Russie-Ukraine-OTAN: un triangle aventureux

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Par Ilia Kramnik, RIA Novosti
Par Ilia Kramnik, RIA Novosti

L'élargissement de l'OTAN engagé dans les années 90 aborde une nouvelle étape critique. Après l'adhésion des pays d'Europe de l'Est et des pays baltes, il est question d'une nouvelle extension de l'Alliance à une partie du territoire de l'ex-URSS, et avant tout à l'Ukraine.

L'adhésion de Kiev, si elle devient une réalité, représentera l'élargissement le plus significatif du bloc depuis 1956, lorsque l'Allemagne de l'Ouest y fut admise. La réalité politique qui découlera d'une telle évolution des événements nécessite quelques explications.

Tout d'abord, il faut déterminer le moment où cette adhésion est susceptible de se produire. Pour l'instant, l'admission au plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN (MAP, procédure finale de préparation des pays candidats à l'adhésion à l'Alliance) a été refusée à l'Ukraine, mais les dirigeants otaniens ont assuré à Kiev que la coopération avec l'Alliance et la préparation à l'adhésion se poursuivraient.

Le MAP puis l'adhésion de l'Ukraine au bloc vont probablement rester une monnaie d'échange dans les rapports entre l'OTAN et la Russie, qui ne pourra être utilisée qu'en cas de brusque détérioration des rapports entre Moscou et l'Occident.

Au cours des dix prochaines années, les raisons d'une telle détérioration sont potentiellement nombreuses. Evénements en Iran ou en Géorgie, conflit autour des livraisons de ressources énergétiques sur fond de hausse des prix, etc. En cas de nécessité, l'adhésion au MAP et toutes les procédures indispensables peuvent prendre un an ou deux, et le coup d'envoi de ce processus peut être donné à n'importe quel sommet de l'OTAN à venir.

Il reste, il est vrai, un certain nombre de problèmes en suspens, par exemple, la présence de bases militaires étrangères sur le territoire de l'Ukraine, plus précisément à Sébastopol. D'après les règles actuellement en vigueur, le territoire d'un pays candidat à l'adhésion au bloc doit être exempt de troupes étrangères. Cependant, la présence de bases militaires russes n'avait pas remis en cause l'appartenance de l'Allemagne réunifiée à l'OTAN, par conséquent, on peut supposer qu'en cas de besoin l'Alliance ajustera ses normes.

L'attitude envers l'OTAN à l'intérieur même de l'Ukraine peut poser un problème bien plus sérieux. Pour l'instant, il est évident qu'une majorité d'Ukrainiens est contre l'adhésion au bloc et estime que le pays doit rester neutre. Dans ce contexte, compte tenu de la situation politique complexe en Ukraine, une adhésion "en force" à l'OTAN pourrait entraîner la division du pays, par la séparation de certaines de ses régions. Naturellement, une telle issue n'arrangerait ni Kiev, ni Bruxelles, c'est pourquoi il ne faut pas s'attendre à une admission rapide de l'Ukraine à l'OTAN.

Mais quel sera le monde pour la Russie si l'Ukraine devient membre de l'OTAN dans ses frontières actuelles? Les conséquences de cet événement peuvent se classer en plusieurs catégories.

Premièrement, les conséquences purement militaires. La tension aux frontières occidentales de la Russie s'accroîtra considérablement. Le temps de vol de l'aviation tactique de l'OTAN de la frontière jusqu'à Moscou, qui est actuellement d'environ une heure, se réduira à 20-25 minutes. Les forces de l'Alliance s'agrandiront de plusieurs divisions, de 300 à 350 avions de combat et de 10 à 12 navires de surface, ce qui augmentera le déséquilibre, déjà grand, du rapport des forces entre la Russie et l'OTAN.

Les conséquences politiques, étroitement liées aux conséquences militaires, se traduiront avant tout par l'accroissement de la tension dans les rapports entre la Russie et l'Occident. Le climat politique, qui laisse déjà à désirer, sera semblable aux pires périodes de la guerre froide avec une confrontation tendue en Europe, dont le front se trouvera cette fois un peu plus à l'Est, sur le territoire de l'ex-Union soviétique.

Les conséquences économiques de l'aspiration des dirigeants ukrainiens à adhérer à l'OTAN sont déjà palpables: le complexe militaro-industriel russe est contraint de réduire la coopération avec son voisin occidental, en transférant graduellement en Russie la production de pièces, jusque-là fabriquées en Ukraine, pour le matériel de guerre et les armements, ou bien en mettant au point des équivalents. L'assortiment de ces articles est assez large: composants électroniques, moteurs de missiles, d'avions, de navires et de chars, toutes sortes d'équipements auxiliaires, etc. Si l'Ukraine devient membre de l'Alliance, il ne pourra être question de poursuivre cette coopération.

Cependant, la plus lourde conséquence de l'adhésion de Kiev à l'OTAN sera la fixation du caractère juridique de la nouvelle réalité géopolitique. Il s'agit d'une réalité mettant fin à plus de trois siècles de domination russe sur les territoires de l'ancienne Russie kiévienne. Cette réalité permettait à la Russie de se considérer comme le leader, l'unificateur et le protecteur de la civilisation des Slaves de l'Est. Les dirigeants russes ne réfléchissent certainement pas en ces termes, mais il ne fait aucun doute que la Russie emploiera tous les moyens politiques et économiques possibles en vue de maintenir l'Ukraine à l'état neutre, et pourquoi pas d'y renforcer son influence.

Les destins de ces deux pays sont à tel point entrelacés, et depuis tellement longtemps, que la perte définitive de l'Ukraine ne pourra passer inaperçue pour la Russie.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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