmos (Agence spatiale fédérale russe) en détient 25%, le Bureau d'études Progress à Samara où l'on construit des Soyouz, 25% également, et 50% appartiennent à Arianespace et EADS.
Les lancements avaient débuté en 1999. A ce moment-là, en plus de Baïkonour, la Russie avait proposé d'effectuer des lancements de fusées Soyouz depuis le centre spatial de Kourou. En changeant d'emplacement, cette fusée porteuse peut, grâce à sa proximité avec l'équateur, placer sur une orbite dite géostationnaire, la plus attrayante, une charge utile 2,5 à 3 fois plus importante que lors de lancements depuis le territoire du Kazakhstan.
Cependant, les compagnies européennes avaient décliné la proposition russe, estimant que, dans ce cas, les fusées Soyouz auraient été en concurrence directe avec Ariane-5.
Il fut également question de cumuler les étages de Soyouz et d'Ariane-4. Mais, dans ce cas, la fusée russe aurait perdu l'une de ses plus importantes qualités: son coût de lancement peu élevé.
La question de la mise en oeuvre du projet Soyouz-Kourou resta suspendue pendant un certain temps et fut relancée début 2001 à un stade nouveau: grâce à l'intervention de personnalités officielles russes de haut rang, en coopération avec les fondateurs français de Starsem, l'examen de cette question a été porté jusqu'à l'Agence spatiale européenne (ESA). En juin 2002, le conseil de l'ESA a confirmé son intérêt pour l'utilisation des fusées Soyouz au cosmodrome de Kourou.
Cependant, l'aspect financier du projet n'a pu être réglé aussi vite qu'on l'espérait. La France était prête à verser la moitié de la somme nécessaire pour la réalisation du projet. L'Allemagne acceptait de verser 6%, la Suisse 1%. Mais aucun autre membre de l'ESA ne brûlait d'envie d'y participer. La Grande-Bretagne a carrément rejeté le projet. La Russie, comme à son habitude, ne souhaitait y investir que ses ressources intellectuelles. En fin de compte, tous les problèmes furent réglés et, en novembre 2003, la France et la Russie signèrent un accord sur le lancement de fusées porteuses Soyouz à partir du cosmodrome de Kourou (Guyane française). De l'avis général, il s'agissait d'un nouveau jalon important dans le partenariat spatial entre les deux pays.
Il faut relever que la fusée Soyouz dérive de la célèbre Semiorka de Korolev (principal constructeur de fusées), véritable "cheval de labour" de l'astronautique russe et sans doute la plus célèbre fusée du monde. Selon les spécialistes étrangers, elle est solide, peu coûteuse et fiable. Elle est alimentée avec un combustible écologiquement inoffensif: du kérosène et du dioxygène liquide. Elle est largement utilisée pour placer sur orbite des engins spatiaux civils et militaires russes, ainsi que des charges utiles étrangères.
Les fusées porteuses Soyouz parviennent aux cosmodromes de Plessetsk et de Baïkonour par chemin de fer dans des wagons rappelant les wagons postaux. Pour transporter les blocs des fusées à Kourou, on a mis au point des conteneurs spéciaux étanches dans lesquels seront maintenus le taux d'humidité et la pression nécessaires. Les conteneurs transportant les blocs sont tout d'abord envoyés de Samara à Saint-Pétersbourg par chemin de fer à bord de wagons-plats. Ils sont ensuite transférés du chemin de fer jusqu'au port sur des remorques conçues pour l'occasion par des spécialistes européens. Enfin, les conteneurs sont déplacés avec leurs remorques dans les cales des navires destinés à transporter les fusées porteuses.
Il n'y a que deux navires de ce type dans le monde. Chacun d'entre eux transporte deux fusées, les boosters, les conteneurs de kérosène pour les fusées Soyouz et les réservoirs blindés contenant du combustible toxique pour les boosters Fregat.
Puisque ces navires ne sont pas des brise-glaces, le transport de fusées porteuses en Guyane française depuis Saint-Pétersbourg ne sera probablement possible qu'en été. La variante de leur transport par des avions An-124 Ruslan s'est avérée compliquée du point de vue technique et non rentable du point de vue économique.
Il est prévu d'effectuer des lancements commerciaux de Soyouz depuis Kourou au moins au cours des dix années à venir, à raison d'environ quatre lancements par an.
Par conséquent, Soyouz sera la seule fusée porteuse au monde lancée depuis trois pays: la Russie (Plessetsk), le Kazakhstan (Baïkonour) et la France (Kourou). Les appareils spatiaux destinés à travailler en orbite géostationnaire seront la principale charge utile des lancements à partir de Kourou. Il s'agira sûrement, pour l'essentiel, de satellites de télécommunications.
A un moment donné, la question des lancements de Soyouz habitées à partir de Kourou, entre autres, vers la Station spatiale internationale (ISS), avait été intensivement étudiée. Mais, du point de vue de la masse de la charge utile, un lancement à partir de l'équateur n'est d'aucun avantage, en raison de l'inclinaison spécifique de l'orbite de l'ISS.
Le centre spatial de Kourou est également inutile pour les vols habités autonomes sur des orbites proches de l'équateur. Ces orbites n'assurent qu'une zone minimale d'observation de la surface de la Terre et se trouvent, en fait, en dehors de la zone des points de contrôle des vols du complexe terrestre russe de mesures. En principe, dans ce genre de cas, on pourrait utiliser des moyens américains de mesure ou lancer des satellites-retransmetteurs spéciaux. Mais cela entraînerait des dépenses supplémentaires, c'est pourquoi il est peu probable que cela se justifie.
Enfin, les lancements habités à partir de Kourou entraînent un autre problème: la sécurité, compte tenu de leur itinéraire passant au-dessus de l'océan. Il faut mettre en branle un grand nombre de moyens maritimes et aériens de recherche et de sauvetage en cas d'échec.
Quel est donc l'avantage d'effectuer des lancements de Soyouz depuis Kourou? Les Européens pourront utiliser le nouveau lanceur à proximité de l'équateur et disposeront d'une gamme complète de moyens de lancement: la fusée légère Vega, la fusée Soyouz de classe moyenne et la fusée lourde Ariane. C'est une gamme dont n'importe quel pays aimerait disposer pour son activité spatiale.
Le lancement de satellites est une activité rentable. Selon les estimations des experts, les dépenses consenties par l'ESA pour la construction d'un pas de tir au centre spatial de Kourou pour le lancement des fusées Soyouz seront amorties en dix ans environ.
La Russie ne devrait pas non plus y perdre, bien que ses avantages ne soient pas aussi évidents. Ainsi, l'installation de fusées Soyouz au niveau de l'équateur pourrait porter un coup assez sérieux au transporteur spatial russe le plus avantageux: Proton. Le projet Sea Launch auquel participe activement la Russie sera également touché. Enfin, les lancements de fusées Soyouz à partir de Baïkonour pourraient ne plus être rentables. Non seulement à cause de la diminution des possibilités de placer des charges utiles dans l'espace, mais aussi en raison du prix qui s'avère, dans le cas de Kourou, digne d'un véritable dumping.
A en juger par l'expérience des années précédentes, on sait bien que tout projet spatial commun n'est pas avantageux pour tout le monde, même pour ses initiateurs, mais chaque expansion porte tout de même ses fruits, d'une manière ou d'une autre.
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