Le monde ne va pas bien: l'organisme économique mondial est secoué d'accès de fièvre financière, énergétique et alimentaire, c'est pourquoi le 12e Forum économique international de Saint-Pétersbourg a réuni un très grand nombre de prestigieux participants. Pourtant, la Russie semble sûre d'elle et, du point de vue psychologique, elle s'est considérablement renforcée ces six derniers mois.
En février dernier, lorsque le ministre russe des Finances Alexeï Koudrine avait présenté la Russie au forum de Davos comme une "île de stabilité" reposant sur un "coussin de sécurité" formé par les recettes provenant du pétrole, de nombreux observateurs avaient accueilli cette prise de position de façon très sceptique. Qui plus est, ce scepticisme avait été notamment partagé par des économistes russes, qui mettaient en garde contre le danger du vertige des succès pétroliers.
Dans le contexte d'exaltation énergique qui a régné les 7 et 8 juin dans les salles du centre d'expositions Lenexpo à Saint-Pétersbourg, le ministre Alexeï Koudrine a manifesté un scepticisme prudent. Cela ne signifie pas pour autant que sa position a subi des changements fondamentaux.
Mais le principal héros du forum n'était pas M. Koudrine, mais bien la Russie, pays dont la position actuelle dans les conditions de la mondialisation a été exposée par le président Dmitri Medvedev, dans un discours fort et rigoureux prononcé au premier jour des travaux de la manifestation. Le lendemain, le premier vice-premier ministre Igor Chouvalov a déterminé les objectifs à atteindre, les problèmes à régler et les moyens pour y parvenir. L'investisseur étranger a probablement été l'autre héros principal du forum. C'est une image collective, dont le point de vue a été nettement exprimé, semble-t-il, par Michael Klein, président de Citigroup: "A présent, les investisseurs ne se bornent plus à faire confiance à la Russie, ils attendent bien plus de sa part".
Bref, tout le monde fait aujourd'hui confiance à la Russie. Elle semble s'être sérieusement engagée sur une voie à long terme. Et cette tendance n'est plus seulement annoncée par des fonctionnaires hauts placés, mais elle soulève l'enthousiasme de nombreux hommes d'affaires de différents niveaux.
Mais cet enthousiasme n'est pas pour autant aveugle.
Le président Dmitri Medvedev a tiré à boulets rouges sur les manifestations d'égoïsme économique national, nuisant au développement du monde, engagé dans une inévitable mondialisation. Il a proposé de remanier le système des institutions de gouvernance mondiale, qui s'avèrent incapables de régler les problèmes actuels (son idée a été développée par le président kirghiz Kourmanbek Bakiev, qui a prédit l'accroissement de l'importance de groupements régionaux tels que la Communauté des Etats indépendants, l'Organisation de coopération de Shanghai et la Communauté économique euro-asiatique). Enfin, il a rappelé le programme des "Quatre "i" (institutions, innovations, infrastructure, investissements) sur lequel compte beaucoup la Russie qui a fermement décidé de devenir une économie mondiale de premier ordre. A propos, un cinquième "i" - Intellect - s'est déjà ajouté lors du forum aux quatre précédents. Apparemment, Internet et les technologies de l'Information s'y ajouteront également.
Les grands pontes de l'économie mondiale ont engagé une polémique sur les formules énoncées par le président russe: "La mondialisation et les intérêts nationaux ne se contredisent pas. Ils coexistent. Bien plus, la mondialisation correspond aux intérêts des nations" (Version de Carlos Gutierrez, secrétaire américain au Commerce). Ils ont également évalué le développement économique de la Russie en soulignant le caractère irréaliste des objectifs affichés par le pays, qui sont très ambitieux. De 2010 à 2015, le PIB de la Russie s'accroîtra de 3,3% par an, de 2015 à 2020, de 2,9%, estime Jim O'Neill, directeur du groupe des études économiques de la banque Goldman Sachs, auteur du concept de BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).
Igor Chouvalov a présenté en outre un programme très libéral prévoyant la diminution de l'intervention superflue de l'Etat dans l'économie, la réduction de la liste des entreprises stratégiques, une certaine prudence dans la mise en oeuvre des programmes sociaux et la réparation de "l'ascenseur social" par le biais d'une amélioration de la qualité de l'enseignement.
Mais les hommes d'affaires russes ont tout de suite discerné des contradictions internes dans ce programme. Selon eux, les intentions sont louables, mais les attentes sont également grandes. Si le pays ne met pas en oeuvre ces projets dans un an, cela sera interprété comme un nouvel échec du libéralisme économique. Bien plus, malgré les discussions très animées, on ne voit toujours pas clairement comment le pays va employer les ressources qui se sont accumulées grâce à la conjoncture mondiale favorable. Faut-il les assigner à la réalisation de projets d'infrastructure, comme le propose le ministère du Développement économique, ou développer l'économie en faisant preuve de prudence, compte tenu des risques mondiaux existants et potentiels, ce que propose le ministère des Finances? Ce dilemme demeure. Ce n'est pas par hasard que l'adoption de la décision sur le contenu de la stratégie de développement du pays jusqu'en 2020, sur laquelle on fonde actuellement tant d'espoirs, a été de nouveau reportée, cette fois, à août.
En ouvrant le forum samedi matin, la ministre du Développement économique Elvira Nabioullina l'a qualifié "d'expérience intellectuelle". Lorsqu'il a pris fin, les intellectuels ont cherché une brève formule capable d'exprimer l'idée du développement du pays. Igor Chouvalov a proposé la variante suivante: "La prospérité viendra du partenariat avec la Russie". Ne serait-ce pas la devise du 13e Forum économique international de Saint-Pétersbourg?
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