Le gouvernement irakien propose aux compagnies étrangères de participer à l'exploitation de six gisements de pétrole et de deux gisements de gaz. La conclusion des contrats est prévue pour juin 2009, et les demandes de participation à l'appel d'offres seront enregistrées jusqu'à mars. Les candidatures de 35 compagnies ont pour l'instant été entérinées, dont celles des russes Lukoil et GazpromNeft. Quelles sont leurs chances?
Il serait naïf de considérer la lutte pour les contrats pétroliers, de même que n'importe quelles autres transactions de grande envergure, comme un jeu honnête. Qui plus est, dans le cas des contrats pétroliers irakiens, la situation est encore plus embrouillée et rattachée à la politique que d'habitude.
Dès le début, on a des doutes même quant à la possibilité de sauvegarder l'apparence d'une décision objective. Le gouvernement irakien mène déjà des pourparlers avec certains géants pétroliers en vue de conclure des contrats à court terme d'assistance technique et de consultations sur l'exploitation des gisements. Pour l'instant, les heureux élus n'ont pas été officiellement dévoilés, bien que tous ceux qui s'y connaissent un tant soit peu en pétrole et qui sont familiers des questions irakiennes savent que ce sont Exxon Mobil, Shell, BP, Total et Chevron, et que ces compagnies auront la priorité lors de la conclusion des accords à long terme. Les représentants de trois d'entre elles ont déjà confirmé leur intention de conclure prochainement des contrats de consultation avec le gouvernement irakien.
Même les médias américains accusent Washington de faire pression sur Bagdad dans le choix de ceux qui seront admis sur les champs de pétrole. Le New York Times a constaté que seules les corporations occidentales recevaient les plus gros "morceaux", alors que "les compagnies russes, par exemple, qui possèdent une expérience de travail en Irak et qui espéraient bien participer à l'exploitation pétrolière, restent toujours derrière la porte".
Les représentants de l'administration américaine réfutent toutes ces accusations, en affirmant que les experts américains qui travaillent au ministère irakien du Pétrole en qualité de conseillers n'ont rien à voir avec les transactions à conclure. Le gouvernement irakien jure également qu'il est impartial. Mais il est difficile d'y croire, tout comme de croire à l'affirmation selon laquelle le contrôle du pétrole irakien n'était pas l'un des objectifs poursuivis par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne dans la guerre en Irak.
Le ministre irakien du pétrole Hussein Chahristani affirme qu'Américains et Britanniques reçoivent des commandes pour les consultations et services techniques uniquement en raison du fait que la loi sur la répartition des recettes provenant du pétrole n'a pas encore été adoptée dans le pays, alors que le secteur doit tout de même être développé. Autrement dit, dès que la loi sera adoptée, tout sera honnête et juste. Mais il y a peu de gens, même en Irak, qui trouvent cela convaincant, surtout parmi les Kurdes.
Ainsi, Ashti Hawrami, ministre des Ressources nationales du gouvernement régional kurde, pose la question suivante: depuis quand les grandes compagnies mondiales ont-elles commencé à se contenter du rôle de consultants? Hawrami affirme qu'il est peu probable que les Kurdes approuvent les contrats déjà conclus.
Rappelons qu'un contentieux sur la répartition des recettes provenant du pétrole oppose depuis plusieurs années les Kurdes à la majorité chiite. Depuis 2004, les Kurdes avaient commencé à attirer de leur propre chef, sans attendre la loi irakienne, des compagnies étrangères pour l'exploitation des gisements situés sur leur territoire. Bagdad qualifie cela d'illégal, c'est pourquoi il refuse d'admettre au concours annoncé les compagnies qui sont arrivées au Kurdistan irakien. Les reproches faits aux Kurdes par le gouvernement irakien central sont compréhensibles, car toutes les futures recettes lui passeront ainsi sous le nez. En outre, les Kurdes ne parviennent pas à s'entendre avec Bagdad sur la façon dont seront gérés les gisements de pétrole qui pourraient être découverts à l'avenir sur le territoire frontalier entre le Kurdistan irakien et le reste de l'Irak. Cela concerne surtout le point principal: qui profitera des recettes qui en proviendront? Le contentieux risque de rester longtemps en suspens, bien que le président irakien Jalal Talabani (à propos, il représente la communauté kurde) ait promis que la loi pétrolière serait adoptée avant la fin de l'année. Et la question est de première importance: tant que Kurdes et chiites n'arriveront pas à s'entendre, aucun contrat à long terme sur le travail des compagnies étrangères dans le secteur pétrolier irakien ne pourra être signé.
Tous les investissements dans le secteur pétrolier irakien rappellent depuis longtemps le jeu de la roulette: d'abord ce fut Saddam Hussein qui annula les contrats conclus sur l'exploitation de gisements, car les compagnies ne voulaient pas violer les sanctions internationales. Le cas le plus éloquent en ce sens est le contrat conclu par Lukoil pour l'exploitation du gisement de West Qurna-2. Aujourd'hui, c'est le nouveau gouvernement irakien qui annule tous les contrats signés à l'époque de Saddam Hussein. Bien plus, des procès sont actuellement intentés aux compagnies (il est vrai, pas seulement pétrolières) pour avoir donné des pots-de-vin à l'ex-dictateur irakien pour la conclusion de contrats dans le cadre du programme "Pétrole contre nourriture". D'ailleurs, parmi ces compagnies, on cite le géant pétrolier Chevron qui, selon les médias, figure également au rang des principaux prétendants à la conclusion avec Bagdad de contrats à court terme et, en perspective, à long terme. C'est un des paradoxes de la situation irakienne: on peut être à la fois accusé et favori.
Cependant, malgré tous les risques et l'incertitude de la situation, les compagnies étrangères, y compris russes, sont prêtes à se lancer dans l'aventure, et l'amère expérience précédente ne les arrête pas. Ne pas participer à la compétition irakienne serait à coup sûr un mauvais calcul. Qui plus est, les richesses pétrolières irakiennes ne se limitent pas aux gisements déjà découverts au moment de l'appel d'offres. D'ailleurs, le gisement de West Qurna-2 ne figure pas sur cette liste. Ajoutons que plusieurs compagnies russes sont prêtes à coopérer avec des compagnies occidentales et à conclure avec elles des sous-contrats pour certaines étapes des travaux. Rares sont ceux qui peuvent faire concurrence aux Russes dans ce domaine. Par conséquent, bien que la situation réelle soit objectivement avantageuse pour l'Occident - le fait que Washington joue le premier rôle en Irak est indéniable - les Russes ont une chance. Le jeu de la roulette irakienne ne fait que commencer.
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